À elle seule, la lettre ouverte signée par la Dre Marie-Anne Archambault, au lendemain de la mort du chanteur Karl Tremblay, avait sans doute fait plus pour redorer l’image des médecins que n’importe quelle campagne publicitaire. Hélas, l’affaire a mal viré.

C’était un texte magnifique1, publié dans Le Devoir, le 17 novembre. L’un des plus beaux hommages rendus au chanteur des Cowboys Fringants – et Dieu sait qu’il y en a eu. Dans la déferlante, ce texte-là est sorti du lot. Sans doute parce qu’il venait du cœur.

La Dre Archambault est hémato-oncologue à l’hôpital Pierre-Le Gardeur. Il y a quatre ans, c’est elle qui a annoncé à Karl Tremblay la pire des nouvelles : un cancer incurable. Elle, aussi, qui a suivi le chanteur dans ses derniers moments. Elle, encore, qui l’a pleuré.

Sept mois plus tard, stupeur : on apprend que ce texte empreint d’humanité lui vaut d’être rappelée à l’ordre par le Collège des médecins du Québec.

Le Bureau du syndic du Collège a convoqué la Dre Archambault le 27 novembre, la veille de la cérémonie nationale en l’honneur de Karl Tremblay, « pour avoir divulgué des éléments du dossier d’un patient sans autorisation », a révélé lundi Marie-Annick Lépine, la veuve du chanteur, sur Facebook.

Des milliers d’internautes se sont indignés. Le texte avait pourtant été approuvé avant sa publication dans Le Devoir, non seulement par Marie-Annick Lépine, mais aussi par les parents de Karl Tremblay, par sa sœur, par ses beaux-frères, par sa belle-mère et par son ami. Bref, la Dre Archambault s’était assurée d’avoir l’assentiment d’à peu près tout le monde avant de prendre la plume.

Cette lettre ouverte avait eu l’effet d’un baume pour les Québécois qui pleuraient Karl Tremblay. Pour ceux, aussi, qui avaient eu à traverser le même cauchemar.

Quand la médecin évoquait la « douleur comme un tison » s’insinuant jusqu’à la moelle et rendant « insupportable même l’effleurement d’une caresse », beaucoup de Québécois avaient reconnu la douleur indicible de leurs proches, aux derniers jours de l’agonie.

C’est pour ça, je crois, que Facebook a explosé d’indignation. Comment le Collège osait-il s’en prendre à cette médecin qui avait osé sortir du rang pour toucher nos cœurs ?

La réponse à cette question n’est pas simple, d’autant que le Collège des médecins se mure dans le silence : ses enquêtes sont strictement confidentielles. Pour sa part, la Dre Archambault a refusé de commenter.

Le Collège est un ordre professionnel dont le mandat est de protéger le public, en veillant notamment au respect du code de déontologie des médecins. On est bien content qu’il soit là pour sévir contre les gourous, les exploiteurs et les abuseurs de tous poils.

Mais la Dre Archambault ne correspond pas à ce profil. Tout le contraire, en fait. « Cette femme fut notre ange gardien. Le meilleur médecin que nous avons rencontré », a écrit Marie-Annick Lépine. L’été dernier, au moment où Karl Tremblay souffrait et où ses médecins étaient en vacances, la Dre Archambault a pris le chanteur sous son aile. « Je me suis dit que j’essaierais du mieux que je peux de soulager et d’accompagner », a-t-elle écrit dans sa lettre ouverte.

« Quand on a su que c’était elle qui s’était occupée de Karl Tremblay, on était contents de savoir qu’il avait la meilleure pour le soigner », m’a confié une collègue médecin de l’hôpital Pierre-Le Gardeur, qui a requis l’anonymat par crainte de représailles. « C’est l’hémato-oncologue qui a la plus grande humanité que je connaisse. » La communauté médicale, ajoute-t-elle, est en colère contre le Collège. « On se demande où est la protection du public, rendu là… »

En effet, on se le demande. Pourquoi le Collège a-t-il choisi de s’en prendre à la Dre Archambault ? N’a-t-il pas mieux à faire ? De véritables coquins à mettre au pas ?

La réponse tient en deux mots : secret professionnel.

La raison pour laquelle le texte de la Dre Archambault était aussi extraordinaire, c’est qu’il l’était vraiment : extraordinaire. Inédit. Il racontait la façon dont Karl Tremblay avait affronté la maladie, son entêtement à retourner sur les planches malgré des traitements assommants.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Karl Tremblay à Saint-Jean-sur-Richelieu, l’été dernier

Or, les médecins n’ont pas le droit de révéler des informations confidentielles contenues dans le dossier médical de leurs patients, fussent-ils célèbres, fussent-ils morts.

C’est dans la Charte des droits et libertés de la personne. C’est dans le code de déontologie des médecins2. Dans sa peine, la Dre Archambault l’a peut-être oublié. Même après le décès du patient, un médecin n’est pas libéré du secret professionnel. Même si la terre entière lui donne son accord. Il faut le consentement du patient lui-même. Et si ce patient meurt, il a le droit d’emporter son secret dans sa tombe.

Ça peut avoir l’air bête, mais ce sont les règles. Et le Collège existe pour les faire appliquer. L’idée, encore une fois, est de protéger le public. Empêcher, par exemple, que votre dossier médical se retrouve étalé dans le journal au lendemain de votre mort…

Le Collège aurait pu se concentrer sur les vrais problèmes, s’insurgent les internautes. Mais une autre règle, c’est que si le syndic reçoit une plainte formelle, il ne peut pas tout simplement fermer les yeux. Il doit, à tout le moins, ouvrir une enquête.

Précisons que l’hémato-oncologue n’a pas été radiée ni sanctionnée d’aucune manière. Contrairement à ce que laisse entendre la publication Facebook de Marie-Annick Lépine, elle n’a pas davantage subi de « procès », puisqu’après enquête, le Bureau du syndic a choisi de ne pas déposer de plainte au conseil de discipline. On l’a seulement convoquée pour la rappeler à l’ordre.

N’empêche, écrit la veuve du chanteur : la Dre Archambault a été « cassée par cette aventure ».

On lui souhaite de se reconstruire au plus tôt. Le Québec n’a pas les moyens de se priver d’un bon docteur.

1. Lisez la lettre ouverte signée par la Dre Marie-Anne Archambault 2. Lisez un texte du Collège des médecins du Québec