C’est peut-être le début d’une tendance : le recours aux tribunaux par des citoyens excédés de subir les contrecoups de l’itinérance dans leur cour arrière.

La nouvelle est sortie il y a quelques jours. Deux demandes d’action collective ont été déposées, coup sur coup, en raison des désagréments causés par l’installation de refuges dans des quartiers résidentiels montréalais1.

La liste des griefs est longue, et troublante.

Dans Milton-Parc, un secteur densément peuplé du Plateau-Mont-Royal, des citoyens dénoncent la dégradation de leur qualité de vie depuis l’arrivée de l’organisme The Open Door en 2018, dans un sous-sol d’église.

Selon le recours, les sans-abri qui gravitent autour du refuge « urinent, défèquent, ont des relations sexuelles, consomment des boissons alcoolisées et substances illicites, jonchent le sol de leurs déchets, seringues, canettes, vêtements et aliments abandonnés ».

Ces comportements attirent les rats, en plus d’« intimider » les résidants de tout un quadrilatère, affirme le document. Les voisins sont souvent réveillés la nuit par des cris ou des batailles, ajoute-t-on.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Des itinérants photographiés dans le cadre d’un photoreportage

Mon collègue Martin Tremblay a témoigné de cette misère humaine dans un photoreportage saisissant publié en 20222. La situation de Milton-Parc ne s’est pas améliorée depuis. J’y passe souvent et ça fait pitié, c’est vrai.

La deuxième procédure judiciaire, déposée par le même avocat, dresse un topo similaire. Elle décrit comment la quiétude d’un quartier limitrophe a été troublée depuis l’installation d’un énorme refuge dans l’ancien Hôtel-Dieu.

Que demandent ces recours, au juste ? La fermeture de ces centres, tant que des soins de santé adéquats n’auront pas été prodigués à chaque sans-abri qui les fréquente. (Bonne chance.)

Aussi : un dédommagement de 25 000 $ pour chaque citoyen dérangé par le grabuge. Une facture théorique de plusieurs dizaines de millions de dollars.

Ces procédures cherchent à identifier des responsables. Elles ne visent pas les personnes itinérantes elles-mêmes, mais plutôt les instances qui ont cautionné l’ouverture des refuges dans des quartiers résidentiels, sans égard aux conséquences pour les voisins.

La liste est longue : le gouvernement du Québec, la Ville de Montréal, la fabrique de la paroisse (qui loue des locaux dans une église), le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal sont montrés du doigt.

Il reviendra à la Cour supérieure de déterminer si ces actions collectives méritent d’aller de l’avant. Des experts à qui j’ai parlé lundi en doutent. Moi aussi. Mais qu’elle aboutisse ou pas, cette démarche met le doigt sur un problème bien réel.

Un problème de fond.

Il y a une série d’instances responsables de gérer le dossier de l’itinérance, mais bien souvent, on se demande qui mène le navire. De plus en plus de citoyens et de commerçants se sentent largués par les autorités. Je les comprends.

Un exemple tout récent : celui de la Maison Benoit-Labre, dans le sud-ouest de Montréal. Ce centre d’hébergement pour ex-sans-abri, doublé d’un site de consommation supervisé, a ouvert ses portes en avril à quelques dizaines de mètres d’une école primaire.

Ébats sexuels et consommation de crack en public, batailles, campements : ça dérape pas à peu près autour de l’établissement.

Tout le monde s’est insurgé de la tournure des évènements, lorsque des médias en ont fait état. Mais personne, semble-t-il, n’a pu, ou voulu, remettre en question l’emplacement choisi pour ériger ce centre3. Ni la Ville de Montréal, ni la Santé publique, ni le ministère de la Santé et des Services sociaux.

Personne.

Plusieurs parents sont indignés. Je peux vous confirmer ceci : une procédure judiciaire se prépare pour tenter de forcer les autorités à rendre des comptes. Une rencontre a eu lieu lundi en ce sens, selon mes sources.

D’autres recours du genre sont à prévoir. De nouvelles ressources pour sans-abri seront annoncées à Montréal et ailleurs au Québec, dans des quartiers résidentiels, et les inquiétudes des futurs voisins sont déjà grandes.

Ces quelques tentatives de judiciarisation pourraient se transformer en tendance, on dirait bien.

Les tribunaux ne règleront pas la crise de l’itinérance, c’est clair. Ça prendra beaucoup plus de logements supervisés, entre autres choses.

Mais ce qui devient aussi évident, c’est que les citoyens qui en subissent les contrecoups perdent patience. Et ils le font savoir.

On l’a vu dans « l’allée du crack », dans le Quartier chinois et dans le Village gai à Montréal. Plusieurs riverains, remplis d’empathie et de bonne foi, dénoncent la passivité de la Ville et des services policiers par rapport aux incivilités.

Sans nier les besoins des itinérants et toxicomanes, tout ce beau monde (des contribuables, faut-il le rappeler) commence à demander des comptes. Des gestes concrets des autorités, pour que la sacro-sainte « cohabitation » dont on parle si souvent soit un minimum harmonieuse.

Ça nécessitera aussi un plan de match précis pour garder – ou remettre – de l’ordre dans les quartiers où s’installent ces ressources. Une feuille de route détaillée. Ce qu’aucune instance ne semble être capable d’offrir en ce moment, ni à Québec ni à Montréal.

1. Lisez l’article « Des voisins réclament 25 000 $ » 2. Consultez le photoreportage « Les visages d’une crise humanitaire » 3. Lisez la chronique « Pas dans ma cour… d’école »