Deux vents contradictoires ont soufflé mardi à Montréal en matière d’habitation.

D’un côté, il y a eu cette brise chaude, porteuse d’espoir et de promesses, poussée par l’administration de Valérie Plante. En conférence de presse, elle s’est engagée à réduire les interminables délais pour accorder des permis de construction aux promoteurs.

La « cible » a été fixée à 120 jours.

Mais le matin même, mon collègue Philippe Teisceira-Lessard révélait qu’il faudrait des pas de géant pour atteindre cet objectif. Les délais ont plus que doublé au centre-ville et dans plusieurs arrondissements ces dernières années, pour atteindre jusqu’à 610 jours1 !

Le vent brutal (et glacial) de la réalité, pourrait-on dire.

La réalité, justement, semble aujourd’hui rattraper l’administration Plante. Comme s’il y avait un fossé grandissant entre ses aspirations et les façons de faire dans les arrondissements, sur le terrain.

Questionnée sur les révélations de La Presse, la mairesse s’est insurgée2.

Ce n’est pas satisfaisant, c’est inacceptable. Je ne peux pas accepter, comme mairesse de Ville-Marie, ni comme mairesse de Montréal, des délais comme ceux-là.

Valérie Plante, mardi

Dans la foulée, elle a souligné que la nouvelle cible de 120 jours pour la délivrance d’un permis ne sera pas un délai ferme. « Vous connaissez la logique des arrondissements, qui sont autonomes. »

Avec cette courte phrase, Valérie Plante a mis le doigt sur l’un des grands problèmes de la métropole. Cette « autonomie » des 19 arrondissements vient avec un paquet de dédoublements qui sont loin de favoriser l’efficacité.

Pour les citoyens et les journalistes, il est souvent difficile d’obtenir des informations de base sur qui fait quoi, et comment, d’un arrondissement à l’autre. Je vous parlerai de la construction des dos d’âne dans une future chronique…

Mais pour revenir aux logements, la méthode qui sera utilisée pour atteindre cette cible de 120 jours reste cryptique.

La Ville s’engage à « standardiser l’outil de suivi et la façon dont les délais sont mesurés dans les 19 arrondissements et à déposer annuellement un rapport », indique-t-elle dans un communiqué. Elle se dotera d’une nouvelle « norme administrative ».

Devrait-on être rassurés ?

Cette annonce a été reçue avec circonspection par plusieurs bonzes de l’industrie immobilière à qui j’ai parlé mardi. Raison principale : la norme des 120 jours s’appliquera uniquement aux projets de « plein droit ».

Ces projets, qui n’exigent ni dérogation ni changement de zonage ou d’usage, ne sont pas la norme. Il y a souvent des marges de recul un peu irrégulières à faire approuver par les arrondissements. Quelques étages supplémentaires à faire autoriser. Une couleur de brique distincte sur laquelle débattre. Des comités consultatifs à convaincre. Des référendums citoyens…

Il faut souvent des années aux promoteurs – jusqu’à quatre ans dans les cas les plus extrêmes – avant de réussir à se conformer au zonage. Un vrai chemin de croix.

C’est seulement lorsque tous les obstacles ont été levés qu’une demande de permis de construction peut être faite.

L’espoir, pour plusieurs, est que la Ville et les arrondissements travailleront aussi en amont pour fluidifier leurs processus avant l’étape du permis.

C’est un peu ce que la Ville a promis de faire, mardi.

Elle a présenté (et cautionné) le rapport final de Chantier Montréal abordable, un regroupement de financiers, de dirigeants d’organismes à but non lucratif (OBNL), de promoteurs et de représentants de la Ville. Ce comité planche depuis deux ans pour identifier des moyens de doper l’offre de logements à bas prix.

Selon son analyse, il faudrait construire au bas mot 120 000 logements d’ici une décennie à Montréal pour espérer revenir à une certaine forme d’abordabilité. Il faudrait en parallèle augmenter de beaucoup la quantité de logements « hors marché spéculatif », avec des mises en chantier et l’achat d’immeubles locatifs déjà existants.

D’ici 2026, on propose de créer 8000 unités « hors marché », grâce à 3500 acquisitions (faites par des OBNL et des organismes paramunicipaux) et 4500 constructions neuves.

Cela équivaudrait à retirer 8 % des logements montréalais du marché spéculatif.

La cible a été fixée à 60 000 unités d’ici 2034 (12 % du marché) et 224 000 unités d’ici 2050 (20 % du total). C’est louable et cela s’est déjà vu ailleurs, comme à Vienne, en Autriche.

Pour se matérialiser, le plan montréalais exigerait des contributions majeures des ordres supérieurs de gouvernement. Et si l’on se fie à la tendance récente, c’est loin d’être dans la poche. Mais c’est nécessaire de viser haut, au vu de la crise du logement qui s’aggrave de mois en mois. On parle ici d’un plan de longue haleine.

À court terme, la Ville doit (enfin) embrayer et respecter sa promesse d’accorder plus vite des permis. Cela fait partie des leviers qu’elle possède déjà et ça n’exigera aucun investissement de Québec ou d’Ottawa. C’est à portée de main.

Montréal compte aussi injecter 3 millions de dollars, sur trois ans, à partir de 2025 pour aider des organismes communautaires à démarrer leurs projets de logements abordables, a-t-on appris mardi.

Trois millions. Sur un budget de 7 milliards. L’an prochain.

C’est peu et c’est loin, mais c’est déjà ça de pris.

1. Lisez « Des délais interminables » 2. Lisez « Ce n’est pas satisfaisant, c’est inacceptable »