C’est l’équivalent urbain d’un banlieusard qui nettoie son entrée d’auto à grand coup de boyau d’arrosage.

Quelques litres d’eau plus tard, et le tour est joué : la saleté a disparu.

Voilà à quoi m’a fait penser cette vidéo devenue virale depuis 48 heures. Celle d’un commerçant du Quartier chinois de Montréal, excédé par la présence récurrente d’un sans-abri, qui a pris les choses en main : il lui a lancé un bol d’eau au visage pour le chasser1.

Splash, on sort les vidanges !

Il y a un contexte, bien sûr. L’homme aspergé aurait pris l’habitude de dormir à l’entrée de cet établissement. Des clients auraient été apeurés par son comportement erratique. La police aurait été appelée plusieurs fois, sans trop de résultats.

Les prochains jours nous donneront peut-être des réponses.

Mais rien ne justifie selon moi de traiter les itinérants comme des déchets qu’on jette à la rue (où ils vivent déjà, de toute façon). Encore moins de se filmer pendant l’acte, sourire au visage, comme si on était dans un documentaire animalier.

Quelle époque.

Stupidité ou pas, la crise de l’itinérance est plus aiguë que jamais, plus personne ne peut le nier. À Montréal et dans des dizaines de villes partout au Québec.

J’entendais mardi au micro de Paul Arcand la responsable d’un organisme de Saint-Jérôme, dans les Laurentides, raconter que le nombre de sans-abri qui recourent à ses services a quadruplé ces derniers temps.

Quadruplé !

Comme bien des citadins, je ne m’émeus plus de voir des gens fumer du crack en plein jour. Je ne sourcille plus devant ces campements sauvages qui poussent aux quatre coins de ma ville. Je me suis habitué au criage intempestif en pleine rue.

Cela dit, je comprends tout à fait l’exaspération des commerçants et résidants qui en subissent les contrecoups en première ligne, au quotidien. Elle s’exprime parfois de façon disgracieuse, comme dans le Quartier chinois.

Mais c’est un fait : la cohabitation avec des personnes en crise de santé mentale, ou lourdement intoxiquées, ou souvent les deux, est de plus en plus pénible.

Chacun réagit à sa manière à cette nouvelle réalité.

J’ai eu un échantillonnage assez fascinant de la perception des sans-abri depuis lundi. J’ai raconté dans une chronique l’histoire de Vicky Harvey, ex-droguée et ex-prostituée, mère de quatre enfants, taularde repentie, qui a passé trois ans dans la rue avant de retomber sur ses pattes2.

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Vicky Harvey a raconté à notre chroniqueur son parcours vers la rue et, surtout, comment elle en est sortie.

Les dizaines de courriels que vous m’avez envoyés vont dans toutes les directions. Ils oscillent entre le jugement le plus brutal et définitif quant à son parcours et l’admiration la plus sincère devant sa réhabilitation.

Je vous en livre quelques-uns en vrac.

Les plus tranchants estiment que les gens comme Vicky Harvey n’ont qu’eux-mêmes à blâmer pour leurs problèmes. « Les itinérants qui sont toxicomanes ont souvent un comportement plutôt animalier mettant à risque les victimes innocentes par leur manque de contrôle ; ils s’en foutent des gens qui vivent autour d’eux », m’a écrit un lecteur.

« Si une personne veut monter les marches de l’escalier vers son salut, aidons-la et accompagnons-la, juge un autre. Si elle veut descendre les marches vers la cave et l’enfer, je me dis qu’elle le fasse toute seule. Nous n’avons pas à l’accompagner et dépenser en ressources de toutes sortes pour ça. »

La plupart saluent le témoignage de la femme de 42 ans, maintenant employée de cafétéria, qui a permis de mettre un visage sur l’itinérance. Certains m’ont raconté leur propre expérience avec la rue – et la façon dont ils ont eux aussi réussi à s’en extirper.

Une lectrice m’a raconté comme elle avait passé des mois « sur un banc » de la Place Dupuis, et les huit années suivantes à bourlinguer d’un sofa à l’autre. C’est l’obtention d’une place dans une maison de chambres qui lui a permis de se relever, petit à petit.

« L’itinérance stigmatise profondément ceux qui la vivent et nous avons tous besoin de savoir que “ça peut arriver à n’importe qui” et que nous ne sommes pas seuls, que d’autres aussi traversent des épreuves semblables aux nôtres », m’a-t-elle écrit.

Le fait de pouvoir parler de tout ça est sain, même si c’est dérangeant.

La polémique déclenchée depuis deux jours, à la suite de la diffusion de la vidéo virale du Quartier chinois, aura aussi du bon, j’ose espérer. Elle permettra, peut-être, de vider le sujet délicat de la cohabitation forcée entre les citoyens « logés » et ceux qui ne le sont pas.

Une situation avec laquelle il faudra apprendre à (mieux) vivre, qu’on le veuille ou non.

1. Lisez l’article « Une vidéo suscite l’indignation » 2. Lisez la chronique « Drogue et itinérance : “Ça peut arriver à n’importe qui” »