En pleine crise du logement, il faut s’armer de patience pour construire en neuf à Montréal : depuis 2019, les délais afin d’obtenir un permis ont plus que doublé au centre-ville et dans d’autres arrondissements.

C’est ce que révèlent des données de la Ville, obtenues par La Presse, qui apportent un éclairage inédit sur le ralentissement des mises en chantier dans la métropole.

En moyenne, en 2023, l’arrondissement de Ville-Marie mettait 18 mois à autoriser les nouvelles constructions, contre 7 mois avant la pandémie. L’attente est encore plus longue dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve : plus de 20 mois en moyenne l’an dernier.

Dans les deux cas, ces délais sont très largement attribuables aux autorités municipales, et non pas aux demandeurs, indique le tableau préparé par Montréal et diffusé dans le cadre d’une demande d’accès à l’information.

Par ailleurs, il fallait plus d’un an, en moyenne, pour obtenir un permis pour une nouvelle construction dans Lachine, LaSalle, Le Sud-Ouest et Le Plateau-Mont-Royal.

La situation pousse des promoteurs à renoncer à Montréal, selon l’homme d’affaires bien connu Luc Poirier. Lui-même a mis une croix sur l’idée de bâtir dans la métropole.

Chaque jour qui passe, ça coûte beaucoup d’argent à un promoteur immobilier.

L’homme d’affaires Luc Poirier

« La délivrance des permis est un frein majeur. [Un délai hypothétique de] trois ans en immobilier, c’est le jour et la nuit », a dénoncé M. Poirier, en entrevue téléphonique.

« Quand on développe un projet, on regarde si on met notre argent à Montréal ou, mettons, à Ottawa, où le marché est plus intéressant pour construire », a-t-il ajouté.

« Faire démarrer plus rapidement les bons projets »

L’administration Plante a refusé la demande d’entrevue de La Presse sur ces nouvelles données.

« Tout le monde s’entend : on doit faire démarrer plus rapidement les bons projets immobiliers en délivrant des permis de construction dans des délais les plus courts possibles », indique une déclaration écrite transmise par le cabinet de la mairesse au nom du responsable de l’habitation au comité exécutif, Benoit Dorais.

« Présentement, il n’existe pas de processus uniformes pour calculer le délai d’obtention d’un permis et ça nuit à la prévisibilité attendue par les promoteurs, continue le texte. On doit leur offrir de la simplicité, de la rapidité, et de l’uniformité quant à l’émission des permis. »

L’administration s’est engagée à passer à l’action dès ce mardi, avec l’annonce officielle du résultat du Chantier Montréal abordable (voir autre texte).

L’opposition officielle à l’hôtel de ville de Montréal a tiré à boulets rouges sur la performance actuelle en matière de délais.

« Alors que la Ville de Montréal devrait travailler à augmenter rapidement l’offre pour remédier à la crise de l’habitation, il est aberrant et préoccupant de constater que l’obtention d’un permis de construction est plutôt un chemin de croix, a indiqué Aref Salem dans une déclaration écrite. Au lieu d’accélérer leur délivrance comme promis en 2021 par l’administration Plante, la situation empire d’année en année. »

« Difficulté de planification pour les développeurs »

Guillaume Pelegrin, un avocat en droit municipal du cabinet Fasken, s’intéresse aux délais de délivrance des permis.

Quand on regarde un arrondissement comme Ville-Marie, la situation est extrêmement préoccupante.

Guillaume Pelegrin, avocat en droit municipal du cabinet Fasken

« C’est à l’avant-plan depuis plusieurs années, ces questions-là, a-t-il dit en entrevue téléphonique. Il y a eu beaucoup d’efforts qui ont été mis par les administrations municipales pour accélérer la délivrance de permis. Mais force est de constater, lorsqu’on regarde les statistiques, que ce n’est pas le cas. »

À son avis, ces délais ont des impacts concrets sur la capacité de promoteurs immobiliers de mettre des logements sur le marché.

« Un des principaux enjeux des retards, c’est une difficulté de planification pour les développeurs. On ne compte plus le nombre de projets pour lesquels ça a été tellement long que les conditions de marché ont changé », a continué l’avocat.

Même son de cloche du côté de l’Institut de développement urbain du Québec (IDU), qui porte la voix des promoteurs immobiliers.

« On ne veut pas construire n’importe quoi », a assuré sa porte-parole Isabelle Melançon, convenant que les dossiers devaient être analysés avant la délivrance d’un permis. Mais ces délais sont exagérés, a-t-elle continué : « On nous dit qu’il faut bâtir plus, qu’il faut bâtir plus vite. Comment est-ce qu’on arrive à ça ? Ce n’est sans doute pas avec des délais interminables qu’on peut y arriver. »

La Presse avait rapporté l’automne dernier des données fournies par Montréal qui montraient aussi une augmentation des délais d’attente pour obtenir un permis. Ces statistiques amalgamaient toutefois les demandes de permis de construction et les demandes de permis de transformation, ce qui réduisait de façon importante les moyennes.