Chaque année, 5000 enfants poussent la porte du Centre de réadaptation Marie Enfant, qui célèbre son 75e anniversaire cette année. Ils y reçoivent des services spécialisés qui, dans bien des cas, leur permettent d'aller au bout de leurs limites, et même de les oublier. Tania, Samuel et Yann en sont. Ils nous racontent leur histoire.

Quand il sera grand, Yann aimerait être un joueur de soccer professionnel ou un journaliste à la télévision. Comme son père. Il aime bouger, mais il adore par-dessus tout la lecture. Il a dévoré les romans fantaisistes Amos Daragon, la série Harry Potter et le premier tome de la trilogie Hunger Games, destiné à des lecteurs plus âgés que lui. «Une pile de livres haute comme ça», lance-t-il, en ouvrant grand les bras.

Le handicap de Yann est invisible, mais il est bien là, omniprésent. Il souffre de dyspraxie verbale. Chaque mot bien prononcé est pour lui une petite victoire. «Je sais les mots dans ma tête, mais ils ne sortent pas bien», résume Yann.

La dyspraxie verbale est un trouble moteur d'origine neurologique plutôt rare (0,125%) dont on connaît mal les causes. L'enfant n'arrive pas à planifier, exécuter et coordonner les mouvements pour produire la parole. L'atteinte peut également se situer à un niveau non verbal. L'enfant peut alors avoir de la difficulté à boire, à mastiquer et à contrôler sa salive. On parle alors de dyspraxie orale ou bucco-faciale. «Lorsque l'atteinte est sévère, il est possible de travailler avec des moyens alternatifs de communiquer comme les appareils de communication électroniques. Le plus souvent, ces derniers sont utilisés de manière temporaire. La parole se développera avec une progression différente selon chaque enfant», indique Judith Labonté, orthophoniste au Centre de réadaptation Marie Enfant.

Vers l'âge de 2 ans, alors que les bambins papotent allègrement, Yann parlait peu. «En fait, il s'exprimait beaucoup, mais personne ne le comprenait. Je me disais que ce n'était pas grave, un retard de langage qui finirait par débloquer. Je pensais que tout tomberait en place», raconte sa mère, France Longtin. Encouragée par des proches, elle a finalement consulté.

Diagnostic

Un peu avant 3 ans, Yann a reçu un diagnostic de dyspraxie verbale. Il prononçait le même mot de diverses façons. Quand il souhaitait dire gâteau, il disait plutôt «gago», «tato» ou «pato». Au lieu de cheval, il disait «eba», «leva». Il mêlait le «gue» et le «ke». «On me faisait toujours répéter. On riait de moi et ça finissait par me fâcher», raconte-t-il.

Yann a été suivi en orthophonie de façon régulière jusqu'à l'âge de 6 ans, en 2010. Il a participé à sa thérapie comme il joue au soccer: en y mettant tout son coeur. Avec son orthophoniste, il a appris à prononcer les sons correctement, en y associant des illustrations et des gestes. «Une fois les mots isolés maîtrisés, on les intégrait dans des phrases de plus en plus complexes.» Une thérapie de longue haleine. Après chaque séance, il recevait un autocollant ou une carte de hockey. Dans une petite boîte, il garde sa précieuse collection. «J'en ai plus de 100!», dit-il.

Persévérance

Selon Judith Labonté, la personnalité de Yann n'est pas étrangère à sa progression impressionnante. «J'aime dire que c'est mon athlète de la parole. S'il s'est amélioré à ce point, c'est en grande partie en raison de sa détermination et de son intelligence.»

À la maison, ses parents n'ont jamais lâché prise. Chaque réunion familiale devenait une occasion de mettre en pratique les techniques apprises. «On parlait beaucoup, on l'invitait à s'exprimer. On le corrigeait et, surtout, on lui disait de ralentir le débit.» À l'école, l'enseignante y mettait aussi du sien. En maternelle, il a réussi à faire une excellente présentation orale sur le patineur de vitesse François-Olivier Roberge. Un progrès qui, pour lui, avait tout de l'exploit sportif.

Tout n'est pas gagné. La dyspraxie verbale, même si elle est légère, est là à vie. Yann doit utiliser des trucs appris en thérapie, se contrôler. «Des fois, il est super excité et les mots sortent un peu écorchés», dit sa mère.

Aujourd'hui, dans sa classe de 3e année, il lève souvent la main pour s'exprimer. Sans gêne. Plus personne ne lui demande de répéter. «Sauf quand j'ai le rhume», dit-il à la blague.

Quand consulter?

«Les parents sont ceux qui connaissent le mieux leur enfant. S'ils s'inquiètent et soupçonnent un retard de langage, ils devraient consulter via le CLSC. Dès l'âge de 2 ans, on peut intervenir. Plus on intervient tôt, meilleures sont les chances d'obtenir de bons résultats.»

-Judith Labonté, orthophoniste

Sensations fortes et petits plats



Sur les pentes du mont Tremblant, Samuel file à vive allure, la poudreuse au visage. Il adore les sensations fortes. Son père n'arrive même plus à le suivre. «C'est énergisant de sentir la vitesse, de se sentir en contrôle.» Samuel fait du ski en position assise, en «biski». Atteint de paralysie cérébrale, il ne marche pas. Et après?

Né à 27 semaines, Samuel est un grand prématuré. Il a été sauvé in extremis, mais il a gardé des séquelles physiques. Il fréquente le Centre de réadaptation Marie Enfant depuis toujours. «Tout le monde me connaît! Depuis ma naissance ou presque, on m'a poussé à aller au bout de mes limites.» Des heures et des heures d'entraînement qui se sont transformées en autonomie.

Aujourd'hui, Samuel s'habille seul. Il est capable de se cuisiner de bons petits plats. Dans sa routine, tout est plus long à exécuter. Il apprend à en profiter. «J'optimise mon temps en faisant plusieurs choses à la fois. Quand je prends ma douche, je fais jouer une lecture de Stanford.» Mettre son pantalon peut ressembler à une acrobatie, mais il le fait les yeux fermés. «Avec l'aide des physiothérapeutes, j'ai renforci mes abdominaux, mes jambes et développé des techniques qui me permettent d'être fonctionnel. Chaque petite intervention a un effet papillon. J'ai une vision de la vie qui me mène à ignorer mon handicap. Parfois, je l'oublie totalement.»

Il est mordu d'escrime et souhaite un jour obtenir un doctorat en physique théorique ou en génie informatique. Il fera son entrée au cégep en octobre. Une équipe du Centre de réadaptation Marie Enfant a préparé le terrain pour faciliter son intégration. Ça va de la rampe d'accès à la hauteur du bureau.

«Le principal défi reste la réception humaine, dit le père de Samuel, François Huppé. Quand les gens voient une personne handicapée, ils sont démunis. Pour eux, c'est parfois trop de défis, ils préfèrent se fermer. On a dû insister pour l'intégrer à une classe enrichie. Il écrit plus lentement que les autres, mais il n'en est pas moins intelligent.» Samuel n'a jamais senti qu'on le traitait différemment.

Ses parents sont proactifs. Ils ouvrent toutes les portes avec Samuel. Ils voient toujours deux ans d'avance. Ils viennent d'inscrire Samuel à un cours de conduite.

Samuel ne rêve pas de marcher. «Chaque jour a ses défis, j'apprends à vivre avec. Ça m'a permis de mûrir plus vite. Je peux dire que j'ai une vie unique. Je perçois les choses différemment.» Ses parents aussi. Dans la cathédrale de Séville, un étroit escalier en colimaçon donne accès à un point de vue unique. Quand les touristes ont vu le trio québécois qui s'apprêtait à faire demi-tour, ils ont d'un élan spontané dégagé l'escalier pour leur donner un accès privilégié. «Avec Samuel, la vie nous réserve toujours des surprises, de belles surprises», souligne sa mère, Louise Arsenault.

Faciliter l'intégration

«Une équipe multidisciplinaire assure un lien entre la direction scolaire et les besoins de l'enfant. On sensibilise le personnel en place aux accommodements nécessaires, on rassure le personnel. On voit où sont les défis, quels équipements doivent être modifiés ou ajoutés.»

- Sylvie Thibault, coordonnatrice clinique

Photo: Robert Skinner, La Presse

Samuel Huppé, 17 ans.

Des lunettes roses



Tania brûle d'impatience de recevoir son fauteuil roulant motorisé. Un fauteuil mauve qu'elle attend depuis quelques mois déjà. Elle pourra enfin se déplacer seule, sans l'aide de personne. Elle vient de faire son entrée au secondaire, c'est sa meilleure amie qui fait rouler son fauteuil d'une classe à l'autre.

Tania a cessé de marcher à 7 ans. Elle souffre d'amyotrophie spinale. C'est une maladie neuromusculaire dégénérative rare, qui touche environ un enfant sur 6000. Les nerfs cessent d'envoyer aux muscles l'ordre de bouger. Les muscles, inactifs, s'atrophient peu à peu. Les membres inférieurs sont principalement atteints. Quand l'atteinte est très sévère, les muscles du système respiratoire sont touchés. Le bébé peine à téter et à déglutir, même à se défendre contre des infections respiratoires. L'espérance de vie des petits est alors réduite. Une maladie génétique héréditaire. Pour chaque grossesse, il y a un risque sur quatre de transmettre la maladie.

Tania a commencé à marcher vers 8 mois. «Elle ne marchait pas comme les autres enfants, elle avançait doucement, se dandinait. Ça ne nous inquiétait pas. Puis, vers 15 mois, elle a commencé à tomber sans raison. On savait que quelque chose clochait. On ne pensait pas que c'était si grave», indique sa mère, Generosa Calerose.

Le diagnostic est tombé quelques semaines avant le deuxième anniversaire de Tania. Depuis, elle est suivie en physiothérapie. Malgré tous ses efforts, la maladie a pris le dessus avec les années. Une fracture du tibia, à 7 ans, a accéléré la dégénérescence.

«Les marcheurs faibles ont plus de risques de chute. La période d'immobilité est particulièrement difficile lors d'amyotrophie spinale, les muscles perdent de la force et de l'endurance plus rapidement. Dans le cas de Tania, il a fallu une intervention intense pour tenter de regagner ce qu'elle avait perdu», explique Jean-François Aubin-Fournier, physiothérapeute.

«Tania a mis quatre mois à récupérer, avant qu'elle puisse se tenir sur sa jambe», se rappelle sa mère. Pendant un moment, elle a réussi à se déplacer avec appuis. À l'aide de sa marchette, elle faisait six pas et s'assoyait. Rapidement, la marche est devenue impossible.

«Ça me fait bizarre de ne plus pouvoir marcher, confie Tania. J'avançais comme un pingouin, c'était drôle. J'aimerais marcher de nouveau, mais mes muscles sont trop faibles.» Plus elle avance en âge, moins Tania est mobile. Elle est désormais confinée à son fauteuil du matin au soir.

Récemment, elle a grandi d'un coup. «L'adolescence est une période difficile. Les membres sont soudainement plus longs, plus lourds, plus difficiles à bouger.Il y a beaucoup de pertes», dit le physiothérapeute.

Sa mère travaille à temps partiel et s'occupe d'elle. Elle doit l'aider pour son hygiène personnelle et la soulever. Tania n'y arrive plus seule. C'est beaucoup d'énergie.

Parce qu'elle est toujours en position assise, Tania a maintenant une scoliose. «La maladie monte aussi dans les bras. Elle ne peut plus porter des choses lourdes», indique sa mère.

Malgré sa condition qui régresse, Tania ne s'en fait pas. Elle préfère voir la vie en rose. Rose comme la déco de sa chambre. Elle rêve d'être dessinatrice de mode. Elle aime jouer à l'ordinateur, regarder Vrak-tv et, surtout, nager. «La piscine, c'est son monde. Elle peut bouger comme elle veut. Elle regagne ce sentiment de liberté, perdu avec le fauteuil.» Jamais, toutefois, sa différence a été un poids. Encore moins à la piscine.

La piscine, une alliée

«On favorise beaucoup la piscine avec Tania. Ça lui permet de se mettre en position debout, sans gravité, sans risque de tomber. Ça fait travailler le corps en entier. Même quand des personnes sont depuis longtemps confinées au fauteuil, elles peuvent profiter de la thérapie dans l'eau.»

- Jean-François Aubin-Fournier, physiothérapeute

Photo: André Pichette, La Presse

Tania Da Cruz, 12 ans.