(Detroit) Lane Hutson vivra, dans les 48 prochaines heures, un apprentissage en accéléré : le jeu de la LNH, la routine d’un jour de match chez les pros, mais aussi les voyages en avion nolisé plutôt qu’en autobus, et les 20 000 spectateurs dans les gradins plutôt que 5000.

Le défenseur au visage d’enfant apprendra aussi à s’intégrer à un vestiaire déjà soudé. Il devra faire gaffe de ne pas trop écraser d’orteils, même si, ultimement, un joueur qui a plus de vécu que lui se retrouvera dans les gradins pour lui permettre de jouer.

Si cet apprentissage commence dimanche, ça se fera ailleurs qu’à l’aréna, puisque les joueurs du Canadien ont congé d’entraînement, afin d’explorer les recoins de la métropole du Michigan. Ou d’aller au baseball, c’est selon.

Il restera donc à Hutson l’entraînement matinal de ce lundi, de même que les matchs de ce lundi soir à Detroit et mardi à Montréal.

Gagner le respect

En raison du calendrier de la NCAA, qui se conclut quelque part en mars pour l’écrasante majorité des clubs, les joueurs issus de ce réseau vivent généralement cette arrivée chez les pros en fin de saison.

Jordan Harris est passé par là il y a deux ans. Le défenseur s’était entendu avec le Canadien le 26 mars 2022, soit un bon mois avant la fin de la saison. On l’avait invité directement avec le grand club. Son audition avait duré 10 matchs, et il faut croire qu’elle avait été convaincante puisqu’il n’a, à ce jour, jamais joué dans la Ligue américaine.

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Jordan Harris

Laissé de côté lors des trois premiers matchs, il avait finalement été inséré dans l’effectif le 2 avril à Tampa, en lieu et place de Chris Wideman. Harris est bien tombé, puisque Wideman traîne la réputation d’un coéquipier avenant. Harris assure donc que personne ne lui a fait sentir qu’il « volait » le poste d’autrui.

Il y a un certain nombre de joueurs qui peuvent jouer. Parfois, tu joues. Parfois, tu es exclu. C’est la nature du hockey, c’est ce qui le rend si compétitif, surtout à ce niveau.

Jordan Harris

Si Harris était un choix de 3tour, Mike Matheson, lui, arrivait dans l’organisation des Panthers de Floride en tant que choix de 1er tour, en avril 2015. Mais c’est dans le club-école, à San Antonio, qu’il a conclu la saison, disputant cinq matchs. C’est aussi dans la LAH qu’il a passé la quasi-totalité de la campagne suivante.

Le Pointe-Clairais convient que l’arrivée d’un jeune en fin de saison peut causer un certain « inconfort ».

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Mike Matheson

« Mais je pense que les gars le comprennent et savent que ça arrive chaque année, ajoute Matheson. Le gars qu’ils ont tassé pour moi a peut-être eu cette chance quand il était plus jeune. Ce n’est pas facile, mais quand tu as ta chance, tu dois oublier le reste. »

La recrue a cependant son bout de chemin à faire pour s’assurer le respect de ses pairs. « Tu dois être très respectueux, être conscient que tu es la recrue et que les autres sont des vétérans, poser des questions et travailler fort. Tu dois montrer que tu veux apprendre. »

Mais sur la glace, tu dois saisir ta chance.

Mike Matheson

En mars 2019, Johnathan Kovacevic avait lui aussi débarqué dans la LAH. Mais lui a mangé son pain noir, si bien que ce choix de 3tour des Jets de Winnipeg n’a jamais vraiment eu à se demander s’il volait le poste d’un vétéran.

« Ils n’ont laissé personne de côté, car c’était moi, le joueur en trop ! se souvient le grand Ontarien. J’ai seulement joué le dernier match de l’année, une fois que l’équipe était éliminée. C’était la mentalité là-bas : tu devais le mériter. Tu ne vas pas juste arriver de l’université comme ça. Mais si j’avais été un choix de 1er tour, j’aurais sûrement joué !

« Les Jets voulaient que je crée des relations avec les gars, les entraîneurs, et que je m’habitue au calendrier, aux voyages. C’était difficile. Tu arrives, tu ne sens pas que tu fais partie de l’équipe, car tu ne connais personne et tu n’étais pas là de l’année. Comme je restais plus tard sur la patinoire pour des exercices supplémentaires, je me sentais comme un étranger. Mais à la fin du mois, j’avais créé des relations, et une fois au camp l’automne suivant, ça m’a vraiment aidé, je connaissais les gars, les coachs. »

Réticences

Nos joueurs sondés gardent donc de bons souvenirs de leur arrivée chez les pros, mais il reste que, quelque part, quelqu’un en fait les frais.

Ça peut être un vétéran laissé de côté. Dans le cas de Hutson, son arrivée pourrait signifier le renvoi de Justin Barron à Laval. Ça peut aussi signifier qu’un joueur qui a passé la saison entière dans la LAH, espérant un rappel en fin de saison, n’obtiendra pas la récompense espérée. Et la spectaculaire augmentation salariale qui vient avec.

Tout ça pour dérouler le tapis rouge à des joueurs de la NCAA, qui arrivent souvent en position de force. S’ils sont contrariés par l’équipe qui les a repêchés, ils peuvent soit rester à l’université en attendant que les droits de leur équipe expirent, soit laisser savoir à ladite équipe qu’ils n’ont pas l’intention de s’amener. C’est ce qu’avait fait Adam Fox, par exemple, avec les Flames puis les Hurricanes, pour finalement aboutir chez les Rangers.

Les gars ont de la perspective. Tu sais que c’est de cette façon que tu peux offrir des contrats et bâtir ton organisation.

Johnathan Kovacevic

Dans notre balado Sortie de zone du 8 mars dernier, l’évocation de l’aménagement nécessaire pour l’arrivée de Hutson à Montréal avait fait bondir notre collaborateur Antoine Roussel. Son commentaire ne visait pas Hutson spécifiquement, mais plutôt la façon de faire avec les joueurs universitaires.

« Moi, ça me pue au nez, qu’un joueur du collège qui n’a rien fait… on lui donne… pas les clés de la ville, mais une chance que d’autres n’ont pas, tout ça pour négocier un contrat. Comme vétéran, oui, ça me dérangeait. Tu vois des jeunes qui travaillent fort dans la Ligue américaine, qui veulent cette chance et qui ne l’ont pas. C’est bancal et ça fait en sorte que ton organigramme en souffre. »

Le 26 mars 2023, Sean Farrell avait signé son contrat d’entrée avec le Canadien, après deux fructueuses saisons à l’Université Harvard. Martin St-Louis s’était montré particulièrement irrité après avoir été interrogé pour savoir pourquoi il rentrait dans sa formation, au lendemain d’une victoire du Tricolore. Comme un participant à Ultimatum, il avait utilisé son ricochet pour renvoyer la question à son directeur général. « C’est une question pour Kent », avait-il sèchement répété.

À première vue, il semble toutefois que Lane Hutson sera accueilli avec cordialité. Lorsque la nouvelle de la signature de son contrat s’est ébruitée, il a reçu des textos de bienvenue de Matheson et du capitaine du CH, Nick Suzuki, entre autres. « Tu vois que cette équipe a une très bonne culture », estime Sean Coffey, l’agent de Hutson.

Avec Simon-Olivier Lorange, La Presse