Seule comme plus de 17 millions de Canadiens, notre journaliste en a eu assez de chercher l’âme sœur. Après mûre réflexion, elle s’offre un moment d’interruption : 50 jours sans la moindre drague. L’occasion de lancer la réflexion au sujet des applications de rencontres, de l’abstinence et de la sexualité avec des experts et de nombreux célibataires. Survol d’un sujet qui ne laisse personne indifférent.

L’abstinence volontaire

Dans le film américain 40 Days and 40 Nights, le personnage principal choisit de ne pas avoir de relation sexuelle pendant 40 jours. Notre journaliste s’en est inspirée : 50 jours sans bisou, sans drague ni plaisir solitaire. Une expérience qui l’a menée à s’interroger sur l’abstinence sexuelle, un sujet de moins en moins tabou.

Qu’est-ce qui peut bien mener une personne à souhaiter prendre une pause et éviter toute relation intime pendant un long moment ?

Au fil de l’été, une vingtaine de personnes nous ont fait part de leur expérience de célibat volontaire. Les raisons évoquées sont nombreuses : rupture amoureuse difficile, frustration de ne pas rencontrer la bonne personne, vie sexuelle trop active, désir de changer ses schémas répétitifs, etc.

« Si l’abstinence est choisie, on peut s’attendre à ce qu’elle procure des effets positifs », dit le Dr Johan Autruc-C., psychologue.

Lyne Trépanier, 47 ans, a vécu des périodes d’abstinence volontaire et involontaire, qui ont duré entre 11 et 27 mois.

« Ce n’est vraiment pas le même sacrifice. Quand c’était volontaire, je ne réalisais même pas le temps qui passait. Mais [lorsque c’était involontaire], je comptais les mois et j’étais frustrée », dit-elle.

Lorsque les périodes étaient voulues, Lyne Trépanier n’en a ressenti que des effets positifs, dont la sensation de se rechoisir, de renouer avec elle-même.

D’ailleurs, ce qui ressort des témoignages recueillis, ce sont les nombreux aspects bénéfiques de cette pause, surtout lorsqu’elle est choisie. Nous les avons aussi ressentis. Épanouissement, cheminement personnel, nouveau départ, meilleure estime de soi, énergie redoublée sont des termes régulièrement utilisés.

Contrairement à ce que nous pensions, la difficulté de respecter l’abstinence n’a pratiquement jamais été évoquée. « Puisque c’est un choix, les personnes ont souvent en tête un objectif et donc elles donnent un sens à tout ça. Elles considèrent que ça va leur être utile », dit le psychologue Johan Autruc-C.

Reprendre sa vie en main

À la suite d’une recommandation de son psychologue, Monique*, 30 ans, célibataire et mère de deux enfants, a choisi de vivre l’abstinence pendant trois mois, en se donnant tout de même le droit à la masturbation.

« Mon psy m’a dit que j’étais dépendante affective et que pour m’en sortir, je devais arrêter de voir des hommes, de boire de l’alcool, et effacer tous mes profils sur les applications et réseaux sociaux, même Facebook », confie-t-elle.

Elle a pris cette décision après avoir eu des relations sexuelles avec différents partenaires sur une courte période, souvent ivre, alors que les lendemains étaient pénibles autant moralement que physiquement. Il fallait que ça cesse, se disait-elle.

Cette pause — même si elle avoue que ce fut très difficile et qu’elle a beaucoup pleuré — fut, au bout du compte, positive : elle a brisé son schéma malsain et se dit plus épanouie, en plus d’avoir une meilleure confiance en elle.

Elle a aussi une nouvelle règle : elle doit avoir vu un homme cinq fois avant de faire l’amour avec lui. « J’ai appris à protéger mon temple », dit Monique, en faisant référence à ses parties intimes.

La gynécologue et candidate au doctorat en sexologie Élise Dubuc est d’avis que l’abstinence sexuelle ou la décision « d’apprendre à connaître quelqu’un avant d’avoir une relation sexuelle » peuvent notamment redonner de la valeur à l’acte sexuel, comme c’est le cas pour Monique.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La sexologue Geneviève Labelle

Se choisir

La sexologue Geneviève Labelle ne pense pas que tout le monde doive, à un moment dans sa vie, s’imposer une période d’abstinence sexuelle. « Je ne sais pas si c’est nécessaire de la forcer, mais je pense que, des fois, c’est nécessaire de forcer de l’autre côté. C’est-à-dire de se donner le droit d’avoir une période où il n’y a personne dans notre vie », explique-t-elle.

D’ailleurs, elle croit que la plupart des gens qu’elle a rencontrés qui choisissent le célibat le font « en réaction à une recherche difficile de partenaire ».

Dans la plupart des cas, je pense qu’on parle de gens qui décident d’investir leur énergie ailleurs en se disant : si ça arrive, ça arrivera. Ce qui n’est pas une mauvaise stratégie.

Geneviève Labelle, sexologue

C’est exactement l’état d’esprit de Kasey Christie. Exaspérée par « l’immaturité » des hommes qu’elle rencontrait, elle a choisi de ne plus investir d’énergie dans ce domaine, sans toutefois avoir préalablement déterminé une période de temps. Ça a donc commencé par un an, qui s’est prolongé à deux ans, et puis à trois. Treize ans plus tard, elle a toujours un statut de célibataire volontaire.

« Je pense qu’avant, je ne m’aimais pas. Je m’oubliais dans les relations. Maintenant, je suis bien. Je suis épanouie, je suis très bien entourée, entre autres grâce à de bons amis », dit cette propriétaire de bar.

À 43 ans, Kasey Christie ne dit pas qu’elle a complètement mis une croix sur l’amour, mais c’est loin d’être un objectif de vie.

Même chose pour Alexandre*, abstinent depuis quelques années, puisqu’il ne veut plus être déçu par les femmes. L’homme dans la trentaine ne ferme pas la porte à une éventuelle relation, mais il n’y met ni temps ni énergie.

« J’ai l’impression que la spécificité de notre époque tient beaucoup au regard que l’on porte sur le célibat, note Johan Autruc-C. Aujourd’hui, dans bien des milieux, le célibat est moins vu négativement qu’auparavant. D’où notre tendance à davantage considérer le célibat et le voir comme quelque chose de positif. »

Détox émotionnelle

Le Dr Habib Sadeghi est connu comme étant le « médecin émotionnel des plus grandes stars d’Hollywood » comme Javier Bardem, Jessica Chastain, Anne Hathaway et Gwyneth Paltrow. Dans son best-seller Détox émotionnelle, il propose une méthode pour trouver « la clarté » ou, en d’autres mots, « libérer notre corps et notre esprit de toutes les toxines émotionnelles qui l’encombrent ».

Habib Sadeghi explique l’importance que peut prendre une pause des relations affectives et sexuelles pour travailler sur soi, apprendre à cultiver sa richesse intérieure ou réfléchir à nos schémas amoureux (lorsqu’ils sont nocifs).

« Même en déployant beaucoup d’efforts pour trouver l’amour, on restera bredouille à coup sûr si des obstacles internes nous empêchent de l’accueillir », peut-on lire.

« Prendre une pause est effectivement une façon de faire une certaine prise de conscience, entre autres, si on souhaite changer certains de nos schémas ou certaines habitudes », souligne le psychologue Johan Autruc-C.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.

Dire non aux applis

PHOTOMONTAGE JULIEN CHUNG, LA PRESSE/PHOTOS GETTY IMAGES

Au printemps dernier, alors que la sève montait dans les arbres, nous avons repris le statut de « célibataire sans aucune attache ». La question s’est alors imposée : swiper ou ne pas swiper ?

Puisque les applications de rencontres jouissent d’une immense popularité, bien des célibataires se posent la question : devraient-ils plonger dans cet univers ? Au moment où nous nous préparions à télécharger l’application Tinder sur notre téléphone, la lecture du livre L’amour sous algorithme, de Judith Duportail, a semé un doute dans notre esprit.

Cette auteure française y raconte ses quatre années d’enquête sur l’application de rencontres en ligne. Curieuse, elle a voulu comprendre les dessous de l’application, connaître les traces qu’elle y avait laissées. L’entreprise lui a remis le dossier lié à son profil, une brique de 800 pages qui contenait toutes les conversations qu’elle avait eues sur Tinder, les photos qu’elle avait publiées sur les réseaux sociaux et beaucoup, beaucoup d’autres informations personnelles.

« Je me suis rendu compte de tout ce que je révélais sur moi à cette entreprise. Et à quel point c’était facile de lire en moi, de connaître mes secrets, à partir de mes données, de mes conversations et de mes fréquences de connexion », a dit Judith Duportail à La Presse, au printemps dernier.

Elle a appris avec stupéfaction que tous les utilisateurs de Tinder possèdent un « success rate », c’est-à-dire une note selon son degré de désirabilité, tenue secrète des utilisateurs.

« Tous ces scores ont une fonction interne. Ils permettent de nous classer en différents pools », précise-t-elle. Le physique, l’âge, le revenu et le niveau d’études font partie des données évaluées et calculées. L’auteure constate d’ailleurs qu’un homme ayant un bon revenu pourra voir les profils de jeunes femmes ayant un faible revenu… mais que le contraire survient plus rarement.

Même si les responsables de Tinder nient ces allégations, la lecture de ce livre-enquête nous a découragée. A-t-on vraiment envie d’obtenir une note de désirabilité qu’on nous accole à notre insu ? D’avoir la sensation de se retrouver dans un catalogue ?

Dans sa pratique, la sexologue Geneviève Labelle entend d’ailleurs régulièrement des clients parler des inconvénients des applications : « On y rencontre bien des gens, mais il y a combien de rencontres satisfaisantes ? Est-ce que, pour certains, ce ne serait pas mieux de n’avoir rien jusqu’à ce que quelqu’un qui les intéresse se présente dans la vraie vie ? Ce sont des questions à se poser avant de s’inscrire », dit-elle.

« Jouer » sur Tinder

Pour Monique*, comme pour bien des gens, Tinder n’a rien de sérieux. Même si elle est célibataire, elle n’utilise pas cette application pour rencontrer quelqu’un. « Ça m’amuse d’être là-dessus pendant une heure ou deux, juste pour passer le temps. Et ensuite, je me désabonne », avoue-t-elle.

Les abonnés sont nombreux à dire qu’ils « jouent » sur les applications de rencontres et qu’ils ne sont pas là nécessairement pour trouver l’âme sœur.

C’est d’ailleurs pour cette raison que Gabie*, fin trentaine, a choisi, au début de l’été, de fermer son compte Tinder. Après trois mois d’utilisation, la goutte qui a fait déborder le vase a été cette fois où un gars a soudainement cessé de lui répondre après une semaine intense à échanger. Dans le jargon des applications, on dit qu’il l’a « ghostée ».

« Moralement, les applis peuvent nous mettre à risque. Et j’étais trop fragile à ce moment-là dans ma vie pour encaisser tous ces rejets, les uns après les autres », dit cette mère chef de famille monoparentale.

Pour reprendre ses mots, elle a alors décidé « de vivre dans la vraie vie ». Un soir d’août, elle est sortie seule dans un bar où elle a échangé avec trois hommes, dont un avec qui elle a terminé la soirée. « Au moins, je n’étais pas dans mon salon à swiper des faces ! », ajoute-t-elle.

Gabie ne pense pas utiliser à nouveau les applications de rencontres, entre autres parce qu’elle se sent beaucoup mieux avec elle-même depuis qu’elle a fermé son compte. « Se retrouver maître de sa vie, ne plus perdre de temps dans les applications quand ça ne nous convient pas, ça peut nous redonner de l’énergie », dit Geneviève Labelle.

C’est très énergivore d’être sur une application. Il faut savoir si c’est ce qu’on veut faire de notre temps.

Geneviève Labelle, sexologue

Selon le psychologue Johan Autruc-C., les sites de rencontres en ligne sont un outil supplémentaire pour les personnes à la recherche d’une relation amoureuse ou affective. C’est à chaque personne de jauger si c’est fait pour elle.

« Est-ce que certaines personnes font de mauvais usages de ces applications ? On peut dire oui, avance-t-il. Est-ce que, par contre, ça veut dire que ce sont ces applications qui provoquent certaines problématiques chez ces personnes-là ? Pas sûr. Je ne pense pas qu’elles viennent corrompre les relations humaines. »

* Prénom fictif, pour préserver leur anonymat

« Pas de sexe du tout ? »

À une époque où le sexe est omniprésent, pratiquer l’abstinence suscite la curiosité. En tentant l’expérience pendant 50 jours, notre journaliste a pu mûrir sa réflexion et lancer la discussion avec plusieurs femmes.

Annoncer qu’on pratique l’abstinence volontaire suscite un lot de remarques. « Comment vas-tu faire ? », « pas de sexe du tout ? », « mais… pourquoi ? ».

Ce n’est pas le fait qu’on se prive de toute forme de drague qui suscite les exclamations ou les interrogations, mais bien le fait de se priver de sexualité. Et pourtant, nos besoins affectifs sont loin d’être négligeables.

Dans les témoignages recueillis, personne n’a confié avoir de la difficulté à vivre sans relations sexuelles. Bien sûr, dans les premiers jours, cette décision peut susciter des craintes (dont celle d’avoir les hormones dans le tapis), mais elles se dissipent rapidement. Les femmes se disent fières de prendre soin d’elles, de se concentrer sur leurs objectifs, etc.

Il y a aussi des avantages, comme de ne pas ressentir de stress lié à la recherche de partenaire ou de ne vivre aucune déception découlant d’une mauvaise rencontre ou expérience sexuelle.

Et pour les besoins physiques, elles peuvent s’adonner au plaisir solitaire.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La Dre Élise Dubuc, gynécologue et candidate au doctorat en sexologie

La Dre Élise Dubuc, gynécologue et candidate au doctorat en sexologie, souligne d’ailleurs que « c’est nouveau que les femmes prennent leur sexualité en main ». Elle déboulonne aussi le mythe selon lequel les femmes auraient moins de besoins sexuels que les hommes.

« On parle moins dans les médias du besoin de sexualité des femmes, explique la Dre Dubuc. Lorsqu’on en parle, on va souvent aller vers des termes qui sont péjoratifs comme de les traiter de nymphomanes. Alors que d’un point de vue strictement fonctionnel, il n’y a pas de raison qu’un genre ait plus de besoins sexuels que l’autre. »

Apprendre le plaisir solitaire

Le cas de Stéphanie Dupuis est un bon exemple : lorsqu’elle pense à la vie sexuelle qu’elle avait avant de s’accorder une pause de partenaire, elle se remémore plusieurs expériences désagréables, dont certaines au sein même de sa dernière relation amoureuse.

Malheureusement, je n’avais plus une vision très positive de l’acte sexuel.

Stéphanie Dupuis

« C’est une erreur que l’on fait de penser qu’une relation sexuelle avec une autre personne est forcément agréable, explique la sexologue Geneviève Labelle. Ça peut être très désagréable. Donc il y a des gens qui vont dire qu’ils préfèrent être seuls, pratiquer la masturbation et arriver à un niveau de satisfaction qui fait leur affaire. »

Après sa dernière relation amoureuse « toxique », Stéphanie Dupuis a appris qu’elle était atteinte de vestibulodynie (qui occasionne une douleur intense lors de la pénétration) et qu’elle devait faire de la physiothérapie périnéale pour améliorer son état.

« Je m’étais dit qu’une fois la physio terminée, j’aurais comme une deuxième virginité, et que ma première relation sexuelle complète devait être avec quelqu’un que je valorisais beaucoup et dont j’étais amoureuse », confie cette femme dans la mi-vingtaine.

Après la physiothérapie, elle a finalement attendu trois ans avant d’avoir à nouveau une relation sexuelle, et ce, par choix. Cette abstinence a été extrêmement bénéfique, puisqu’elle l’a conduite vers un long cheminement personnel afin de « s’approprier sa sexualité ». Elle a entre autres découvert la masturbation, qu’elle n’osait pas pratiquer auparavant.

« J’ai appris à apprécier mon corps, explique Stéphanie Dupuis. Je me croyais anorgasmique vu ma condition, mais finalement, après quelques mois, j’ai enfin réussi à avoir mon premier orgasme. »

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Kasey Christie, 43 ans, pratique l’abstinence sexuelle depuis 13 ans.

À l’opposé, d’autres femmes interviewées confient ne pas ressentir le besoin de se masturber. « Quand je ressens l’envie, j’attends un peu et ça finit par passer », explique Kasey Christie, 43 ans, qui pratique l’abstinence depuis 13 ans.

Avec relations sexuelles

Il y a aussi celles qui pratiquent le « célibat volontaire », et non « l’abstinence volontaire ». Gabie* a mis sa vie amoureuse sur pause, mais elle ne tourne pas le dos aux relations sexuelles et au plaisir solitaire.

« Je ne suis pas prête à être en couple, mais j’ai des besoins sexuels et affectifs. Quand je passe une nuit avec un gars et qu’on dort collés, ça comble ces besoins. Je ne pourrais pas me passer de sexualité », confie Gabie.

Lorsqu’elle se sentira plus solide, en paix avec elle-même et avec une vision claire de ce qu’elle veut pour l’avenir, elle replongera dans le jeu de l’amour.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.