(Madrid) Le 20 octobre 2011, le groupe séparatiste basque ETA annonçait « l’arrêt définitif de son activité armée », après plus de quarante ans de violences. Un « tournant majeur » pour le Pays basque, qui s’efforce toujours de solder ce passé sanglant.

« Il est temps de regarder l’avenir avec espoir, il est temps aussi d’agir avec courage et responsabilité » : c’est par ces mots que l’organisation, classée comme terroriste par l’Union européenne, a fait savoir voilà dix ans qu’elle renonçait à la violence.

« Par cette décision historique, l’ETA montre son engagement clair, ferme et définitif » en faveur d’un « scénario de paix », affirmait le communiqué mis en ligne par le journal basque Gara et lu sur une vidéo par trois militants encagoulés, le poing levé.

Mise en scène solennelle, mots pesés… Cette déclaration, qui a mis fin à la dernière insurrection armée d’Europe occidentale, a marqué un « tournant majeur » pour le mouvement indépendantiste, souligne Rafael Leonisio Calvo, chercheur en sciences politiques et auteur de « ETA, terreur et terrorisme ».

Plus de 850 morts

Fondée en 1959 sous la dictature du général Franco (1939-1975), l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna, soit « Pays Basque et Liberté ») avait alors toujours défendu le recours à la violence, multipliant les assassinats, depuis le premier en 1968, les attentats et les enlèvements. Plus de 850 morts lui sont imputés.

Au vu de cette histoire sanglante, le communiqué de l’ETA a constitué « une surprise, d’autant qu’il s’agissait d’une annonce unilatérale et sans contreparties […] Mais en réalité, il s’inscrivait dans un long processus », souligne Rafael Leonisio Calvo.  

Quelques semaines avant l’annonce, des négociations secrètes avaient été engagées avec les autorités espagnoles.  Le principe « avait été acté avec le gouvernement socialiste de (José Luis Rodriguez) Zapatero », a assuré l’un des chefs historiques de l’ETA, Josu Urrutikoetxea, dit « Ternera », dans un entretien récent avec l’AFP.

Ces négociations ont abouti le 17 octobre 2011 à la Conférence internationale pour la paix, organisée au Palais d’Aiete de Saint-Sébastien, en présence de l’ex-secrétaire général de l’ONU Kofi Annan. L’ETA avait alors été appelée à délaisser la lutte armée, pour « promouvoir la réconciliation ».

« Blessures non cicatrisées »

A l’époque, l’organisation se trouvait très affaiblie : la plupart de ses cadres avaient été arrêtés et ses caches d’armes découvertes.

« L’ETA était dans une situation d’impasse, aussi bien sur le plan militaire que politique », souligne Eguzki Urteaga, professeur à l’Université du Pays Basque, qui rappelle que sa vitrine politique réclamait depuis un certain temps un « changement de stratégie », sous la pression de l’opinion publique.

« Pendant le franquisme, l’ETA avait bénéficié d’une forme d’aura chez une partie de la population opposée au régime. Mais ensuite, le rejet de la lutte armée n’a cessé de grandir, surtout à partir de 1995, quand l’ETA a décidé d’élargir ses cibles en visant des membres de la société civile », ajoute-t-il.

La fin de la lutte armée, un an après le dernier décès imputé au groupe séparatiste (un policier français abattu en 2010 près de Paris), semblait dès lors inéluctable. « Cette décision était réfléchie » et a servi de « point de bascule », insiste Eguzki Urteaga.

A partir de cette date, l’ETA s’est en effet engagée dans un processus de pacification, qui l’a conduit à déposer les armes le 8 avril 2017, puis à demander « pardon » en avril 2018 à ses victimes, avant d’annoncer son auto-dissolution pure et simple le 3 mai 2018.

Une disparition qui n’empêche pas trois ans après les rancœurs de persister, comme l’a montré mi-septembre l’intense passe d’armes autour d’une manifestation, finalement annulée, pour dénoncer l’incarcération d’ex-etarras comme le Français Henri Parot, auteur d’attentats particulièrement meurtriers.

« Depuis 10 ans, nous avons avancé […] mais il y a encore des blessures non cicatrisées », a reconnu dimanche Iñigo Urkullu, président de la région du Pays basque et nationaliste modéré, en appelant à une « reconnaissance claire » des violences commises par l’ETA.

Un grand pas en ce sens a été fait lundi par les héritiers du bras politique de l’ETA qui ont reconnu pour la première fois sans ambiguïté « la douleur endurée » par les victimes d’ETA. « Cela n’aurait jamais dû se produire », a insisté Arnaldo Otegi, ex-militant d’ETA et principale figure de la gauche séparatiste basque.

Un message accueilli avec prudence mardi par le gouvernement espagnol. « Il faut aller beaucoup plus loin » en passant « de la parole aux actes », a jugé la porte-parole de l’exécutif Isabel Rodriguez, en appelant la gauche séparatiste à « condamner » les hommages rendus aux ex-etarras à leur sortie de prison.