(New York) Le refrain est connu : l’affaire Stormy Daniels, marquée au coin du sexe et de l’argent, est la moins « sérieuse » des quatre qui ont valu des inculpations à Donald Trump. Mais elle est aussi celle que l’ancien président déteste le plus, car elle jettera une lumière crue sur des aspects scabreux de sa vie. Sans compter la possibilité que le refrain ait tout faux. À la veille de l’ouverture à New York du premier procès pénal d’un ex-président des États-Unis, décortiquons l’affaire.

La rencontre

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Stephanie Clifford, alias Stormy Daniels, en 2018

En juillet 2006, lors d’un tournoi de golf réunissant des célébrités à Lake Tahoe, dans le Nevada, Stormy Daniels, une actrice porno âgée de 27 ans dont le vrai nom est Stephanie Clifford, rencontre Donald Trump. Ce dernier, qui est de 33 ans son aîné, l’invite dans sa suite d’hôtel pour le souper et lui fait l’amour après le repas, selon le récit de l’actrice. Donald Trump, dont la femme Melania est à New York, où elle vient à peine d’accoucher de son fils Barron, n’admettra jamais avoir eu cette relation sexuelle alléguée.

Le stratagème

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David Pecker, ancien PDG d’AMI, en 2010

En août 2015, soit deux mois après le lancement de sa campagne présidentielle, Donald Trump participe à une rencontre avec Michael Cohen, son avocat personnel, et David Pecker, PDG d’American Media Inc (AMI), société mère du National Enquirer. Les trois s’entendent sur un stratagème appelé en anglais « catch and kill », destiné à empêcher la publication d’histoires susceptibles de nuire au candidat. À la fin de 2015, AMI donne 30 000 $ à Dino Sajudin, portier de la Trump Tower, pour s’assurer qu’il ne vendra pas à un média une histoire (fausse) selon laquelle Trump a eu un enfant avec une femme de ménage. En juin 2016, AMI verse 150 000 $ à Karen McDougal, ancienne playmate du magazine Playboy, pour qu’elle garde le silence sur la liaison amoureuse qu’elle prétend avoir eue avec Donald Trump en 2006.

La panique

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L’ex-avocat de Donald Trump Michael Cohen

Au début d’octobre 2016, à un mois de l’élection présidentielle, la panique s’empare du camp Trump. Le Washington Post vient de publier une vidéo réalisée par l’équipe de l’émission Access Hollywood où Donald Trump se vante dans des termes crus de pouvoir attraper les femmes par le sexe en toute impunité. Et voilà que le patron d’AMI, David Pecker, rapplique en disant qu’une actrice porno cherche à vendre au plus offrant son histoire concernant une relation sexuelle avec Donald Trump. Michael Cohen, l’avocat personnel du candidat, s’entend avec le représentant de Stormy Daniels pour garantir le silence de l’actrice en lui payant 130 000 $ pour les droits exclusifs de son histoire. Trump, lui, promet à Cohen qu’il le remboursera pour ce paiement, effectué 12 jours avant l’élection présidentielle.

L’accusation

Donald Trump doit répondre à New York de 34 chefs d’accusation de falsification de documents commerciaux au premier degré. Chacun des chefs d’accusation correspond à un document qui a été falsifié pour faire passer pour des frais juridiques le versement de 130 000 $ à Stormy Daniels. Il s’agit de 11 chèques, 11 fausses factures et 12 fausses écritures comptables. Chacun des chefs d’accusation peut entraîner une peine maximale de quatre ans d’emprisonnement et une amende de 5000 $.

Le crime

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Le procureur de Manhattan Alvin Bragg

Or, pour obtenir un verdict de culpabilité, le procureur de Manhattan Alvin Bragg ne doit pas seulement prouver que Donald Trump a falsifié ou fait falsifier des documents commerciaux. Il doit aussi prouver que les falsifications avaient pour but de dissimuler un autre crime. Dans des documents d’accusation, Alvin Bragg reproche à Donald Trump d’avoir « orchestré un stratagème avec d’autres […] en identifiant et en achetant des informations négatives à son sujet afin d’en supprimer la publication et de favoriser [ses] perspectives électorales. Afin de mettre en œuvre ce projet illégal, les participants ont violé les lois électorales », et plus précisément les lois qui régissent le financement électoral. D’expliquer Alvin Bragg lors d’une interview radiophonique : « L’essentiel n’est pas l’argent pour le sexe. […] Il s’agit de conspirer pour corrompre une élection présidentielle et de mentir dans les registres commerciaux de New York pour le dissimuler. »

La défense

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Donald Trump entouré de son équipe d’avocats, au tribunal de Manhattan, le 4 avril 2023, lors de sa comparution historique

Dans un mémoire déposé en septembre dernier, les avocats de Donald Trump décrivent l’acte d’accusation visant leur client comme « un ensemble décousu d’accusations motivées par des considérations politiques et entachées de vices juridiques », qui fait suite à une « enquête sinueuse, interrompue et errante qui a duré cinq ans et qui a entraîné des retards inexplicables et anticonstitutionnels ». Devant les jurés, ils devraient faire valoir que leur client n’avait aucune intention criminelle en donnant le feu vert au versement de 130 000 $ à Stormy Daniels. Loin de vouloir influencer l’issue de l’élection ou de contourner les lois sur le financement électoral, il ne cherchait qu’à éviter de plonger sa famille dans l’embarras, devraient ajouter les avocats de l’ancien président. Ces derniers ne devraient pas manquer non plus de s’attaquer à la crédibilité de Michael Cohen, l’un des témoins principaux de la poursuite, qui a déjà plaidé coupable à une accusation de parjure dans une affaire lui ayant valu une peine d’emprisonnement de trois ans en 2018.

Les témoins

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Hope Hicks, ancienne proche conseillère de Donald Trump, pourrait être un témoin clé dans le procès.

Outre Michael Cohen, la liste des témoins potentiels de la poursuite comprend Stephanie Clifford, alias Stormy Daniels, Karen McDougal, la playmate de Playboy, Dino Sajudin, le portier de la Trump Tower, David Pecker, le PDG d’AMI, Dylan Howard, le rédacteur en chef du National Enquirer, et Hope Hicks, directrice des communications de la Maison-Blanche sous Donald Trump. Le témoignage de Hope Hicks, s’il a lieu, pourrait représenter un point fort du procès. Selon une déclaration sous serment d’un enquêteur du FBI, Hicks a été mêlée à des échanges téléphoniques et de textos avec Trump, Cohen et d’autres personnes impliquées dans le versement de la somme de 130 000 $ à Stormy Daniels. « Sur la base du calendrier de ces appels et du contenu des messages textos et électroniques, je pense qu’au moins une partie de ces communications concernait la nécessité d’empêcher Clifford [Stormy Daniels] de s’exprimer publiquement, en particulier dans le sillage de l’histoire d’Access Hollywood », a déclaré l’enquêteur du FBI.

Les jurés

Donald Trump sera jugé par un jury composé de citoyens américains âgés d’au moins 18 ans et vivant dans le comté de New York, juridiction qui correspond à l’arrondissement de Manhattan. Selon le plus récent recensement américain, le comté compte 52,2 % de femmes, 45,5 % de Blancs, 26,2 % d’Hispaniques, 18,7 % de Noirs, 13,3 % d’Asiatiques et 3,6 % de personnes d’origines ethniques diverses. Lors de l’élection présidentielle de 2020, Joe Biden y a remporté 86,7 % des voix contre 12,3 % à Donald Trump. Durant la sélection des 12 jurés (auxquels s’ajouteront probablement 6 jurés suppléants), les avocats de l’ancien président, tout comme les procureurs, auront la chance d’écarter un certain nombre de jurés potentiels dont le profil n’aide pas leur cause. Ils préféreront ainsi un travailleur de la construction ou une téléspectatrice de Fox News à un professeur de l’Université Columbia ou à une militante pro-choix.

Le juge

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Le juge Juan Merchan

Né à Bogotá, capitale de la Colombie, Juan Merchan a grandi dans l’arrondissement de Queens et a terminé ses études en droit à l’Université Hofstra en 1994. Après avoir servi comme procureur à Manhattan pendant cinq ans, il a été nommé juge au tribunal de la famille par le maire Michael Bloomberg en 2006 et promu en 2009 à son poste actuel, où il a acquis la réputation d’un juge équitable, attentif et imperturbable. En 2022, il a condamné Allen Weisselberg, ancien directeur financier de la Trump Organization, à cinq mois d’emprisonnement après sa reconnaissance de culpabilité dans le cadre du procès criminel contre l’entreprise de Donald Trump. Ce dernier n’a pas cessé de l’attaquer depuis.

La peine

Même s’il est déclaré coupable par le jury et condamné à une peine d’emprisonnement, Donald Trump conservera sa liberté pendant la longue procédure d’appel qui suivra. Mais un verdict de culpabilité dans cette affaire ne garantit pas une peine d’emprisonnement, compte tenu du fait que l’ancien président n’a pas de passé criminel. Son procès devrait durer environ six semaines, selon le juge.