(New York) Joe Biden est à peine plus populaire que Donald Trump à ce stade-ci de son mandat. Mais si la prochaine élection présidentielle avait lieu aujourd’hui, il s’inclinerait devant son prédécesseur, selon certains sondages.

Kamala Harris est encore moins populaire que lui. Selon un baromètre publié par le quotidien USA Today, seulement 28 % des Américains sont satisfaits de sa performance à la vice-présidence, un taux calamiteux que même Dick Cheney n’a pas atteint. Et les doutes ne font que s’accentuer concernant ses chances de remporter l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle de 2024, si son patron renonce à se présenter.

Pendant ce temps, les républicains accentuent leur avantage dans de nombreux États à la faveur du redécoupage des circonscriptions électorales qui fait suite au recensement de 2020. En Caroline du Nord, État où Joe Biden a remporté 48,6 % des suffrages en 2020, ils sont assurés de remporter 10 des 14 sièges à la Chambre des représentants en 2022. Selon toutes probabilités, les élections de mi-mandat devraient leur permettre de devenir majoritaires dans cette assemblée qui a le pouvoir de mettre en accusation le président.

Avec de la chance, les démocrates pourraient conserver le Sénat en 2022. Mais ils n’ont quasiment aucun espoir de le faire en 2024, quand ils devront défendre 21 sièges, contre seulement 10 pour les républicains.

Selon une analyse du gourou des données David Shor, si le candidat démocrate à la présidence remportait 51 % des voix, les démocrates perdraient sept sièges à la Chambre haute du Congrès, où les États ruraux comptent autant que les États les plus populeux. Il leur faudrait une décennie ou plus pour combler ce déficit.

En attendant, les démocrates ont encore du mal à digérer les reculs et les revers subis lors des élections du 2 novembre dernier, notamment en Virginie, où un républicain a été élu au poste de gouverneur pour la première fois en 12 ans.

La faute au « wokisme »

Cette liste des raisons pour lesquelles les démocrates sont fortement déprimés ces jours-ci n’est pas exhaustive. Mais elle constitue un bon point de départ pour comprendre les débats qui ont lieu actuellement au sein du parti.

L’un de ces débats porte sur les messages que véhicule le Parti démocrate. Avec le franc-parler qu’on lui connaît, James Carville, ex-stratège de Bill Clinton, a attribué à la « stupidité du wokisme » les résultats électoraux du 2 novembre.

« Ne regardez pas seulement la Virginie et le New Jersey. Regardez Long Island, Buffalo, Minneapolis et même Seattle, Washington. Je veux dire, cette folie de “définancer la police”, cette suppression du nom d’Abraham Lincoln dans les écoles. Les gens voient cela. Cela a un effet nuisible sur les démocrates dans tout le pays », a-t-il dit sur PBS.

Ce point de vue recoupe celui de David Shor, expert en données dont on entend beaucoup parler ces temps-ci dans les cercles démocrates. Selon lui, les républicains ont réussi à associer les démocrates aux slogans des militants de la gauche, comme « Defund the police » (définancer la police) et « Abolish ICE » (abolir la police de l’immigration).

Depuis 2020, ces slogans n’ont pas seulement contribué à cimenter l’emprise des républicains sur le vote de la classe ouvrière blanche, selon Shor. Ils ont aussi joué un rôle dans la défection d’un pourcentage non négligeable d’électeurs noirs et hispaniques vers Donald Trump et les républicains.

La solution de Shor : repartir à la conquête des électeurs de la classe ouvrière blanche en martelant le thème de l’économie et en mettant en sourdine les questions de justice raciale et d’immigration, entre autres.

Rien de bon à Washington

Dans une bonne mesure, Joe Biden a suivi ces recommandations depuis le début de sa présidence. Il a d’abord promulgué un plan de relance économique de 1900 milliards de dollars, suivi d’un plan d’infrastructures de 1200 milliards de dollars qui créera des emplois pour de nombreux Américains sans diplôme universitaire.

Il a aussi fait la promotion d’un programme social et climatique de 1750 milliards de dollars dont les principaux volets – école prématernelle pour tous, amélioration de la couverture médicale et investissements pour réduire les émissions de gaz à effet de serre – sont populaires, selon les sondages.

Or, les longues et pénibles négociations au Congrès autour de ces chantiers ont souvent dominé les manchettes, au détriment des politiques proposées.

Négociations au cours desquelles deux sénateurs dits centristes, Joe Manchin et Kyrsten Sinema, ont peut-être causé autant de tort à l’image des démocrates que les « wokes » dénoncés par James Carville.

Chose certaine, les sondages indiquent que bon nombre d’électeurs ont l’impression qu’il ne se passe rien de bon à Washington et que le président n’a pas à cœur leurs préoccupations immédiates, y compris l’inflation et le prix de l’essence à la pompe.

Joe Biden, qui n’a pas l’air un jour plus jeune que ses 79 ans, peut-il remonter la pente ? L’exemple de Ronald Reagan est de nature à donner un certain espoir aux démocrates. Après une lune de miel de plusieurs mois, le 40e président avait vu sa popularité chuter de façon abrupte au cours d’une récession qui allait contribuer aux gains des démocrates lors des élections de mi-mandat de 1982. Il avait néanmoins été réélu haut la main en 1984.

L’ironie veut que Joe Biden préside aujourd’hui à une économie en croissance. La question est de savoir si lui et son parti pourront en profiter en 2022 et en 2024. S’ils n’étaient pas si déprimés, les démocrates se mettraient peut-être à y croire.