Pendant la première campagne de Donald Trump, un mouvement d’extrême droite a gagné en légitimité politique grâce au candidat républicain : l’« alt-right ». Steve Bannon, défendant le même type de préjugés et d’idées, dirigeait alors la campagne du futur président.

Quatre ans plus tard, ses principaux acteurs sur la scène médiatique enchaînent les déboires. Steve Bannon a été arrêté et accusé de fraude. Le suprémaciste blanc Richard Spencer fait aussi face à la justice. La désignation « alt-right » a presque disparu des médias. Mais les adeptes de son idéologie sont toujours actifs.

PHOTO ALEX WROBLEWSKI, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Richard Spencer, suprémaciste blanc

Le terme « alt-right » a été inventé par Richard Spencer comme une nouvelle marque pour la droite radicale, explique Shannon Reid, de l’Université de Caroline du Nord à Charlotte. « C’était pour dire : oh, ce n’est pas la “vieille” droite radicale, c’est une nouvelle “alt-right ”, une droite alternative. Ça faisait en sorte d’avoir l’air moins raciste. »

Elle a coécrit Alt-Right Gangs, un essai paru le mois dernier portant sur ces groupes ayant adopté l’idéologie ou les symboles de l’extrême droite, et versant dans l’illégalité.

La professeure adjointe au département de justice criminelle et criminologie préfère d’ailleurs le mot gang à celui de mouvement : elle voit des parallèles entre ces groupes et les bandes criminelles traditionnelles.

« Nous traitons ces groupes comme s’ils étaient tellement différents des gangs de rue, mais la différence en réalité est qu’ils essaient de tomber sous ce parapluie idéologique, alors que ce n’est pas une réelle préoccupation pour eux », avance-t-elle, ajoutant qu’on met beaucoup de soins à tenter d’étiqueter les groupes blancs violents – et beaucoup moins lorsqu’il s’agit de Noirs.

Le groupe Proud Boys, auquel le président Trump a dit de reculer et de se tenir prêt lorsqu’il a été invité à condamner le suprémacisme blanc dans le premier débat présidentiel de 2020, fait partie de ces gangs, juge-t-elle.

En hausse sous Trump

Heidi Beirich, cofondatrice du Global Project Against Hate and Extremism est catégorique : « Il y a eu une hausse du nombre de ces organisations sous Trump, à la fois les groupes de suprémacistes blancs, les groupes haineux et les groupes antigouvernement. »

Une hausse, aussi, des crimes haineux qui ont atteint en 2018 un sommet inégalé en 16 ans, selon les chiffres du FBI. Un peu plus de la moitié ont été commis par des Blancs, mais ces statistiques répertorient tout type de crimes motivés par la haine. Les données de 2019 et 2020 ne sont pas encore accessibles.

Les experts notent que les groupes d’extrême droite ne sont pas nécessairement centralisés, avec une structure. Certains ont des membres actifs seulement en ligne, où ils diffusent leur message et se regroupent virtuellement.

D’autres adeptes d’une idéologie haineuse n’hésitent pas à recourir à la violence directe. Un homme a fait irruption dans une synagogue en criant des propos antisémites en 2018 à Pittsburgh. Il a été accusé d’avoir tué 11 personnes. À El Paso, en 2019, un homme a ouvert le feu dans un magasin, tuant 23 personnes. Le suspect aurait écrit des messages racistes et aurait ciblé la ville – où il n’habitait pas – en raison de sa forte population hispanique.

Charlottesville et l’« alt-right »

La manifestation néonazie à Charlottesville en 2017, au terme de laquelle un homme a été condamné pour avoir tué une manifestante antiraciste en fonçant dans une contre-manifestation avec sa voiture, a causé un tournant dans le discours public concernant l’« alt-right ».

Quand les gens ont commencé à associer l’alt-right avec les suprémacistes blancs, [les utilisateurs du terme] ont vu que ça ne marchait plus.

Heidi Beirich, cofondatrice du Global Project Against Hate and Extremism

Pour elle, la solution pour réduire l’impact de ces groupes est de leur retirer l’accès aux différentes plateformes des réseaux sociaux. « On a vu que ça pouvait être efficace », dit-elle. Cela ne change pas les croyances, mais rend le recrutement plus difficile, souligne-t-elle.

Le rayonnement en ligne de ces groupes, décentralisés, pour la plupart, peut aussi faire des émules, craint Shannon Reid.

« Souvent, ce qu’on voit, dans les gangs, ce sont les aspirants [wannabe] qui peuvent causer des problèmes, ce sont ceux qui veulent démontrer leur appartenance à un groupe », explique celle qui a beaucoup étudié les gangs criminels.

Violences autour du vote

À l’approche de la date officielle des élections, de nombreux spécialistes s’inquiètent particulièrement de violences entourant le vote.

Alexander Ross, professeur adjoint à l’Université d’État de Portland et chercheur au Centre for Analysis of the Radical Right, a commencé en juin à recueillir des données sur l’intimidation et la violence des groupes d’extrême droite, particulièrement dans le cadre des manifestations de Black Lives Matter (BLM).

Depuis le début du vote par anticipation, des électeurs ont signalé de l’intimidation près de bureaux de vote.

« Selon mes données préliminaires, ce sont dans les mêmes endroits chauds où il y a eu des actions anti-BLM », précise-t-il.

Suivant ces données, il craint une hausse des cas d’« évènements haineux » causés par la droite radicale – allant de l’intimidation à la violence physique – en Pennsylvanie, en Caroline du Nord et en Floride, trois États-pivots qui ont connu des tensions.

Définir l’« alt-right »

Dès novembre 2016, l’agence de presse Associated Press a décidé de ne plus utiliser le terme « alt-right » sauf entre guillemets, pour décrire le mouvement lui-même ou parce qu’une personne interviewée l’utilisait. « Nous avons pris position pour que le terme “alt-right ” soit évité parce qu’il a pour but d’être utilisé comme un euphémisme pour déguiser des visées racistes », peut-on lire sur le site de l’agence. L’agence a aussi décidé d’accompagner sa mention par une définition : « une ramification du conservatisme mêlant le racisme, le nationalisme blanc, l’antisémitisme et le populisme ou un mouvement nationaliste blanc ».