(Washington) Trois professeurs de droit ont jugé mercredi que l’enquête en destitution contre Donald Trump était justifiée et même nécessaire pour protéger la démocratie américaine, s’attirant les foudres des élus républicains qui les ont accusés de partialité lors d’une audition fleuve au Congrès.

Ces experts, invités par la majorité démocrate de la Chambre des représentants, ont été contredits par un confrère, convié lui par les républicains, qui a jugé les preuves «insuffisantes» pour mettre le président en accusation (impeachment).

Donald Trump est dans la tourmente parce qu’il a demandé à l’Ukraine d’enquêter sur Joe Biden, l’un de ses potentiels rivaux pour la présidentielle de 2020.  

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Le président de la commission judiciaire Jerry Nadler, et son homologue républicain Doug Collins.

Les démocrates sont convaincus qu’il a abusé de son pouvoir pour parvenir à ses fins, notamment en gelant une aide militaire destinée à cet allié en conflit avec la Russie. Après deux mois d’enquête et l’audition de 17 témoins, ils ont assuré mardi avoir réuni des «preuves accablantes» pour nourrir leur dossier d’accusation.

Le président républicain, qui nie avoir exercé des pressions sur Kiev, a encore dénoncé mercredi une «blague» démocrate «mauvaise» pour le pays.

Au même moment, les élus entamaient le débat juridique pour déterminer si sa conduite correspondait à l’un des motifs de destitution mentionnés dans la Constitution : «Trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs».

Sans hésiter, trois professeurs d’université prestigieuses ont répondu par l’affirmative.

Barron pas baron

«Si l’on ne peut pas mettre en accusation un président qui utilise son pouvoir à des fins personnelles, nous ne vivons plus dans une démocratie, nous vivons dans une monarchie ou une dictature», a notamment estimé Noah Feldman, professeur de droit à Harvard, devant la commission judiciaire de la Chambre.

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Noah Feldman

«Si le Congrès ne le destitue pas, la procédure de destitution aura perdu tout son sens, tout comme les garanties constitutionnelles destinées à empêcher l’installation d’un roi sur le sol américain», a renchéri Michael Gerhardt, de l’université de Caroline du Nord.

Pamela Karlan, de l’université Stanford, a elle accusé Donald Trump d’avoir commis «un abus de pouvoir particulièrement grave» en demandant à un pays étranger de l’aider à gagner l’élection.

Elle a souligné que la Constitution américaine ne donnait pas au chef de l’exécutif le pouvoir absolu d’un roi. «Donald Trump peut appeler son fils Barron, mais ne peut pas en faire un baron», a-t-elle plaisanté en référence au dernier fils du président.

Un enfant «doit être tenu à l’écart de la politique», a réagi sur Twitter sa mère Melania Trump. «Pamela Karlan, vous devriez avoir honte de vos courbettes politiques, évidemment partisanes», a-t-elle encore asséné.

Faire référence au fils du président, qui n’a que 13 ans, «vous donne l’air méchante», lui a également dit l’élu républicain Matt Gaetz en l’interrogeant sur ses dons aux campagnes de plusieurs candidats démocrates.

Mme Karlan s’est excusée d’avoir cité l’adolescent, sans revenir sur le fond de sa déclaration.

«Menace continue»

Voix dissonante dans ce panel d’experts, Jonathan Turley, de l’université George-Washington, a déploré le manque de «preuves directes» contre le président et la «précipitation» des démocrates. Dans ce débat, «il y a tellement plus de rage que de raison», a-t-il pointé.

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Jonathan Turley

De fait, chaque camp s’est montré virulent mercredi.

Donald Trump «représente une menace continue pour la Constitution et notre démocratie», a accusé l’élu démocrate Jerry Nadler en conclusion de près de huit heures d’auditions, retransmises en direct à la télévision.

Le républicain Doug Collins a rétorqué que le dossier contre le président était vide. «Il n’y a rien de mal, rien qui ne mérite une mise en accusation», a-t-il lancé en dénonçant un processus «injuste». «On ne sait même pas quelles sont les prochaines étapes», a-t-il noté.

Jerry Nadler, qui préside la commission judiciaire, a laissé entendre que d’autres témoins pourraient être auditionnés prochainement, sans en dire plus.  

Sa commission, qui est chargée de rédiger l’acte d’accusation du président, envisage quatre chefs: abus de pouvoir, corruption, entrave à la bonne marche du Congrès et entrave à la justice. Si elle les retient, ils seront soumis à un vote en séance plénière à la chambre basse du Congrès, peut-être avant Noël.

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Pamela Karlan, de l’Université Stanford, a été invitée à témoigner par les démocrates de la Chambre.

Compte tenu de la majorité démocrate dans cette enceinte, Donald Trump deviendra le troisième président de l’histoire des États-Unis mis en accusation au Congrès, après Andrew Johnson en 1868 et Bill Clinton en 1998, tous deux acquittés ensuite.

Le Sénat, à majorité républicaine, sera ensuite chargé de juger le président et il faudrait une majorité des deux tiers pour le destituer, ce qui paraît très improbable.