Un nombre sans précédent d'États américains a adopté au cours des dernières années par voie législative des mesures restrictives qui visent à limiter, parfois considérablement, le droit constitutionnel des femmes à l'avortement.

Le Guttmacher Institute, centre d'études favorable au libre choix, décrit le phénomène comme un «assaut tous azimuts» pouvant, à terme, mener à une révision des principes énoncés par la Cour suprême il y a 40 ans dans le célèbre jugement Roe contre Wade.

«C'est absolument inusité. Nous n'avons jamais observé un changement de paradigme d'une telle ampleur sur une aussi courte période de temps», note en entrevue à La Presse une analyste de l'organisation, Elizabeth Nash.

L'année dernière, souligne-t-elle, 22 États américains ont adopté 70 mesures restreignant l'accès à l'avortement, ce qui porte à 205 le nombre de dispositions de ce type approuvées depuis 2011. Le total est supérieur, en trois ans, à celui observé pour l'ensemble de la décennie s'étalant de 2001 à 2010.

Au début du millénaire, 13 États étaient considérés comme «hostiles» à l'avortement par le Guttmacher Institute parce que leurs législateurs avaient adopté au moins quatre mesures restrictives majeures. Ils étaient deux fois plus nombreux à répondre à ce critère en 2013.

L'influence du Tea Party

Mme Nash estime que la multiplication des lois touchant le droit à l'avortement au cours des dernières années reflète l'entrée en fonction en 2010 d'élus locaux issus des rangs du Tea Party, la frange la plus conservatrice du Parti républicain.

«Leur arrivée a eu pour effet de décaler dramatiquement vers la droite [sur le plan idéologique] les institutions législatives de plusieurs États», souligne l'analyste.

La vision «socioconservatrice» de ces élus, ajoute-t-elle, s'est conjuguée aux campagnes de groupes pro-vie qui s'enthousiasment aujourd'hui de voir leur point de vue gagner du terrain dans plusieurs États.

«Je pense qu'il est plus difficile d'obtenir un avortement dans le pays aujourd'hui», se félicitait il y a quelques jours Carol Tobias, présidente de National Right for Life en entrevue au New York Times.

Mesures restrictives

Selon Mme Nash, les mesures restrictives ciblent aussi bien les femmes cherchant un avortement que les centres fournissant ce service. Des États ont imposé des délais ou des tests médicalement injustifiés, comme une échographie, pour ralentir le processus ou décourager les demandes.

Des exigences sanitaires sévères sont souvent aussi imposées aux centres pratiquant des avortements pour limiter leur nombre. La plupart de ces mesures donnent lieu à de longues contestations judiciaires.

L'un des cas les plus médiatisés est celui du Texas. Le gouverneur de l'État, Rick Perry, a annoncé l'année dernière son intention de faire adopter un projet de loi susceptible d'entraîner, au dire de ses détracteurs, la fermeture de la majorité des cliniques d'avortement existantes.

Il a finalement été approuvé après avoir été bloqué dans un premier temps par le camp démocrate. Des organisations défendant le libre choix en matière d'avortement ont ensuite entrepris de le contester en justice. Un juge fédéral a déclaré certaines dispositions de la loi inconstitutionnelles et ordonné leur suspension, mais son verdict a été porté en appel. La cause doit maintenant être tranchée sur le fond par un tribunal fédéral de La Nouvelle-Orléans.

Comme le Texas, plusieurs États ont tenté d'adopter des mesures visant à interdire la pratique de l'avortement au-delà de 20 semaines de grossesse alors que la Cour suprême le permet, selon Mme Nash, jusqu'au moment où le foetus devient viable hors du corps de la mère, un seuil traditionnellement fixé «entre 24 et 26 semaines».

Le plus haut tribunal du pays doit décider dans les prochains jours s'il se saisira d'une loi contestée de l'État de l'Arizona qui cherche à imposer une restriction similaire.

«Si la Cour suprême tranche en faveur de l'Arizona, ça pourrait ouvrir la porte à de nouvelles lois encore plus restrictives», relève Mme Nash, qui s'alarme de l'évolution idéologique du tribunal sur la question de l'avortement.

«Il est devenu très conservateur au cours des 10 dernières années, beaucoup plus que dans les années 90. Il manifeste un intérêt croissant pour l'audition d'une cause susceptible d'entraîner une révision de Roe contre Wade», conclut-elle.

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Nombre d'États considérés comme «hostiles» à l'avortement par le Guttmacher Institute, organisation pro-choix, parce qu'ils ont adopté au moins quatre mesures restrictives majeures à ce sujet.

Roe contre Wade

Cette décision historique de la Cour suprême américaine, produite en 1973, a rendu l'avortement légal dans le pays. Elle marquait l'aboutissement d'une démarche mise en branle au nom de Norma McCorvey, une Texane identifiée dans la procédure comme «Jane Roe», qui estimait que la loi de l'État en matière d'avortement était contraire à ses droits constitutionnels.