La déclaration d’appui du pape François aux unions civiles homosexuelles, dévoilée la semaine dernière dans un documentaire sur le premier pape d’Amérique latine, n’est pas une nouveauté. Mais il a décidé de réitérer cette position pour faire pression sur les évêques africains qui ne condamnent pas assez à son goût l’homophobie, selon plusieurs observateurs.

« François avait dû réfléchir à la question quand il était archevêque de Buenos Aires », explique Thomas Reese, jésuite de l’Université de Santa Clara en Californie qui a dirigé le magazine jésuite America de 1998 à 2005. « Au départ, il y était opposé, mais il avait finalement appuyé cette solution au problème du respect des droits des homosexuels. Tant que le mariage était réservé aux hétérosexuels, selon sa réflexion, il n’y avait aucun problème à protéger les homosexuels vivant en couple, à leur permettre de visiter leurs proches à l’hôpital, à voir leurs enfants. »

Le pape avait fait des déclarations similaires dans une entrevue à un quotidien italien en 2014 et dans un livre publié en France en 2017.

Pourquoi alors cette citation est-elle incluse dans le documentaire ? « Ce qui est de l’histoire ancienne pour ceux qui connaissent l’Église ne l’est pas nécessairement pour le monde anglo-saxon, dit le père Reese. Il s’agit d’un film qui va avoir plus de retentissement dans les pays occidentaux. Le pape savait ce qu’il faisait quand il a accepté que cette citation soit dans le film. Il s’inquiète de l’homophobie de plus en plus organisée dans les pays émergents, en Afrique notamment. Il veut que l’Église défende les homosexuels en Afrique, comme elle défend les femmes et dénonce la polygamie, par exemple. Il y a aussi de l’intolérance publiquement tolérée, notamment par les dirigeants catholiques, en Asie et en Amérique latine. »

PHOTO ALESSANDRA TARANTINO, ASSOCIATED PRESS

Le réalisateur du documentaire Francesco Evgeny Afineevsky (gauche) en compagnie de Paolo Ruffini (droite), préfet du dicastère pour la communication, lors d’une cérémonie de remise de prix au Vatican

Les médias catholiques cette semaine ont rapporté des condamnations de plusieurs évêques américains conservateurs et souligné que plusieurs conférences épiscopales nationales en Afrique avaient ces dernières années ouvertement attaqué l’homosexualité.

Comment un prélat peut-il appuyer les droits des homosexuels tout n’acceptant pas la sexualité homosexuelle ? « Les catholiques ne croient pas au divorce et au remariage, mais ils n’ont aucun problème à ce que la société civile permette le divorce et le remariage », dit le père Reese.

Ça ne change pas la théologie de l’Église. Ça permet à la société civile de créer des systèmes juridiques pour régler des problèmes humains, concrets.

Thomas Reese, jésuite de l’Université de Santa Clara en Californie

Polarisation

Quelle sera la réaction chez les catholiques occidentaux ? « Il y aura des réactions aux extrêmes, mais au centre, la position de l’Église sur les solutions pragmatiques aux problèmes du monde moderne est très bien comprise, dit le père Reese. Des archevêques américains conservateurs et des catholiques très progressistes ont été cités dans les médias, mais ils ne représentent pas la grande majorité des fidèles. Plus de 70 % des catholiques américains appuient le mariage gai et font peu de cas du fait que le Vatican n’appuie que les unions civiles. Mais les médias adorent les histoires mélangeant sexe et Vatican. »

Cette déclaration papale aura-t-elle un impact sur le prochain conclave, où les évêques des pays émergents joueront un plus grand rôle qu’en 2013 ? « Non, je ne crois pas, l’homosexualité ne fait pas partie des priorités des discussions au sein de l’Église, dit le père Reese. Pour cette raison, je ne pense pas qu’on voudra rectifier la dernière prise de position sur le sujet, par la Congrégation pour la doctrine de la foi en 2003. »

Signe que la question est délicate au sein du Vatican, les médias italiens rapportaient vendredi que les communications du Saint-Siège refusaient de commenter la déclaration papale sur les unions civiles. Un flou entourait également les circonstances de cette déclaration. Au départ, le réalisateur du documentaire, Evgeny Afineevsky, avait déclaré avoir fait lui-même l’entrevue, mais les médias italiens ont rapporté qu’il s’agissait d’un entretien donné au réseau mexicain Televisa en 2019. Dans un communiqué, Televisa a indiqué ne pas avoir utilisé cette citation sur les unions civiles parce que François s’était déjà exprimé sur le sujet par le passé. Le film du réalisateur américain d’origine russo-israélienne a été présenté mercredi au festival du film de Rome.