Cette lettre aborde le projet de loi 57, visant à ce que les élus municipaux et provinciaux puissent notamment obtenir « une injonction contre les citoyens qui les harcèlent, avec des amendes pouvant atteindre 1500 $ »1.

Toute personne qui travaille a le droit de le faire dans un environnement sans harcèlement. Malheureusement, un rapport de la Fédération québécoise des municipalités (FMQ) souligne différentes formes de menace à l’égard des élues et élus, tant de la part d’individus qu’entre élus, tout particulièrement à l’égard des femmes.

Ce qui pose problème dans le texte du projet de loi est l’entrave potentielle à l’expression politique des citoyens et citoyennes.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi semble concerner tant les individus violents à l’égard d’élus que des groupes communautaires agissant pour influencer des décisions politiques.

Le projet de loi permettrait de donner des amendes à des individus qui « entravent indûment l’exercice [des] fonctions ou portent atteinte [au] droit à la vie privée » des élus⁠1. Laissant un flou interprétatif, il pourrait donc s’agir d’une personne menaçant un élu, mais également d’un individu qui tente de faire entendre son opinion politique, bien qu’elle puisse déranger l’élu concerné. L’un n’a rien à voir avec l’autre et leurs actions ont des visées complètement différentes.

Qu’est-ce que le gouvernement essaie donc de faire ici ? Stopper les individus qui font des menaces ou limiter la parole de la population lorsqu’elle n’est pas d’accord ? Pourquoi la présentation du projet ne parle-t-elle pas du harcèlement entre politiciens que documente le rapport de la FMQ ?

Des groupes communautaires peuvent par exemple envoyer des cartes postales à un élu, demandant de revoir un projet de loi les concernant. Banal, non ? Récemment, un groupe s’est pourtant fait menacer de poursuite à cause d’une telle action.

Les groupes se rendent également sans rendez-vous à des bureaux de circonscription pancartes en main et slogans en bouche pour faire valoir leurs revendications.

L’action politique n’est donc pas à confondre avec celle d’un individu qui en menace un autre. Pourtant, ce projet de loi semble les amalgamer. Indirectement, il aurait pour effet de contrôler les moyens d’agir politiquement.

L’action politique pour se faire entendre et respecter

Lorsqu’on compare les groupes communautaires aux élus, ces derniers sont en situation de pouvoir. Ils et elles travaillent dans des espaces politiques auxquels peu d’entre nous ont accès. Leur voix est entendue dans les médias et leurs positions politiques diffusées largement. Ce n’est que très peu le cas des populations les plus vulnérables ; pensons aux personnes bénéficiaires de l’aide sociale, celles en situation d’itinérance ou aux personnes âgées évincées par centaines. Pourtant, tous ces groupes sont affectés par les politiques sociales et les réformes des services publics.

La différence entre élus et membres des groupes communautaires est que l’opinion de ces derniers n’a pas la même résonance dans les espaces de pouvoir et dans les médias.

Alors qu’ils et elles sont souvent directement concernés par des décisions politiques, leur avis n’est que très rarement entendu. C’est à ce titre que l’action politique, notamment dirigée à l’endroit des élus, est essentielle. Elle permet de s’exprimer, possiblement être entendu et respecté, malgré les obstacles à la participation au système politique.

Le projet de loi de la ministre Andrée Laforest soulève des questions importantes quant à la place de la population dans nos institutions démocratiques lorsqu’elle souhaite faire valoir une position politique. C’est en ce sens que le projet de loi 57 doit être repensé pour cibler les individus et les élus qui menacent d’autres élus.

* Groupes communautaires et regroupements nationaux cosignataires : Association pour la défense des droits sociaux de Gatineau, Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogue (AQPSUD), Centre des travailleurs et des travailleuses immigrant.e.s/Immigrant Workers Centre, Comité d’éducation aux adultes de la Petite-Bourgogne et Saint-Henri (CEDA), Comité chômage de l’est de Montréal, Comité logement Bas-Saint-Laurent, Comité logement du Plateau Mont-Royal, Comité logement Ville-Marie, Entraide logement Hochelaga-Maisonneuve, Infologis de l’est de l’île de Montréal, Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE), Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MEPACQ), Organisation populaire des droits sociaux (OPDS), Projet d’organisation populaire, d’information et de regroupement (POPIR Comité logement), Regroupement d’éducation populaire en action communautaire de Québec et Chaudière-Appalaches, Réseau d’action des femmes en santé et services sociaux (RAFSSS), Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA), Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec (RTRGFQ), Syndicat industriel des travailleurs et travailleurs de Montréal (SITT-IWW-MTL)

1. Lisez « Jusqu’à 1500 $ d’amende pour ceux qui intimident les élus » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue