Rarement voit-on des commerces contourner des lois de façon aussi effrontée, flagrante, insolente.

Je parle ici d’une partie de l’industrie du vapotage qui, depuis six mois, se moque ouvertement du nouveau règlement québécois interdisant les arômes dans les produits de vapotage.

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac vient d’envoyer une lettre de 50 pages aux ministres Christian Dubé (Santé) et Eric Girard (Finances) dans laquelle sont détaillés tous les trucs utilisés par les délinquants de cette industrie⁠1.

Ce qu’on y lit est absolument choquant. Si ces commerçants ne jouaient pas avec la santé des jeunes pour des raisons mercantiles, il faudrait saluer bien bas leur créativité.

Résumons le dossier. Au Québec, le vapotage est en hausse alarmante. Entre 2013 et 2019, la proportion des élèves du secondaire qui disent vapoter a bondi de 4 % à 21 %⁠2.

Devant cette catastrophe de santé publique, Québec a mis ses culottes et a adopté plusieurs règlements l’automne dernier. Le principal vient interdire les nombreux arômes qui rendent ces produits attrayants pour les jeunes – du popsicle fusée à la crème de menthe en passant par le cappuccino et le beignet à la confiture.

Comment les petits malins de l’industrie ont-ils réagi ? En vendant des liquides de vapotage… et des additifs aromatiques juste à côté. Ils prétendent que ces additifs servent à parfumer les boissons, mais personne n’est dupe. Des bouteilles de liquide de vapotage neutre sont même vendues remplies aux deux tiers, permettant d’ajouter le rehausseur d’arômes. Baveux, vous dites ?

L’enquête de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac montre que l’industrie peut être encore plus frontale dans ses manigances. Comme le tabac est désormais le seul arôme permis, certains commerces vendent des liquides où il est écrit « tabac » sur la bouteille.

Le hic : selon la Coalition, ces liquides contiennent dans les faits toutes sortes d’arômes. Des codes de couleur sur les bouteilles permettent aux consommateurs de s’y retrouver. Une bande orange, par exemple, indique des parfums de mangue ou de fruits tropicaux.

Voilà un autre pied de nez grossier au règlement.

Une autre astuce consiste à expédier les produits interdits au Québec à partir de l’Ontario.

« Grande nouvelle ! Notre service d’expédition le lendemain est maintenant étendu à certaines régions de Montréal », peut-on lire, en français, sur un site de vapotage ontarien.

En clair, l’industrie se moque de nous. La preuve se trouve dans ce commentaire publié sur Facebook par la propriétaire d’une boutique de vapotage.

« Venez nous voir en boutique. Vous allez être surpris des efforts qui ont été déployés afin de contourner le contournable », a-t-elle osé écrire.

Comment arrêter le cirque ? Il existe plusieurs visions à ce sujet.

Il y a d’abord celle du ministère de la Santé, qui est loin de rester les bras croisés. On me dit que plus de 750 inspections ont été réalisées dans les boutiques de vapotage depuis l’adoption du nouveau règlement il y a six mois.

Le hic : il n’est pas simple pour les inspecteurs de démontrer hors de tout doute que les arômes offerts sont vraiment destinés à être vapotés.

Pour ça, plusieurs dizaines de dossiers (on me dit entre 30 et 40) ont été transmis au Directeur des poursuites criminelles et pénales. Québec espère des victoires en justice claires qui dissuaderont les délinquants et montreront que les règlements actuels fonctionnent. Mais évidemment, qui dit système de justice dit délais importants.

De son côté, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac estime qu’il faut donner un tour de vis aux lois actuelles, tant provinciales que fédérales. Elle recommande notamment d’interdire la vente de liquides de vapotage et de rehausseurs d’arômes dans le même commerce, ainsi que de bannir la vente interprovinciale de produits de vapotage (comme c’est le cas pour le tabac).

Ces solutions doivent certainement être explorées. Mais pendant qu’on le fait, il faut réaliser que, chaque mois, de nouveaux jeunes deviennent accros à la nicotine à cause des produits de vapotage.

Il y a pourtant une autre solution à déployer. Le directeur national de santé publique a déjà proposé d’exiger des permis pour la vente des produits de vapotage et, par souci de cohérence, de ceux du tabac⁠3. Actuellement, les commerçants qui n’affichent pas leurs produits n’ont besoin d’aucun permis. Ceux qui les placent à la vue des clients ont besoin d’une autorisation, mais pas d’un permis comme l’entend la Santé publique. L’avantage de la proposition, c’est qu’on pourrait retirer les permis en cas d’écart de conduite. Il me semble que les dérapages actuels montrent la nécessité et l’urgence d’un tel mécanisme.

Si, après cela, l’industrie continue à jouer au plus fin avec nos lois et avec la santé des jeunes, si elle se montre incapable de commercialiser des produits de vapotage de façon responsable, on devrait lui retirer ce privilège et le confier à l’État.

J’ai déjà suggéré de confier la vente des produits de vapotage à la Société québécoise du cannabis⁠4. Pas dans les mêmes lieux – on veut éviter que les consommateurs de vapotage ne s’exposent aux produits de cannabis et vice-versa. Mais la SQDC a montré qu’elle peut commercialiser des substances psychoactives sans provoquer de hausse de la consommation chez les jeunes.

Bref, on a une belle solution de rechange au bordel actuel.

On devrait dès aujourd’hui réfléchir à cette possibilité. En envoyant un message clair à l’industrie du vapotage : c’est votre dernière chance.

1. Lisez la lettre de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac 2. Lisez le texte Le vapotage et la cigarette chez les élèves du secondaire en quelques chiffres sur le site du gouvernement 3. Lisez Recommandations de mesures visant à mieux encadrer le vapotage sur le site du gouvernement 4. Lisez la chronique « Vapotage : y a des limites à se faire niaiser » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue