Quiconque fréquente les aéroports sait que les vêtements mous règnent. Et pas seulement les week-ends ni non plus exclusivement à bord de vols vers Miami ou Las Vegas. Même pour des trajets plus business comme Montréal-Toronto, New York ou Londres, certains jours, on se croirait dans un vol nolisé pour aller à un match du Canadien à l’étranger. La personne qui s’aventure à porter un veston ou, pire, une cravate attire les regards ébahis, un peu comme le tatoué des années 1980 que l’on associait souvent à la délinquance. J’en sais quelque chose, étant parmi les derniers irréductibles à porter un costume et une cravate.

Est-ce possible qu’en 2024, nous jugions encore une personne sur la foi d’un choix vestimentaire ? Il faut croire que oui à la lumière de l’esclandre autour de chaussures portées par la ministre France-Élaine Duranceau lors d’une récente conférence de presse.

Je me suis amusé à analyser la pièce à conviction qui a tant fait jaser – cette photo où Mme Duranceau, accompagnée de deux ministres du gouvernement fédéral et de la mairesse de Montréal, incline malencontreusement son talon pour laisser paraître la marque indélébile de Christian Louboutin. Si, comme certains le suggèrent, Mme Duranceau souhaitait projeter son statut social en se présentant avec des chaussures de luxe, quels indices sur leur personnalité révèlent alors les vêtements portés par les autres figurants ?

Tiens, commençons par le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault. Rien de griffé chez lui, on en conviendra. Enfilant un pantalon oublié dans un cycle de séchage à température élevée et des chaussures probablement louées lors d’une visite au salon de quilles, M. Guilbeault cadre parfaitement avec l’image de son gouvernement – brouillon ! Soraya Martinez Ferrada, sa collègue ministre, arbore un style unicolore Silicon Valley 2010. Les Doc Martens surdimensionnés projettent un air inhospitalier qui détonne avec ses responsabilités de ministre responsable du Tourisme au Canada.

De toutes les personnes croquées, je parierais que c’est la mairesse Valérie Plante qui a le plus réfléchi à son look. Le long manteau coloré, le chemisier rayé, les espadrilles – elle ressemblait à quelqu’un qui partait pour Los Angeles immédiatement après la conférence de presse. Et pas avec Sunwing. Non, on l’imagine plutôt gravir les quelques marches d’un jet privé et se retourner vers ses sujets pour leur promettre de rapporter quelques souvenirs.

Que doit-on alors conclure des messages que souhaitaient transmettre ces acteurs politiques par l’entremise de leurs vêtements ? Euh – rien. Comme zéro. Ma revue de mode – au deuxième degré, on l’aura compris – souhaitait illustrer le ridicule de cette fausse polémique.

Mme Duranceau n’a vraiment pas de veine. Elle peut se permettre d’acheter des biens de luxe et milite pour un parti de centre droit – encore des crimes de lèse-majesté dans certains quartiers du Québec. Pour une société qui se vante d’être moderne et égalitaire, comment expliquer que nous continuions à utiliser des filtres des années 1960 pour attaquer une femme ? Jamais un homme n’aurait été ciblé comme l’a été Mme Duranceau.

Plusieurs qui avaient décrié avec raison les critiques à l’endroit des choix vestimentaires de l’ex-députée Catherine Dorion ont fait preuve d’un silence malheureux dans le présent épisode. Parmi les femmes qui se sont portées à la défense de la ministre, trop en ont profité pour rappeler un parcours imparfait en politique justifiant ainsi un tantinet les critiques à son endroit.

Combien de fois entendons-nous les électeurs souhaiter de l’authenticité et de la transparence en politique ? Si le billet d’entrée nécessite qu’une candidate épouse l’hypocrisie et modifie sa garde-robe, change les écoles de ses enfants ou utilise les services d’un CPE plutôt qu’une gardienne à la maison, qu’en est-il de la sincérité ? Que diraient les médias et les partis de l’opposition s’ils apprenaient que la ministre possédait vingt-cinq paires de chaussures de luxe qu’elle ne portait que les week-ends, mais qu’elle s’était procuré cinq paires chez Yellow pour ses conférences de presse ?

Je connais Mme Duranceau depuis une quinzaine d’années et même si elle siège à l’Assemblée nationale pour un parti différent de celui de ma conjointe, elle aussi députée, je la considère comme une amie. Je l’ai vue s’investir en philanthropie, à l’occasion avec des foulards griffés, et sans jamais compter ses heures. Les Québécois décideront de son sort et de celui de son gouvernement en 2026. Pour l’instant, disons qu’ils ont un vent de face. Bien que sa performance regarde les électeurs, ses choix vestimentaires devraient totalement échapper à leur jugement.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue