Des combats de rue sanglants et des militaires et miliciens qui se comportent comme des barbares.

Des bombardements qui déchirent le ciel et détruisent des villes.

Un pays où plus personne n’est en sécurité et où, quelque part entre New York et Washington, se trouve une fosse commune pleine de cadavres.

Bienvenue… aux États-Unis.

Ce scénario, sorti tout droit de l’imagination du cinéaste britannique Alex Garland, est celui du film Guerre civile, qui est, depuis sa sortie le 12 avril dernier, l’un des plus populaires en Amérique du Nord.

Est-ce qu’un conflit comme celui mis en scène dans ce long métrage de fiction pourrait devenir une réalité ? Le scénario de ce film est-il vraisemblable ?

J’ai invité Julien Tourreille – chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques à l’UQAM – au cinéma pour obtenir son avis. Et je peux tout de suite vous dire que sitôt sorti de la salle, j’ai compris qu’il n’avait pas été convaincu par la prémisse du film.

Ce à quoi on assiste n’est pas invraisemblable « si on a à l’esprit le degré potentiel de violence dans la société américaine », a d’abord dit ce politologue.

« Oui, il y a beaucoup d’armes en circulation. Oui, il y a des milices organisées. Oui, il y a des différends politiques très marqués », a-t-il ajouté.

Mais il y a un mais. Et il est fondamental.

Même si les Américains sont armés jusqu’aux dents, Julien Tourreille ne pense pas que les divisions actuelles, aussi sérieuses soient-elles, peuvent les conduire à une guerre civile.

D’ailleurs, si les miliciens paramilitaires « étaient si motivés ou si en colère par rapport aux autres et par rapport à l’État, ils auraient déjà eu l’occasion de se battre », dit-il.

PHOTO JIM BOURG, ARCHIVES REUTERS

Des membres de la milice Oath Keepers sont rassemblés devant les marches du Capitole, à Washington, le 6 janvier 2021.

L’émeute du 6 janvier 2021 à Washington « aurait pu être le déclencheur » d’un tel conflit. Mais l’insurrection s’est soldée par 5 morts et plus de 100 policiers blessés et il n’y a pas eu de suites.

Petite précision au sujet du scénario : on apprend rapidement dans le film que 19 États américains ont fait sécession et que l’offensive contre Washington est menée par le « front de l’Ouest », c’est-à-dire une alliance entre le Texas et la Californie.

Comment penser qu’un État associé aux républicains (le Texas) pourrait se battre aux côtés d’un État qui vote systématiquement pour le candidat démocrate à la présidence depuis 1992 (la Californie) ?

C’est « une drôle de proposition », affirme Julien Tourreille, mais ce n’est pas complètement farfelu.

« Soit on est dans un avenir rapproché, dans un horizon de près de 10 ans, et le Texas a tellement évolué démographiquement que c’est devenu un État bleu [démocrate]. Soit c’est une alliance de circonstance parce que les deux États sont, pour des raisons diamétralement opposées, fâchés de l’interventionnisme fédéral et revendiquent qu’on respecte leurs compétences », dit-il.

Et d’ajouter : « Et surtout pour avoir des moyens militaires supérieurs à ceux du fédéral. »

Le vrai problème du film, selon lui, c’est plutôt qu’on n’y explique pas les causes de cette guerre civile.

PHOTO A24, FOURNIE PAR L’ASSOCIATED PRESS

Nick Offerman incarne un président des États-Unis despotique dans Civil War.

On comprend que la Maison-Blanche est dirigée par un despote. On sait qu’il en est à son troisième mandat, qu’il a démantelé le FBI et donné le feu vert à des frappes aériennes contre des citoyens américains. Mais c’est à peu près tout.

« Je trouve que ça manque et que c’est une grosse faiblesse du film », affirme le politologue.

Il estime même que ça nuit à l’objectif de l’œuvre, qui est visiblement de mettre en garde les Américains contre la menace d’une guerre civile.

J’étais curieux : comment Julien Tourreille aborde-t-il la question d’une potentielle guerre civile avec ses étudiants ?

Il leur explique d’abord que la société américaine est effectivement très divisée, mais il précise ensuite que ce n’est pas le cas pour tous les enjeux.

« Je leur dis que sur certains sujets, ce n’est pas si polarisé que ça. L’avortement, en particulier. On voit que même dans les États très rouges [républicains], la question ne divise pas tant que ça. Ou, du moins, qu’il y a des majorités très nettes dans de nombreux États en faveur du droit à l’avortement. »

PHOTO AMANDA ANDRADE-RHOADES, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Conversation animée entre manifestants pro-choix et antiavortement devant le siège de la Cour suprême des États-Unis, à Washington, en mars

Je fais pour ma part toujours preuve d’une grande prudence quand j’aborde la question des risques de violence liés à la situation politique aux États-Unis.

On sait qu’un grand nombre d’Américains s’inquiètent de voir dégénérer la situation. Il y a deux ans, un sondage YouGov/The Economist a révélé que 43 % des Américains estiment qu’une guerre civile est plutôt probable (29 %) ou très probable (14 %) au cours des 10 prochaines années.

Pas de quoi nous rassurer.

Aussi improbable soit un tel scénario, le facteur Trump est une variable importante qui, à mon sens, nous empêche de prédire avec confiance le résultat de l’équation. Il ne se gêne pas plus qu’auparavant pour émailler ses discours de propos violents.

Je ne m’avancerai pas à prédire ce qui va se passer s’il perd l’élection en novembre prochain.

Julien Tourreille non plus. En revanche, il demeure optimiste.

« C’est une inconnue et une source d’inquiétude. J’ai du mal à présager quelle serait la réaction de ses partisans s’il perdait encore. Je pense que ça dépend aussi de l’ampleur d’une éventuelle défaite. Et de la réaction au niveau des États », dit-il.

« Si les Américains font comme en Géorgie en 2020 et disent qu’on a surveillé l’élection et que tout s’est bien passé, je crois quand même que la pratique démocratique est suffisamment ancrée, même chez les plus contestataires, pour qu’ils finissent par se résigner et accepter le résultat d’une éventuelle défaite. »

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