Il a suffi d’une seule journée du procès de Donald Trump pour illustrer son modus operandi : dans le monde de Trump, tout s’achète, à commencer par le silence. Cela a tellement bien fonctionné pour lui qu’il croit que c’est une façon tout à fait normale de procéder.

C’est d’ailleurs pour cela qu’il ne peut comprendre comment il se retrouve aujourd’hui devant un tribunal pour un incident qui, pour lui, fait partie de la façon normale dont on fait des affaires. Surtout quand on risque d’avoir des ennuis.

C’est ainsi que dès le premier témoin appelé à la barre, on a appris comment fonctionnait sa technique préférée, qu’on appelle le « catch and kill ». Avec l’aide d’un éditeur de journaux complice, il s’agit d’acheter l’exclusivité d’une histoire possiblement compromettante pour Donald Trump pour ensuite ne pas la publier.

Cela est arrivé au moins trois fois. Toujours pour couvrir des frasques de Donald Trump. Comme le fait qu’il était le père d’un enfant illégitime à la suite d’une liaison avec une femme de ménage (ce qui était faux), qu’il a eu une assez longue liaison avec une playmate du magazine Playboy. Et, ce qui est au centre de son procès actuel, qu’il avait eu une relation sexuelle avec l’actrice porno Stormy Daniels.

Dans tous les cas, les droits d’une histoire embarrassante pour l’ancien président ont été achetés pour l’enterrer grâce à l’arrangement que M. Trump avait depuis des années avec David Pecker, l’éditeur du National Enquirer.

L’Enquirer n’est pas exactement Le Monde ou l’Osservatore Romano, mais ce qu’il lui manque en rigueur est largement compensé par sa diffusion.

On appelle cela un tabloïd de supermarché, parce qu’il se trouve à la caisse de pratiquement toutes les épiceries à grande surface des États-Unis. Ses unes sont donc vues ou lues par des millions de personnes. On y parle le plus souvent d’ovnis, de régimes miracles ou de la vie cachée des vedettes. Mais aussi, parfois, de politique.

Pendant la campagne électorale de 2016, le journal a publié plusieurs articles négatifs à propos de la rivale de M. Trump, Hillary Clinton. On y disait, entre autres, que Mme Clinton avait engagé un tueur à gages, qu’elle avait échoué à un test de détecteur de mensonges du FBI ou qu’elle était si malade qu’il ne lui restait que six mois à vivre.

Dans les mois précédents, Trump avait aussi demandé à l’Enquirer de nuire à la campagne d’un rival pour la nomination républicaine, le sénateur Ted Cruz. Le journal avait publié une information totalement fausse (et farfelue) voulant que le père du sénateur ait été impliqué dans l’assassinat de John F. Kennedy.

Mais rien de tout cela n’est une infraction criminelle aux yeux des lois américaines. Pas même le fait d’avoir fait de fausses justifications dans les livres comptables pour masquer l’argent donné à Stormy Daniels. Cela ne devient un crime que s’il y a complot pour enfreindre une autre loi. Dans le cas maintenant devant le tribunal, on parle des lois électorales.

Le complot que doit démontrer la poursuite est celui d’avoir conspiré pour que l’affaire Stormy Daniels ne devienne pas publique avant l’élection de 2016. Rappelons le contexte : moins d’un mois avant le vote, une vidéo qui montrait M. Trump faisant des remarques sexistes venait d’être retrouvée et diffusée. Une autre histoire du genre aurait beaucoup nui à la campagne, d’où la nécessité de garder le secret sur la liaison avec l’actrice porno.

Ce n’est donc pas pour rien que l’éditeur du National Enquirer est le premier témoin entendu dans ce procès. Le complot tient à trois personnes : David Pecker, Donald Trump et Michael Cohen, ancien avocat personnel et homme à tout faire de l’ex-président qui avait payé les 130 000 $ exigés par Stormy Daniels.

Mais, sans doute pour la première fois dans sa vie, Donald Trump ne peut pas acheter l’indulgence du tribunal.

Déjà, le juge qui préside la cause, Juan Merchan, a ordonné à M. Trump de ne pas se prononcer publiquement sur la cause ou les témoins. Il l’a pourtant fait chaque jour depuis le début des procédures, ce qui pourrait lui valoir une condamnation pour outrage au tribunal.

Mais le plus ironique dans tout cela, c’est que M. Trump se plaint – sans qu’il n’ait pu apporter aucune preuve – qu’il s’est fait voler l’élection de 2020. Le résultat d’un grand complot démocrate, bref. Mais c’est lui, aujourd’hui, qui est accusé de complot… à propos de l’élection présidentielle de 2016.

Politiquement, M. Trump a passé les trois dernières années à jouer le rôle de la victime d’une élection qu’on lui aurait volée en 2020. On verra à la conclusion du procès, mais il est bien possible que le tribunal en vienne à la conclusion que c’est lui, Donald Trump, qui a triché lors de l’élection qui l’a porté à la présidence quatre ans plus tôt.

À l’approche d’une nouvelle élection qui s’annonce serrée, cela pourrait faire la différence.

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