À la fin de l’année, plus de 239 000 Canadiens auront reçu un diagnostic de cancer. Aux États-Unis, ils seront plus de 2 millions. Au Royaume-Uni, depuis 2002, le taux d’incidence du cancer a augmenté de 40 %. Kate Middleton fait partie de ces statistiques. Je ne connais pas la princesse personnellement et je ne sais pas si au quotidien elle est d’un naturel stoïque, mais dans son message vidéo annonçant la nouvelle au monde entier, elle m’a paru inébranlable.

La maladie est une chose lourde à porter et à gérer. Je suis certaine que d’avoir à le faire dans l’œil de public n’amène aucune légèreté. Surtout si, en plus, on se retrouve dans un maelstrom, lui aussi très public.

L’histoire de la photo retouchée de Kate Middleton est une blessure auto-infligée par le palais de Kensington.

À l’annonce de l’opération de la princesse de Galles en janvier dernier, le palais avait bien précisé que, suivant les conseils de ses médecins, il était peu probable qu’elle reprenne ses fonctions publiques avant Pâques. Toute personne de bonne foi pouvait très bien comprendre pourquoi. Il n’y a aucun mystère à élucider : une intervention médicale à l’abdomen requiert une convalescence. Et aujourd’hui, nous savons qu’à l’opération chirurgicale se sont ajoutés des traitements de chimiothérapie.

Alors pourquoi Kensington a-t-il diffusé cette photo truquée ayant fait couler tant d’encre ? Pour essayer de calmer les qu’en-dira-t-on souvent farfelus ? Ne pas répondre aux rumeurs non fondées, surtout lorsqu’il s’agit d’une grande institution privée, est un principe de base en communications.

Aussi, si le Palais avait tout simplement partagé la célèbre photo sur le fil Instagram du couple royal, cette controverse n’existerait pas. Il a préféré l’envoyer aux plus grandes agences de presse du monde – en guise de communication officielle –, prenant ainsi les journalistes pour ses majordomes.

Qui dit Instagram dit aussi outils pour retoucher les photos. Insta est en bonne compagnie. Le prolifique marché des applications de retouches a été estimé, par Yahoo Finance, en 2023, à plus de 300 millions de dollars. Aussi, 40 % de propriétaires de téléphones intelligents utilisent régulièrement ces applis et 71 % d’entre nous retouchons nos égoportraits. Une photo diffusée sur le réseau social n’aurait pas laissé à beaucoup de gens l’occasion de lancer la première pierre à Kate.

Cette sortie précipitée de l’équipe de Will et Kate aura eu, au moins, un effet positif. Celui de rappeler que les agences de presse ont des normes. Pour expliquer le retrait de la photo de sa plateforme de diffusion, l’Agence France-Presse avait déclaré que les modifications effectuées par le Palais ne respectaient pas les standards éthiques de la profession journalistique. Dans un communiqué, l’AFP soulignait aussi l’importance de « la transparence qu’elle doit au grand public en général dans une société où les images manipulées sont devenues omniprésentes ».

Collectivement, nous nourrissons cette société de miroirs aux alouettes avec les photos que nous téléversons sur diverses applications, et ce, des millions de fois par jour. Notre degré d’acceptation de la perception au détriment de la vérité – que nous semblons trouver si souvent malaisante – est inquiétant.

PHOTO CARLOS BARRIA, ARCHIVES REUTERS

Nous avons été des millions à entendre la fausse note d’Alicia Keys au spectacle de la mi-temps du Super Bowl, le mois dernier. Sur la vidéo officielle du spectacle, la gaffe a été corrigée.

Cette année, nous n’avons jamais été autant, partout dans le monde, à regarder le spectacle de la mi-temps du Super Bowl. Nous avons été des millions braqués sur la performance d’Usher. Et à entendre Alicia Keys rater sa première note. Une gaffe depuis effacée et corrigée dans la vidéo officielle de la NFL, vue 25 millions de fois sur la chaîne YouTube de la ligue.

Le mensonge et la duperie sont souvent à l’honneur aujourd’hui. Dans la monarchie, dans le divertissement, dans les institutions et même en politique.

« Le président Biden a-t-il été légitimement élu en 2020 ? », demandaient récemment dans un sondage le Washington Post et l’Université du Maryland. Pas moins de 36 % des répondants ont répondu que non et 2 % n’avaient pas d’opinion⁠1. Avoir à poser la question est déjà très grave. Les négationnistes qui refusent de reconnaître la victoire de Joe Biden ne sont pas uniquement des participants à des sondages. Il y a aussi des élus du Sénat et de la Chambre des représentants américains, qui sont souvent invités par des organismes de presse sérieux à commenter les enjeux politiques du moment. Leur point de vue sur la réforme de l’immigration ou sur l’avortement a-t-il vraiment une valeur s’ils nient la victoire légitime du 46e président des États-Unis ?

Entre ça et les promesses souvent non tenues d’élus d’ailleurs et d’ici, il n’est pas surprenant de voir que le taux de confiance envers les politiciens est si bas. Chez Edelman – mon employeur –, nous mesurons la confiance depuis 24 ans. La plus récente édition canadienne de notre Baromètre de confiance a tout récemment été dévoilée et 60 % des répondants canadiens croient que les élus leur mentent et tentent délibérément de les tromper en disséminant de l’information qu’ils savent erronée ou largement exagérée. C’est 7 points de plus que l’année dernière. Mais 51 % des Canadiens font confiance aux médias – une hausse d’un point. Dans les pays sondés dans le monde, c’est 64 % de la population qui ne fait pas confiance aux médias2.

Tous les médias ne sont pas les mêmes et ils ne peuvent être tous mis dans le même panier. Le « Kategate » en est la preuve. « L’AFP se devait de retirer la photo au nom de la confiance », pouvait-on aussi lire dans le communiqué de l’agence de presse.

Quelques jours plus tard, Phil Chetwynd, le directeur de l’information à l’international de l’AFP, était plus tranchant sur les ondes de la BBC : le palais de Kensington n’était plus, selon lui, une source fiable.

Le prince William et la princesse Kate représentent l’avenir de la monarchie. Pendant longtemps, le plus grand souci de cette institution a été de paraître moins ringarde et déconnectée. Aujourd’hui, elle doit gérer le fait que beaucoup de gens ne la croient plus. C’est dommage.

PHOTO JONATHAN BRADY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le prince William, la princesse Kate et leurs enfants en septembre 2022

Rien ne l’y oblige, mais si Kate Middleton décidait de faire œuvre utile, son parcours face à la maladie pourrait aider bien des gens. À l’image de l’ancienne première dame des États-Unis Betty Ford, qui a fait part très publiquement de son diagnostic de cancer du sein, puis celui d’alcoolisme, et provoqué ainsi d’importants changements dans la perception, le traitement et la prévention de ces deux maladies. Les effets de cette approche sont encore bien perceptibles, 50 ans plus tard.

Dans leur message d’appui à la princesse, à la suite de l’annonce de son diagnostic de cancer, Harry et Meghan ont souhaité santé et guérison à Kate et à sa famille, en espérant qu’elles pourront le faire en privé et en paix. Je souhaite la même chose à la princesse.

1. Consultez le sondage du Washington Post et de l’Université du Maryland (en anglais – abonnement requis) 2. Consultez l’édition canadienne 2024 du Baromètre de confiance Edelman Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue