Parmi tous les scénarios possibles pour l’A220 (l’ex-C Series), celui annoncé jeudi est sans doute un des moins mauvais.

La perte comptable inscrite de 600 millions n’est qu’un polaroïd de la valeur actuelle de l’investissement de Québec. L’important est que pour les prochaines années, les avions auront maintenant plus de chances d’être construits au Québec et d’être vendus en assez grand nombre pour que Québec réduise sa perte ou fasse même de l’argent.

PHOTO CLODAGH KILCOYNE, ARCHIVES REUTERS

Modèle réduit d’un avion de la C Series de Bombardier, à l’usine de Belfast, en 2017

Les déboires de Bombardier ont frustré avec raison les Québécois. Avec le risque démesuré du C Series, la famille Beaudoin-Bombardier a mené l’entreprise au bord de la faillite puis a quémandé l’aide de Québec pour ensuite se verser des millions en primes. Cette famille milliardaire incarne tout ce qui choque dans le capitalisme d’aujourd’hui.

Reste que peu importe le responsable, Bombardier était bel et bien au bord de la faillite. Il y avait une crise, et Québec devait y réagir.

Avec le recul, on constate que l’entente signée en 2015 par le gouvernement libéral n’était pas aussi malavisée qu’on le prétendait. Et que la version renégociée par le gouvernement caquiste l’améliore indéniablement.

En 2015, le gouvernement libéral a injecté 1,3 milliard dans le programme de la C Series. C’était nécessaire, selon le premier ministre Couillard, pour envoyer un signal de confiance envers cet avion.

L’opposition reprochait alors aux libéraux de ne pas avoir investi dans la société mère de Bombardier. Or, tout indique qu’un tel investissement n’aurait pas suffi à régler la crise de la dette de Bombardier et n’aurait pas empêché non plus la vente du C Series à un concurrent étranger, par exemple en Chine, avec les risques de délocalisation que cela implique.

Cinq ans plus tard, le redressement de la société mère se fait encore attendre, l’action colle au plancher et la dette dépasse 9 milliards US, sans oublier les obligations de plus de 2 milliards envers les retraités. Tandis que le pronostic s’améliore pour la C Series.

Bien sûr, certains aspects de l’entente de 2015 peuvent laisser songeur. Par exemple, Québec a contrevenu à un principe de base voulant que le dernier à investir dans une entreprise en péril soit le premier à être remboursé. Les libéraux ont donc paru généreux en comparaison avec la Caisse de dépôt, qui a conclu une entente coupe-gorge avec la division des Trains de Bombardier, avec un rendement garanti de 15 % ! Reste que la Caisse obéissait à une logique d’investisseur alors que le gouvernement visait à préserver la filière aéronautique et ses emplois.

On sait ce qui s’est passé ensuite. La C Series a vendu en 2016 des appareils à l’avionneur Delta, ce qui a déclenché une poursuite de Boeing qui lui fermait alors temporairement le marché américain.

Encore une fois, le projet était en péril. Flairant la bonne affaire, Airbus a tendu la main. En 2017, la C Series lui a été cédé au prix symbolique d’un dollar. Une coentreprise a ainsi été créée entre Airbus (50,1 %), Bombardier (31 %) et Québec (19 %).

En parallèle, Bombardier voulait opérer un redressement en misant sur ses activités dans les trains et les avions d’affaires. Ses misères se sont toutefois poursuivies. Encore étranglée par les dettes, la société a enchaîné les ventes d’actifs. Cette semaine, c’était au tour de sa participation dans l’A220 (l’ex-C Series) d’être vendue.

Qu’advient-il de l’investissement de Québec ? C’est cela qui a été expliqué hier par le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon.

À la suite du départ de Bombardier, Québec détient maintenant 25 % de la coentreprise et Airbus en a 75 %.

Il y a quelques raisons d’être prudemment optimiste. D’abord, l’A220 est, de l’avis des spécialistes, un bon avion. Et Airbus est un bon vendeur.

Petit acteur, Bombardier suscitait la méfiance pour son service d’après-vente. Airbus, au contraire, inspire confiance aux acheteurs. Son arrivée a d’ailleurs coïncidé avec une hausse de 65 % du carnet de commandes, explique Mehran Ebrahimi, directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile.

De plus, l’avion répond à un besoin du marché : celui d’un appareil à longue portée, mais de taille intermédiaire pour les transporteurs qui veulent maximiser le taux d’occupation de leurs sièges. Ajoutons que les récents ratés du 737 MAX de Boeing ne feront qu’aider l’A220.

Hier, l’opposition solidaire a reproché aux caquistes de ne pas avoir obtenu de garantie pour protéger les emplois. Or, de telles « garanties » inviolables, ça n’existe pas, a répondu M. Fitzgibbon avec son habituelle franchise qui l’honore. Il a donné le cas de Mega Brands pour rappeler que rien n’empêche une société de sabrer les emplois puis déménager. Et de toute façon, sans transaction, rien n’aurait garanti non plus que les emplois auraient été protégés. 

M. Fitzgibbon est confiant pour le maintien des emplois, et cela se comprend. Une chaîne de montage ne se déménage pas facilement, et la main-d’œuvre experte ne se trouve pas partout.

Et surtout, Airbus veut accélérer la cadence de production. Elle pense donc plus à créer des postes qu’à en éliminer.

Un des vices de l’entente des libéraux était de permettre à Airbus de racheter la part de Québec à la date de son choix à partir de 2023. M. Fitzgibbon a modifié cette clause.

Québec vendra à une date prédéterminée, en 2026, alors que le programme aura atteint sa maturité et que sa valeur aura plus de chances d’avoir augmenté.

Certes, il est impossible de savoir si l’investissement de Québec sera à terme déficitaire. Reste qu’avec la version renégociée par Québec, le risque de perte diminue. Et l’A220 a plus de chances d’être assemblé chez nous et de trouver des acheteurs.

De vives inquiétudes demeurent pour l’avenir des divisions de train et d’avions d’affaires de Bombardier. Mais pour l’A220, sans pouvoir maintenant crier au succès, il semble à tout le moins que le pire a été évité.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion