Il est facile de perdre de vue les nouvelles qui ne concernent pas la pandémie. Comme cette annonce faite récemment par Google, qui offre de verser 1 milliard aux médias écrits pour l’utilisation de leur contenu.

En soi, c’est une décision historique : le géant du web reconnaît enfin que les nouvelles qu’il racle gratuitement sur le web pour augmenter le trafic sur ses pages ont une valeur. Et donc, qu’il est juste pour lui de redonner à ceux qui les produisent une part des revenus mirobolants qu’il engrange chaque année grâce à eux.

Mais les bonnes nouvelles s’arrêtent là, malheureusement. Car il suffit de décortiquer la somme offerte pour réaliser à quel point elle est dérisoire.

Google offre en effet 1 milliard de dollars américains.

Sur trois ans.

Pour tous les médias de la planète !

Au Canada, on pourrait s’attendre à une somme de 34 millions.

Sur trois ans.

À distribuer à la centaine de médias qu’on retrouve au pays !

Pas même besoin de faire le calcul : c’est une fraction infinitésimale des revenus de cette entreprise qui a tout de même réussi à générer 162 milliards en une seule année.

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Clairement, on ne peut laisser les géants du web abuser de leur monopole pour décider s’ils offrent de l’argent aux médias, comment et combien.

C’est demander à Goliath de décider du sort de David…

Voilà pourquoi les éditeurs de médias écrits au Canada (regroupés au sein de l’organisme Médias d’info Canada) ont publié un rapport, jeudi, qui propose au gouvernement Trudeau une solution clé en main : la négociation forcée d’égal à égal.

C’est la voie que privilégie l’Australie depuis l’été dernier, et bien franchement, c’est l’approche la plus poussée et réfléchie qui a été élaborée depuis que les médias ont vu filer 80 % des revenus publicitaires en ligne vers les Google et Facebook de ce monde.

En un mot : on adopte une loi pour obliger Goliath à s’asseoir.

ILLUSTRATION GETTY IMAGES

« Les avantages de l’approche australienne sont nombreux », souligne François Cardinal.

Et on permet à tous les petits David que sont les journaux de se coaliser afin de lui faire face.

On donne aux deux parties 90 jours pour négocier une compensation équitable pour l’utilisation du contenu.

Et on dépose un fusil sur la table, en quelque sorte : sans entente, on force l’arbitrage. Chacun soumet son offre, puis l’arbitre choisit la meilleure des deux.

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Il n’y a pas mille façons de procéder avec les géants du web : ou bien on brise leur monopole pour réduire leur pouvoir… ou bien on réduit le pouvoir que leur confère leur monopole.

L’Australie a choisi la deuxième voie. Et le Canada devrait clairement en faire autant.

Les avantages de l’approche australienne sont en effet nombreux.

Pas de nouvelle taxe imposée aux entreprises ni aux consommateurs. Pas de nouveau financement public ni d’ingérence du gouvernement dans l’industrie médiatique.

On demande simplement aux géants du web de faire ce que les câblos ont fait avant eux : payer une redevance juste et équitable pour la diffusion de contenu qu’ils ne produisent pas.

En plus, l’Australie a eu la bonne idée d’ajouter du mordant à son approche.

Une fois le processus lancé, Google et Facebook ne peuvent plus exercer de représailles, en changeant leur algorithme sans préavis par exemple, ou en supprimant le contenu d’un éditeur. Ils doivent aussi divulguer aux journaux une autre richesse qu’ils encaissent sans en partager les dividendes : les données des utilisateurs recueillies grâce au contenu médiatique.

Et s’ils ont le malheur d’y contrevenir, les amendes sont très, très élevées…

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Dans son discours du Trône, Justin Trudeau a promis qu’il allait tout faire pour que les revenus des géants du web soient enfin « partagés équitablement » avec ceux qui produisent le contenu repiqué.

Voilà donc une solution clé en main pour le ministre responsable, Steven Guilbeault, qui ne prendrait peut-être pas 90 jours à implanter, comme le précise le rapport de Médias d’info Canada, mais qui a l’avantage d’être simple et applicable au pays.

Il manque juste une chose, ici au Canada : une organisation prête à encadrer le processus de négociation (comme l’Australian Competition and Consumer Commission).

Le rapport propose de créer un nouvel organisme, mais il pourrait être plus sage de passer par un élargissement du mandat du Bureau du droit d’auteur ou du CRTC (comme le suggérait d’ailleurs le rapport Yale).

Cela dit, l’important n’est pas le détail de l’application. C’est le principe qui sous-tend la solution australienne : forcer Goliath à s’asseoir et à négocier pour remédier aux défaillances évidentes du marché dont il est responsable. Et vite.

Lisez le rapport de Médias d’info Canada

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