«Aujourd'hui, on s'est pratiqué au cas où un fou entrerait à l'école pour nous tuer.»

Danielle Laurendeau n'en croyait pas ses oreilles le jour où ses enfants sont rentrés de l'école avec des amis en racontant des histoires de tireur fou. Certains disaient qu'ils ne voulaient plus retourner à l'école. Une fillette a proposé de s'y rendre avec un couteau, juste au cas... Un petit de maternelle a raconté qu'il devait mettre des cartons noirs à la fenêtre et se cacher.

Mme Laurendeau a compris que ses enfants et leurs amis avaient reçu à l'école des explications sur ce qu'on appelle un exercice de «confinement barricadé». Un exercice qui vise notamment à préparer le personnel et les élèves à la menace d'une intrusion armée. Mais pour le fils de Mme Laurendeau, qui n'est pas particulièrement anxieux de nature, la simple préparation à cet exercice a été d'abord et avant tout une expérience traumatisante. Il a fait des terreurs nocturnes pendant des semaines.

Il avait peur que quelqu'un entre dans la maison pendant la nuit.

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Toutes les écoles ont l'obligation d'avoir un plan de mesures d'urgence. Personne ne conteste le bien-fondé de cette obligation. Mais est-ce vraiment nécessaire de faire des exercices de confinement avec de jeunes enfants? Au nom de la sécurité, ne risque-t-on pas d'accroître leur sentiment d'insécurité? Et même si l'exercice est mené de la façon la moins traumatisante qui soit, est-il pertinent?

Pour Mme Laurendeau, qui a cosigné une lettre avec une soixantaine de parents et de citoyens préoccupés par la popularisation de ces exercices, une réflexion sérieuse sur le sujet s'impose.

«Il me semble que l'exercice de confinement fait partie de ces mesures simples à mettre en oeuvre, qui donnent bonne conscience aux adultes et qui permettent de faire l'économie de moyens plus complexes pour agir sur les causes de la violence», me dit-elle.

Il me semble aussi.

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Je n'avais jamais entendu parler de ces exercices avant que Normand Beaudet, du Centre de ressources sur la non-violence, m'en glisse un mot, il y a deux semaines. J'ai été étonnée d'apprendre qu'une dizaine d'écoles de la Commission scolaire de Montréal font des exercices de confinement avec leurs élèves et que c'était même la norme à la commission scolaire English-Montréal. En Ontario, où la culture de la peur semble encore plus présente qu'ici, toutes les écoles financées par l'État ont l'obligation de faire des exercices de confinement deux fois par année.

La prévention, la non-violence, Normand Beaudet connaît. Cela fait 25 ans qu'il y travaille. Au cours des dernières semaines, il a reçu beaucoup d'appels de parents préoccupés par la nouvelle mode des exercices de confinement. Il n'en croyait pas ses oreilles lui non plus. «C'est totalement contraire à tout ce qu'on essaie de faire en prévention de la violence!»

Pour prévenir la violence, on doit donner aux élèves le sentiment qu'ils ont du pouvoir sur leur vie. Leur apprendre la confiance. Leur apprendre la solidarité. Leur faire comprendre que la violence n'est pas une fatalité devant laquelle ils sont impuissants. C'est d'autant plus important en milieu défavorisé, où trop d'enfants ont déjà des vies marquées par le stress et la violence. Ils doivent sentir que l'école est un lieu paisible où règne un climat de confiance.

Le message que les exercices de confinement envoient aux élèves est à mille lieues de ces objectifs. On leur apprend la crainte de l'autre. La crainte de l'adulte.

Ces solutions simplistes, dans l'air du temps, donnent une fausse impression de sécurité. Sans s'en rendre compte, de plus en plus apeurés, on s'enfonce davantage dans cette dérive sécuritaire qui a commencé après le 11 septembre 2001.

On supprime les postes de psychologue dans les écoles. On augmente la présence policière. On délaisse la prévention. On augmente la surveillance. Et peu à peu, on transforme l'école en «bunker» où tout le monde se méfie de tout le monde.

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Même si rien dans la loi ne les rend obligatoires, tant la Sûreté du Québec que le Service de police de la Ville de Montréal recommandent que les écoles fassent des exercices de confinement. Quant à savoir s'il faut les faire en présence des élèves, la décision appartient à chaque commission scolaire. Le ministère de l'Éducation n'a émis aucune directive en ce sens.

Qu'ils soient psychologues ou spécialistes en prévention de la violence, les experts universitaires que j'ai consultés à ce sujet étaient tous sceptiques devant de telles pratiques. «Les parents ont raison de s'interroger. Je m'interrogerais d'autant plus que c'est fait dans un contexte d'école primaire», m'a dit Lyse Turgeon, professeure à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal et psychologue clinicienne.

Pour un enfant qui est plus sensible, ce genre d'exercice pourrait générer une grande anxiété, note la professeure spécialisée dans l'intervention auprès d'enfants atteints de troubles anxieux.

Selon Jacques Hébert, professeur à l'École de travail social de l'UQAM et expert en prévention, le fait de dévoiler la stratégie choisie en cas d'intrusion armée apparaît d'emblée comme une bien mauvaise idée.

«Quand vous suivez un cours d'autodéfense, la première chose qu'on vous dit, c'est: ne révélez pas ce que vous apprenez. Pas même à votre conjoint!», souligne le professeur, qui est aussi spécialiste des arts martiaux.

Révéler son plan d'urgence, c'est risquer que des personnes mal intentionnées puissent plus facilement encore le déjouer, note-t-il.

Ces réserves quant aux conséquences de ces exercices et à leur pertinence ont amené certaines commissions scolaires à ne pas faire d'exercices de confinement ou à les faire uniquement avec le personnel de l'école.

À la Commission scolaire de Montréal, après que des parents eurent exprimé des préoccupations à ce sujet, on a décidé de mettre sur pied un comité qui réfléchira à la question dès l'automne. Réfléchir avant d'aller de l'avant avec ces exercices plutôt qu'après aurait été plus judicieux. Mais remarquez, au moins, on réfléchit... C'est déjà ça de pris.

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Jusqu'où irons-nous dans ce délire sécuritaire? Après les exercices de confinement, ce sera quoi? se demande Normand Beaudet. Des gilets pare-balles pour tous les élèves?

Il a lancé la question à la blague la semaine dernière. C'était avant de connaître la dernière invention américaine en matière de prévention: la couverture pare-balles pour écoliers. Faite avec les mêmes matières que les gilets pare-balles de l'armée américaine, elle se porte comme un sac à dos. Assez forte pour l'armée, mais conçue pour l'école. Avec ça, même plus besoin de contrôle des armes à feu ni même de prévention. N'est-ce pas formidable?

Avis divergents selon la commission scolaire

Commission scolaire de Montréal

• Une dizaine d'écoles sur 200 font des exercices de confinement avec leurs élèves depuis deux ans.

• Certaines les font seulement avec le personnel lors de journées pédagogiques.

• La décision est prise par le conseil d'établissement de chaque école.

• En principe, au primaire, on n'évoque jamais la présence d'un tireur. L'exercice est plutôt présenté comme un «exercice de cloche».



Commission scolaire English-Montreal

• Toutes les écoles font des exercices de confinement avec les élèves.

• Selon Michelle Stein, directrice de l'école primaire Pierre Elliott Trudeau, qui fait l'exercice deux fois par année depuis quatre ans, il est possible de l'aborder avec une approche ludique, sans créer une atmosphère de crainte, même avec les enfants de maternelle. «Je n'ai jamais eu de plaintes d'aucun parent», assure-t-elle.



Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys


• On ne sait pas combien d'écoles ont fait des exercices de confinement, que ce soit avec ou sans les élèves.

• La décision appartient à chaque établissement. Il n'y a pas d'obligation de faire l'exercice. On va de l'avant, en collaboration avec le Service de police de la Ville de Montréal, seulement si les parents et l'école le veulent. Certains sont réfractaires, estimant que cela pourrait traumatiser les enfants.



Commission scolaire Marie-Victorin (Rive-Sud)


• Aucun exercice de confinement n'est fait. On privilégie plutôt l'information et la formation. On craint que l'exercice de confinement soit un élément bouleversant pour les élèves ou même le personnel. On craint aussi que cela permette à un agresseur potentiel de connaître le plan d'urgence en pareilles circonstances.

Le point de vue des corps policiers

Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)

• En 2008, le rapport du coroner Jacques Ramsay sur la fusillade de Dawson recommandait que tous les établissements scolaires se dotent d'un plan d'urgence pour faire face à une telle situation.

• Le SPVM a alors rencontré les dirigeants des commissions scolaires et leur a proposé de faire des exercices de confinement barricadé.

• Depuis 2011, de tels exercices ont eu lieu sur le territoire du SPVM. «On n'oblige personne à y participer. Ce sont les commissions scolaires qui les organisent»

 - Le sergent Laurent Gingras



• La majorité des exercices ont lieu dans des écoles secondaires. Ils se font aussi au collégial et à l'université.

• Le SPVM recommande de faire ces exercices en présence des élèves.

• Est-il risqué de dévoiler son plan? «Si on le fait, c'est qu'on juge qu'il y a plus de bénéfices que de désavantages.»

 - Le sergent Laurent Gingras



Sûreté du Québec

• Le programme PRES (Plan de réponse pour des établissements sécuritaires) a été mis sur pied en septembre 2008 pour se préparer en cas de fusillade dans les écoles.

• 1658 écoles (97%) sur le territoire de la Sûreté du Québec (SQ) y participent.

• 60% font des exercices de confinement uniquement avec le personnel.

• 6% font ces exercices avec les élèves et le personnel.

• La SQ recommande de faire l'exercice en présence des élèves.

• Est-il risqué de dévoiler son plan? «On ne dévoile pas tout. C'est comme dans les exercices d'incendie. On ne leur montre pas à mettre le feu!»

- Benoît Richard

Service de police de Longueuil

• Seules les directions d'établissements scolaires reçoivent une formation sur les exercices de confinement barricadé.

• On craint que les exercices suscitent de l'anxiété chez les élèves et que les stratégies choisies puissent venir aux oreilles de personnes mal intentionnées.

PHOTO PRISE SUR LA PAGE FACEBOOK DE BODYGUARD BLANKET

Aux États-Unis, la dernière invention en matière de prévention a été dévoilée récemment: la couverture pare-balles pour écoliers. Faite avec les mêmes matières que les gilets pare-balles de l'armée américaine, elle se porte comme un sac à dos.