Je suis arrivé en retard à la séance de design thinking organisée jeudi dernier afin de trouver des idées qui allaient procurer un nouvel essor au magazine L'Itinéraire. Le design thinking, c'est une nouvelle technique de remue-méninges nouveau genre « centrée sur l'humain » que les spécialistes du marketing ont adoptée il y a quelques années. Le procédé fait fureur en ce moment.

Le but du design thinking est de se glisser dans la peau de ceux qui ont un problème et de l'aider à le résoudre. Nous étions donc environ 200 à tenter de nous mettre dans la tête des camelots et de l'équipe de direction de L'Itinéraire. J'ai eu la chance de participer à plusieurs « brainstormings » dans ma vie, mais comme celui-là, jamais.

L'événement avait lieu sous la partie surélevée de la rue Notre-Dame dans le Vieux-Montréal. On avait installé une scène autour de laquelle des groupes de cinq ou six personnes étaient installés sur des tables à pique-nique. Comme l'exercice était déjà commencé, je me suis dirigé vers un groupe choisi au hasard. « Va plutôt avec cette gang. Ils ont besoin d'aide. »

Mes nouveaux amis étaient en train d'élaborer un concept pour permettre aux camelots de faire face au foutu problème des clients qui n'ont pas d'argent comptant sur eux pour acheter le magazine. On a eu la chance d'avoir dans notre équipe deux camelots qui ont pu nous parler de ce qu'ils vivaient. Il y avait aussi Martine, une ancienne réalisatrice de Radio-Canada, et Patrick, un geek qui a été fort utile à notre équipe.

En quelques secondes, j'étais l'un des leurs. De toute façon, nous n'avions pas de temps à perdre : dans un design thinking, toutes les secondes sont comptées.

Chaque équipe avait un mandat à remplir. Il y avait des étapes à suivre. Pour chacune, un temps était imparti. Ça jasait fort. Il y avait des neurones dans l'air.

Il y avait aussi un DJ qui maintenait le rythme de l'opération. Et une armée d'animateurs qui passaient d'une table à l'autre pour nous motiver, nous encadrer, nous replacer. Je me suis arrêté un instant pour regarder l'ensemble du tableau. Des jeunes, beaucoup de jeunes dans la trentaine, constituaient cette faune bouillonnante.

Ces jeunes avaient tous pris congé jeudi après-midi et offraient bénévolement de leur temps au magazine L'Itinéraire. Si certains étaient venus pour apprendre les rudiments du design thinking offert cette journée-là par la firme Talsom, la plupart des participants faisaient cela pour aider L'Itinéraire. Je vous dis que c'était beau à voir !

Je regardais ces jeunes et je pensais à toutes ces études qui prétendent que la génération Y est la plus individualiste de l'histoire de l'humanité, qu'elle ne pense qu'à elle, qu'elle n'a qu'un but dans la vie : se prendre en égoportrait pour le reste de ses jours.

Je vous avoue que je suis franchement tanné de ces affirmations à l'emporte-pièce. Je suis tanné, car ce n'est pas du tout ce que j'observe.

Je trouve au contraire que les jeunes issus de la génération Y, renommée par certains spécialistes génération « J'ai le droit », sont certes ambitieux et impatients (qui ne l'a pas été à 20 ans ?), mais qu'ils font preuve de beaucoup d'allocentrisme. L'expérience du design thinking en est un bon exemple.

Je peux aussi vous parler du phénomène des jeunes mécènes dans le domaine des arts. La plupart des musées et des compagnies de danse ou de théâtre ont leur groupe de jeunes mécènes. Ceux-ci consacrent beaucoup de temps à organiser des événements afin d'aller chercher de nouvelles sources de revenus pour l'organisme qu'ils représentent. Je le sais, car j'ai des amis qui font partie de ces groupes. Si je les écoutais, je passerais toutes mes soirées à manger des petits fours et à distribuer mes économies. Ce sont des passionnés qui défendent avec ardeur leur cause, je peux vous en passer un papier.

Récemment, j'ai voulu voir si j'étais capable d'écrire dans un environnement public. J'ai testé quelques espaces de travail collaboratif, ce qu'on appelle des coworking spaces. Ces lieux sont surtout fréquentés par de jeunes travailleurs. Certains y viennent en petits groupes. Des liens se tissent. Les plus mal intentionnés diront que tout cela sert à du vulgaire réseautage d'affaires ou encore à de la drague (c'est vrai pour la drague). Moi, j'y vois surtout une envie de partage, d'échange et d'entraide.

Je réalise que l'on est en train d'abandonner lentement et sûrement les nombreux clichés accolés à la génération Y. Pourquoi ? Parce que ceux qui en font partie sont devenus des adultes et que nous prenons enfin conscience de leur véritable étoffe. On comprend qu'ils fonctionnent en horizontalité. Pour eux, la hiérarchie ou les systèmes pyramidaux sont moins importants. Et voir les choses à l'horizontale veut aussi dire qu'on scrute l'horizon.

La génération « J'ai le droit » s'est accordé tous les droits, y compris celui de nous berner et de nous faire croire qu'elle n'avait que des défauts. P'tits maudits, va !