Les familles de personnes vivant avec une déficience physique ou intellectuelle en ont assez d’attendre. Cinq d’entre elles ont fait parvenir vendredi une mise en demeure au gouvernement, afin d’exiger que leurs proches ayant un handicap soient vaccinés dès maintenant.

« On ne comprend pas pourquoi Québec est complètement aveugle à cette population-là. Si ce n’est la trisomie 21, il n’y a quasiment aucune mention dans les groupes prioritaires. Ça exclut tellement de personnes qui sont pourtant très à risque d’hospitalisation », plaide Alexandre Grant, dont le frère jumeau Jonathan vit avec un trouble du spectre de l’autisme et une déficience intellectuelle.

C’est MJulius Grey qui représente les familles. « Les personnes vivant avec un handicap sont aussi vulnérables – sinon encore plus – à la COVID-19 que les personnes souffrant de maladies chroniques bénéficiant actuellement d’un accès prioritaire à la vaccination. Les personnes vivant avec un handicap, qu’il soit physique ou psychologique, devraient donc avoir accès à la vaccination de façon immédiate », plaide le juriste dans la mise en demeure, que La Presse a pu consulter.

L’avocat réclame que Québec modifie la liste des priorités de vaccination « d’ici une semaine », sans quoi, affirme-t-il, son équipe n’aura d’autre choix « que d’intenter les recours juridiques qui s’imposent ». MGrey envisage notamment « l’injonction, le recours en dommages-intérêts, l’action collective et/ou une application à la Commission des droits de la personne ».

Pour l’avocat, exclure les personnes handicapées des groupes prioritaires de vaccination relève de pratiques « discriminatoires, voire dangereuses pour la vie et la sécurité ». Leur accorder une priorité relève des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, plaide-t-il.

Une lettre a aussi été envoyée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), afin que celle-ci fasse enquête et énonce d’éventuelles recommandations.

Indésirable, mais nécessaire

Alexandre Grant, lui, regrette de devoir recourir à la voie judiciaire et soutient qu’une solution est encore possible. « Ça fait des mois qu’on essaie de faire entendre nos inquiétudes, de plusieurs manières, et la réponse qu’on nous offre est toujours vague. Il n’y a jamais de changement », affirme-t-il.

Pour les personnes handicapées, composer avec la crise sanitaire est un lourd fardeau, dit le Québécois. « Récemment, mon frère est brièvement retourné au travail et il a été exposé à un cas positif. Devoir lui expliquer tout le processus, avec le dépistage et l’isolement, ça a été très dur. C’est trop lui demander. Ça l’a mis en détresse psychologique comme je l’ai rarement vu », raconte-t-il. Son frère a été vacciné vendredi, mais « plusieurs personnes sont encore en attente de rendez-vous », plaide M. Grant.

L’attitude du gouvernement est contraire à la science. Plusieurs études ont démontré que le risque est jusqu’à dix fois plus élevé pour les personnes en situation de handicap de subir des complications ou d’être hospitalisé.

Alexandre Grant, dont le frère vit avec un trouble du spectre de l’autisme

Québec reste prudent

Au cabinet du ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, l’attachée de presse Marjaurie Côté-Boileau affirme qu’aucun commentaire ne sera fait sur la mise en demeure « comme le dossier fait l’objet de démarches [judiciares] ». « Toutefois, nous suivons les recommandations du Comité d’immunisation du Québec concernant les groupes prioritaires à vacciner. Près de 13 000 personnes vivant avec un handicap ont pu être priorisées en fonction de leur vulnérabilité », souligne-t-elle.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), lui, précise que « la vaccination des personnes handicapées physiques et mentales sera offerte à ces personnes dans un groupe suivant ». « Il faut se montrer patient. La vaccination sera élargie à d’autres groupes sous peu, selon l’arrivée des doses de vaccins », soulève la porte-parole, Marie-Louise Harvey.

Celle-ci affirme que « les priorités visent à protéger les personnes les plus vulnérables d’abord, et que les priorités ne sont pas un jugement sur l’importance de la situation de chaque personne ». Elle rappelle que la vaccination est déjà offerte aux personnes présentant des déficiences intellectuelles ou physiques dans les ressources intermédiaires ou de type familial (RI-RTF) et les ressources à assistance continue (RAC). Chaque centre doit définir sa stratégie de vaccination en fonction des doses reçues, selon le MSSS.

Dans une réponse envoyée à la famille Grant au début avril dont La Presse a obtenu copie, le directeur de la campagne de vaccination, Daniel Paré, soutient que « cinq valeurs ont été retenues pour justifier les choix, soit la bienfaisance, l’équité, la justice, la réciprocité ainsi que la non-malfaisance ». « Différents critères ont été pris en compte, dont l’âge, l’existence de pathologies, la profession et le milieu de vie », fait valoir M. Paré, en insistant sur le fait que la Santé publique poursuit ses travaux « afin d’identifier les maladies chroniques ainsi que les problèmes de santé qui augmentent le risque de complications ».