Les variants à l’origine de la flambée des cas observée au Québec ont progressé plus vite que ne le projetaient initialement les analystes du gouvernement. Ils représentent désormais la quasi-totalité des nouvelles infections par la COVID-19 recensées au quotidien dans plusieurs régions, alors que la métropole et ses environs semblent avoir mieux résisté à leur progression. 

Ces constats découlent notamment de l’analyse des données empiriques contenues dans une série de projections provinciales et régionales passées largement inaperçues qui ont été relayées cette semaine à La Presse par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) en réponse à nos questions sur les statistiques par régions.

« Disons qu’il y a eu une petite sous-estimation » de la vitesse de propagation des variants, ironise Alain Lamarre, spécialiste en immunologie rattaché à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), qui a passé les documents en revue à notre demande.

« Le virus nous a pris de vitesse », résume-t-il, en soulignant que le fait de voir les variants se substituer presque entièrement à la souche originale du SARS-CoV-2 apparaît comme une issue pratiquement incontournable vu leurs caractéristiques respectives. La vitesse de cette substitution, qui relève d’une foule de facteurs, y compris la nature des restrictions sanitaires en vigueur et la collaboration de la population, est bien plus difficile à prédire, dit M. Lamarre.

Des seuils atteints plus tôt

Les modélisateurs de l’Université McGill et de l’INSPQ prévoyaient dans une analyse datée du 26 mars que 75 % des nouveaux cas d’infection à l’échelle provinciale seraient imputables aux variants près du 22 avril, et 100 %, fin juin. Une analyse datée du 5 avril suggère plutôt les dates du 11 avril et du 14 juin pour l’atteinte de ces seuils. La dernière mouture des projections suggère plutôt le 9 avril et le 14 juin.

Le graphique publié sur le site de l’INSPQ en date du 16 avril indique que le seuil de 75 % a effectivement été atteint le 9 avril et prévoit que près de 100 % des cas seront liés à des variants fin mai.

M. Lamarre note que les projections sont ajustées à mesure que les données empiriques s’accumulent et prennent en compte de nombreuses variables, notamment les changements qui touchent les mesures sanitaires, de manière à donner une idée plus juste de la suite des choses.

Sur le plan régional, les données empiriques disponibles pour la région de la Capitale-Nationale dans l’analyse produite le 12 avril indiquent que les variants représentaient déjà plus de 90 % des nouveaux cas d’infection quotidiens à la fin de mars. Leur progression était similaire en Chaudière-Appalaches, une autre des régions s’étant fait imposer des restrictions plus strictes il y a quelques semaines par le gouvernement en réaction à la forte montée des cas. L’Outaouais, en pleine crise, s’approche de la barre des 80 %, tout comme la Mauricie.

La région du Grand Montréal fait meilleure figure, la proportion des variants y gravitant autour de 60 %.

Québec discret

Le gouvernement s’est fait discret jusqu’à maintenant sur le fait que les variants représentent maintenant près de 100 % des cas dans plusieurs régions. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, y a fait indirectement référence il y a quelques jours en annonçant son intention de réduire les tests de criblage dans les zones de la province les plus touchées pour permettre officiellement d’intensifier les tests de dépistage.

Le criblage, qui permet de confirmer la présence d’un variant sans identifier catégoriquement la souche en question, est beaucoup moins utile si l’on sait que tous les nouveaux cas sont liés à des variants, relève M. Lamarre, qui voit d’un bon œil l’idée d’intensifier le dépistage.

« Le gouvernement a peut-être peur du message que ça va envoyer », le fait de reconnaître que les variants représentent 100 % des cas dans certaines régions, souligne le spécialiste. Il estime que chaque cas devrait être considéré d’emblée comme dû à un variant et pris en charge avec encore plus de diligence pour réduire les risques de transmission.

« Il ne faut pas assouplir les mesures sanitaires. Et la Santé publique doit se montrer très agressive dans la prise en charge des éclosions. Les résultats de tests doivent rentrer rapidement », estime M. Lamarre. D’autant, dit-il, que le taux de reproduction (R) calculé pour les variants demeure largement supérieur à 1.

Mise en garde

Le DGaston De Serres, épidémiologiste de l’INSPQ, a prévenu le gouvernement il y a quelques semaines, avant un nouveau resserrement, que le R demeurait trop élevé avec les mesures en place et que le nombre de cas continuerait d’augmenter, plus encore si le relâchement entrepris dans les semaines précédentes s’intensifiait.

La montée rapide des variants fait écho à cette mise en garde, souligne le spécialiste, qui insiste sur le fait que la tâche du gouvernement est bien plus complexe que celle des spécialistes en épidémiologie puisque les dirigeants de la province doivent aussi tenir compte d’une foule d’autres facteurs, dont la santé mentale de la population.

Il devrait être possible de voir dans les prochains jours si les resserrements sévères imposés notamment à Québec et en Outaouais permettront de faire diminuer le nombre de cas, toutes souches confondues, souligne le DDe Serres.

« Le virus ne ment pas. Si on se trouve dans une situation où les mesures sanitaires sont insuffisantes ou leur application est déficiente, on va le voir », conclut-il.

> Voyez les données régionales sur les variants

Avec Pierre-André Normandin, La Presse