Une course mondiale pour concevoir un respirateur simple, bon marché et fiable pour affronter le pic de la crise s’intensifie dans les sphères du génie et du design industriel. Un groupe d’étudiants de Polytechnique Montréal est sur la ligne de départ, avec un prototype à 750 $ développé en 10 jours dans le cadre d’un concours lancé par la Fondation de l’Hôpital général de Montréal.  

« Ça a été 10 jours intenses ! », commente Jean-Romain Roy, qui a dirigé le projet depuis son appartement du Mile End. Nous allons passer les 14 prochains jours à faire rouler le prototype à temps plein pour tester sa résistance au stress. »  

M. Roy, un développeur de logiciels qui étudie à temps partiel en génie électrique à Polytechnique, a réalisé ce petit exploit en collaboration à distance avec un médecin et sept collègues étudiants en génie mécanique, physique et biomédical.

Leur prototype est fait avec des matériaux facilement accessibles. Il est muni de senseurs capables de mesurer le flot d’oxygène, d’un ordinateur qui suit l’évolution de la ventilation, d’une interface graphique riche et d’une turbine qui pousse l’air comme dans les machines pour réguler l’apnée du sommeil.  

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Aperçu du prototype développé par le groupe d’étudiants de Polytechnique Montréal

Le design de l’appareil a été soumis mercredi au « Défi Respirateur Code Vie », un concours assorti d’un prix de 200 000 $, lancé discrètement le 19 mars par la Fondation de l’Hôpital général de Montréal pour développer de façon urgente un respirateur afin de pallier une éventuelle pénurie dans les hôpitaux canadiens.  

Près d’une centaine de concepts semblables ont été soumis par d’autres participants, dont un créé par une équipe de CAE, le géant montréalais des simulateurs de vol.  

Les propositions passeront ces prochains jours sous la loupe d’un panel d’ingénieurs, de médecins et de spécialistes en procédés industriels affiliés au concours.  

Ultimement, le ou les appareils retenus pourront être fabriqués dans des usines locales et envoyés d’urgence dans les hôpitaux, mais seulement après avoir obtenu l’approbation de Santé Canada.  

Inspirés par la crise italienne

L’idée du concours a été lancée à l’initiative du neurologue Reza Farivar, de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill. « J’ai vu autour du 12 mars des nouvelles d’Italie qui montraient des gens en train de mourir parce qu’il manquait de respirateurs dans les hôpitaux. J’ai aussitôt parlé au directeur des soins intensifs [du CUSM] et au conseil d’administration de McGill, et nous avons décidé de lancer ce concours. »  

Moins d’une semaine plus tard, le défi était officiellement lancé. Une série de spécifications basées sur les exigences de Santé Canada — notamment les normes de pression d’air, de rythme de respiration, la durée d’autonomie de l’appareil sans électricité, les événements qui déclenchent des alarmes — a été imposée aux participants. 

L’appareil que nous voulons produire n’est pas destiné aux soins intensifs ou aux salles d’opération. C’est un respirateur destiné aux patients qui ont besoin de support respiratoire, mais qui ne sont pas dans un état critique.

Reza Farivar, neurologue

Le concours de l’Hôpital général s’inscrit dans une vaste course mondiale contre la montre pour développer de l’équipement médical bon marché à partir de pièces faciles à trouver. Alors que le géant automobile Ford s’est donné pour défi de fabriquer 50 000 appareils assez sophistiqués en 100 jours, le Massachusetts Institute of Technology vient de ressusciter un projet datant de 2010 afin de développer un respirateur rudimentaire d’urgence de 400 à 500 $. Des dizaines d’ingénieurs travaillent aussi au sein d’un groupe Google appelé « Coronavirus Tech Handbook » sur un projet satisfaisant aux spécifications d’un respirateur rudimentaire rendues publiques par la Grande-Bretagne. 

« La dernière chose qu’on veut, c’est tourner les coins rond, insiste le Dr Farivar. Vous ne voulez pas que votre mère, votre amoureux ou un membre de votre famille se retrouve avec un appareil défectueux au moment où sa vie en dépend. »  

L’équipe responsable du concours s’attaquera au cours des deux prochaines semaines à remplir les demandes d’approbation auprès de Santé Canada, qui demeure obligatoire pour que les concepts puissent servir sur le terrain. Des ateliers de fabrication pourront simultanément commencer à tester leur chaîne de montage et à vérifier la disponibilité des pièces dans leur chaîne d’approvisionnement. « Nous essayons de couvrir tous les angles en même temps », dit le Dr Farivar.  

Branle-bas de combat à Santé Canada 

Santé Canada a de son côté annoncé le 18 mars dernier un arrêté d’urgence concernant l’importation et la vente de matériel médical destiné à être utilisé lors de la crise de la COVID-19. Ce régime spécial ne réduit pas les exigences réglementaires, mais simplifie et accélère le processus d’évaluation et de test pour de l’équipement qui servira uniquement le temps de la crise.  

Les équipes qui ont proposé des concepts s’attellent pendant ce temps à rendre leurs produits plus sécuritaires. Plusieurs des pièces qui entrent dans les designs présentés au concours ont été produites avec des imprimantes 3D et un plastique appelé PLA, qui est poreux. « Les germes et les cultures bactériennes peuvent s’y loger facilement. Il faut chercher des matériaux plus sophistiqués, qui ont des tolérances plus précises, et qui sont donc plus chers », résume Jean-Romain Roy.

Un masque de plongée adapté en vitesse

Pendant ce temps, d’autres ingénieurs planchent sur des concepts étonnants qui pourraient pallier une éventuelle pénurie des masques à pression positive nécessaires pour faire fonctionner les respirateurs.

Pierre Couture, directeur du groupe de robotique médicale de Zimmer Biomet, un géant américain du matériel médical, a fourni à l’hôpital du Sacré-Cœur une valve qui permettrait de convertir un masque de plongée en apnée EasyBreath de Décathlon en masque médical. Les plans ont été rendus publics par une firme médicale italienne qui a collaboré avec le fabricant français d’équipements sportifs, à la demande d’hôpitaux locaux en vue d’une pénurie.

PHOTO FOURNIE PAR PIERRE COUTURE

Valve de Zimmer Biomet connectée à un masque de plongée en apnée EasyBreath de Décathlon

Zimmer Biomet a utilisé une imprimante 3D pour faire une démonstration de faisabilité la semaine dernière. Puis au cours du week-end, une usine américaine de la société en a manufacturé une cinquantaine avec une imprimante 3D sophistiquée. Les valves seront livrées à Sacré-Cœur d’un jour à l’autre. Le CIUSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal indique cependant que le projet est « très embryonnaire pour le moment ». 

Décathlon a de son côté affirmé sur Twitter qu’aucun hôpital n’avait encore utilisé son masque, mais a cessé de vendre le produit pour en fournir plusieurs milliers aux hôpitaux en cas de besoin.  

Cultures opposées

« Normalement, c’est un projet qui aurait nécessité deux ans de travail, dit M. Couture. Ce qu’on a fait, c’est juste un connecteur pour brancher deux bouts de tuyau. Mais c’est un milieu extrêmement réglementé, alors il a fallu signer des décharges et des documents légaux pour pouvoir fournir ces valves. On pourrait aller plus vite, mais il ne faut pas livrer sur le marché un produit qui serait risqué », explique-t-il.  

Ces solutions d’ingénierie de fortune sont à « code ouvert » et leurs développeurs promettent de les partager gratuitement dans leurs communautés pour qu’elles puissent être améliorées. « Le domaine médical est très normé, très contrôlé, et on va se buter au cours des prochaines semaines à une culture très différente de la nôtre, croit Jean-Romain Roy. Mais j’espère qu’on n’en arrivera pas au point où la société aura besoin de faire tomber tous ces obstacles, parce que la dernière chose qu’on veut, c’est de mettre sur le marché un design qui manque de sérieux. » 

— Avec la collaboration de Mathieu Perreault et de Judith Lachapelle, La Presse