Michel Rivard célèbre 50 ans et des poussières d’une carrière qui est loin de vouloir s’arrêter. Avec son spectacle Le tour du bloc, il donnera mercredi le coup d’envoi à la programmation estivale du Théâtre de Verdure, au parc La Fontaine. Notre chroniqueuse s’est entretenue avec l’auteur-compositeur-interprète qui revendique le droit de faire les choses à sa manière.

J’ai un souvenir très vif d’une entrevue qu’avait accordée Michel Rivard à Lise Payette au lendemain de la mort de Félix Leclerc. C’était en 1988, Michel Rivard avait 36 ans, et l’animatrice avait demandé au chanteur de « reprendre le flambeau ».

Par-là, l’ex-ministre de René Lévesque faisait bien sûr allusion à la lutte pour l’indépendance du Québec.

Rivard et moi sommes assis aux abords de la baie des Chaleurs, en marge du Festival de journalisme international de Carleton-sur-Mer dont il était l’un des artistes invités. Je lui rappelle cette entrevue qui a beaucoup marqué la jeune adulte que j’étais.

L’auteur de La complainte du phoque en Alaska – reprise par Félix, justement – se souvient très bien de cette rencontre. Et du malaise qu’il a ressenti à la demande de Mme Payette.

« Je me sentais honoré, mais en même temps, il y avait comme un reproche de sa part à l’endroit de ma génération qui n’était pas aussi féroce que les Pauline Julien, Gilles Vigneault et autres artistes qui nous avaient précédés. »

PHOTO BENOIT DAOUST, COLLABORATION SPÉCIALE

Michel Rivard et Nathalie Collard, aux abords de la baie des Chaleurs

Moi, je n’avais pas envie de me faire tendre un flambeau. L’art que je pratique n’a pas besoin de porter un flambeau. Et je n’avais pas envie d’être le nouveau Félix. Je voulais être le nouveau Michel…

Michel Rivard

Un travail d’artisan

Avec les années, Michel Rivard s’est taillé une place bien à lui dans l’écosystème de la chanson au Québec. Avec Beau Dommage d’abord, groupe mythique qui, en seulement six ans, a profondément marqué l’histoire de la musique québécoise. Puis avec sa carrière solo qu’il a menée à sa façon, « comme un artisan », précise-t-il. « Je dirais que je n’ai pas accordé tant d’importance que ça à mon succès et à mon image », explique-t-il.

PHOTO BENOIT DAOUST, COLLABORATION SPÉCIALE

Michel Rivard se voit comme un artisan de la chanson.

J’ai essayé, et je le fais encore, de garder ça artisanal. Je vois la chanson comme un métier. Et je le fais d’une manière honnête, avec le respect des gens avec qui je travaille.

Michel Rivard

« Je suis quelqu’un qui a juste suivi une ligne qui se dessinait devant lui et qui sentait que c’était la sienne », ajoute-t-il.

Michel Rivard n’a peut-être pas accepté le flambeau avec un F majuscule que Lise Payette lui tendait à l’époque, mais il s’est engagé à sa façon. Il a par exemple écrit Le cœur de ma vie, une chanson sur la langue française. « Je l’ai écrite parce que, à ce moment-là, j’avais besoin de dire que ma langue meurt, explique-t-il. Et j’étais un petit peu en réaction à la chanson sur la langue d’Yves Duteil qui présentait une vision absolument carte postale du Québec. Je n’ai jamais vraiment embarqué dans cette chanson-là, alors j’avais besoin d’en faire une. »

S’engager au quotidien

Au-delà des causes pour lesquelles il a chanté dans sa vie, seul ou avec Beau Dommage, l’engagement de Michel Rivard est d’abord et avant tout une question d’éthique personnelle. « J’ai un engagement par rapport à un public qui me fait vivre et qui est là depuis 50 ans, souligne-t-il. Ensuite, quand j’ai eu une famille, j’ai travaillé très fort pour concilier la vie familiale avec l’amour de mon métier, le besoin que j’ai de partir, d’être un troubadour sur les routes. J’ai tout fait pour faire balancer ça avec la responsabilité d’élever des enfants, de les emmener quand c’est possible, puis d’écarter des spectacles quand ce n’était pas possible. Tout ça, pour moi, c’est de l’engagement au quotidien. »

Alors qu’il salue l’engagement d’un groupe comme Les Cowboys Fringants, qui ont intégré tout naturellement un discours politique dans leur œuvre, Michel Rivard en a contre les chansons à message.

Son processus d’écriture est « organique », pour reprendre un mot à la mode.

« J’ai de la misère à séparer l’engagement de l’honnêteté de l’écriture, m’explique l’auteur-compositeur-interprète. J’essaie d’écrire vrai, d’y aller avec ce que je perçois de la vie, de ce que je lis dans les journaux, de l’état dans lequel l’actualité me plonge, et qui va peut-être se manifester dans une phrase, à un moment donné. Je fonctionne comme ça plutôt que de me dire : “Là il faut que j’écrive une chanson sur ce qui se passe dans le monde.” »

À 72 ans, Michel Rivard évoque « le dur désir de durer » dont parlait le poète Paul Éluard. « Comment faire pour continuer à faire ce métier le plus honnêtement possible ? », se demande-t-il.

Tout ça fait partie, pour moi, d’un engagement à faire ce métier-là que d’aucuns voient comme un “star système”, une échelle à gravir. Il faut arriver au top ! Moi, je vois plutôt ça comme un chemin que je veux parcourir le plus longtemps possible.

Michel Rivard

La manière Rivard

En 50 ans, Michel Rivard a connu de nombreux succès au sein de Beau Dommage et en solo. Il a collectionné les Félix (encore lui !) et beaucoup d’autres honneurs. Il a performé à la Ligue nationale d’improvisation. Il a joué au théâtre, à la télévision, au cinéma. Il a même fait de la politique, de façon humoristique, au sein du Parti rhinocéros. Il incarne ces années-ci le père de Christine Beaulieu dans l’hilarante comédie L’œil du cyclone. Plus le temps passe et plus il revendique le droit de faire les choses à sa manière.

« Je n’essaie plus de créer des chansons qui durent le nombre de minutes requises pour espérer tourner à la radio, affirme-t-il. J’ai effectué un grand lâcher-prise à ce niveau-là. Ma grosse victoire, c’est il y a quelques années, quand j’ai fait le spectacle L’origine de mes espèces. C’était un projet audacieux où j’arrivais avec QUE des nouvelles chansons, et un long texte introspectif sur la quête de vérité dans ce que je savais de l’histoire de mes parents, ce qui m’avait été dit et ce qui m’avait été caché. J’ai fait le tour du Québec deux fois avec ce spectacle dans lequel il n’y avait aucune concession. C’était un texte poétique, des fois drôle, mais pas toujours, et puis ça a marché. »

PHOTO BENOIT DAOUST, COLLABORATION SPÉCIALE

« Quand on est vrai avec soi-même, ça peut juste bien aller », estime l’auteur-compositeur-interprète.

« Maintenant, conclut Rivard, mes décisions se prennent en fonction de ce que j’ai le goût de faire. Ça prend le temps que ça prend, et les budgets que ça demande. Et j’ai un agenda qui, si tout va bien, m’amène jusqu’en 2026-2027… Quand on est vrai avec soi-même, ça peut juste bien aller. »

En septembre prochain, Michel Rivard aura 73 ans. Il se réjouit d’être toujours là et de continuer à faire ce qu’il aime. « J’ouvre mon show Le tour du bloc en disant : vous avez devant vous un authentique aîné… [rires]. Je parle de vieillir d’une manière très honnête. J’en suis tellement heureux parce que j’offre aux gens de mon âge un show de qualité, avec des chansons de plusieurs époques, mais qui n’est pas rétro deux secondes. Ça me rend fier d’avoir cet âge-là et de faire un show pour des gens qui en ressortent le sourire aux lèvres… »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : C’est une histoire d’amour et de dépendance. Il doit être fort, « old school », à l’italienne. Deux cortados au lait d’avoine avant midi, jamais après. Je n’ai pas une grosse machine bien compliquée, j’ai toujours eu des bonnes petites machines. À un moment donné, quand c’était absolument impossible d’avoir du bon café en province, je me promenais avec ma Nespresso et même avec une plus grosse machine, et je faisais des cafés à toute l’équipe.

Les livres qu’on trouve sur ma table de chevet : J’ai adoré Rue Duplessis de Jean-Philippe Pleau. Ça m’a ému. Sociologiquement, c’est un document incroyable. Je suis en train de relire Les villes de papier de Dominique Fortier. J’ai pas mal tout lu ce qu’elle a écrit, mais elle est venue voir mon show au Théâtre Maisonneuve et m’a offert en cadeau l’édition française qu’elle avait dédicacée, alors je me suis dit : tiens, voilà une bonne occasion de le relire, car c’est un livre qui m’avait tellement marqué. Enfin, je dévore Puis-je garder quelques secrets ?, un livre d’entretiens avec le photographe Henri Cartier-Bresson que j’ai acheté à Paris. J’y trouve non seulement des grands enseignements sur la photo, mais même sur l’écriture dans son attitude d’humilité face à son métier. C’est absolument extraordinaire.

Des gens, morts ou vivants, que j’aimerais réunir pour un repas : J’aimerais asseoir mes parents autour d’une table en leur disant : bon, vous êtes morts depuis un bout de temps, il n’y a plus de chicane, vous n’avez plus rien à cacher et à prouver… pouvez-vous me raconter exactement ce qui s’est passé ? J’aimerais que ma sœur et mon frère soient là, qu’on fasse une réunion de famille comme on n’en a peut-être jamais eu. Juste avoir une belle jasette, sans secret et sans tension.

Un rêve ? Je publie presque quotidiennement une photo accompagnée parfois d’un petit poème, sur Facebook ou Instagram. Ce sont des photos prises au hasard de mes promenades ou des photos de loge. Mon rêve serait de publier un petit livre pas prétentieux de ce que j’appelle mes photos-poèmes.

Qui est Michel Rivard ?

PHOTO BENOIT DAOUST, COLLABORATION SPÉCIALE

Michel Rivard

  • Né à Montréal en 1951
  • Auteur-compositeur-interprète, guitariste, comédien, humoriste, animateur
  • Membre du groupe Beau Dommage
  • Candidat du Parti rhinocéros aux élections fédérales de 1979 et 1980
Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue