Il y a d’abord cette scène au tout début, dont on ne sait si elle relève d’un interrogatoire policier ou de l’audition d’une actrice en vue d’obtenir un rôle. On comprendra vite que cette adolescente, qui témoigne face à la caméra, est entre les mains de la justice, mais le procédé qu’a choisi Sophie Deraspe pour introduire le personnage d’Antigone est quand même astucieux. Comme si, à travers ce cadre, la cinéaste construisait d’emblée un pont entre l’histoire très actuelle qu’elle s’apprête à nous raconter et son origine théâtrale, deux fois millénaire.

À une époque où le thème de l’immigration est sensible, tant au Québec que dans les sociétés occidentales en général, à une époque où, aussi, les préoccupations de la jeunesse planétaire sont en rupture avec celles de ses aînés, cette nouvelle adaptation de la pièce de Sophocle ne pouvait mieux s’inscrire dans l’air du temps.

Antigone (remarquable Nahéma Ricci, une révélation) est arrivée à Montréal encore fillette, fuyant sa Kabylie natale en compagnie de sa sœur Ismène, des deux frères, Polynice et Étéocle, et de sa grand-mère Ménécée, après que la famille eut vécu là-bas une violente tragédie. Le choc culturel est déjà énorme, mais les enfants se sont néanmoins vite intégrés à leur nouvelle société au fil des ans, et la vie s’est organisée avec, même, des moments de soleil et de musique.

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Nahéma Ricci et Rawad El-Zein dans Antigone, un film de Sophie Deraspe

Mais voilà, l’un des jeunes frères paie de sa vie une bavure policière, victime d’une affaire où il avait peu à voir. Polynice, l’autre frère (Rawad El-Zein), accusé d’agression contre un policier, est arrêté. Antigone, jeune femme brillante et sans histoire, veut tout faire pour aider son frère à s’évader de prison et lui éviter l’expulsion du pays, quitte à usurper son identité et purger la peine à sa place. D’abord aidée par son amoureux (Antoine Desrochers), dont le père a ses entrées dans le système (Paul Doucet), Antigone devra néanmoins confronter, de toute sa passion exaltée, la police, le système judiciaire, la justice des hommes.

Une jeunesse qui gronde

Sans trop appuyer, Sophie Deraspe (Les signes vitaux, Le profil Amina) propose un film percutant, qui fait à la fois écho aux difficultés que rencontrent les immigrants et à la révolte d’une jeunesse qui gronde. Le traitement médiatique et l’impact social que l’affaire entraîne sont d’ailleurs traités de très intéressante façon. Le récit est en effet ponctué de « chœurs », sortes de clips à travers lesquels rugit l’écho des réseaux sociaux et des médias. La jeunesse s’implique, se regroupe, emprunte comme slogan « Mon cœur me dit », des paroles qu’a d’abord prononcées Antigone dans la cour de justice. La forme de la tragédie grecque prend ainsi tout son sens et permet aux acteurs d’y aller sans retenue. Il est remarquable de constater à quel point Nahéma Ricci, dont c’est le premier grand rôle, propose une composition d’une puissance exceptionnelle, sans jamais franchir la limite de la surcharge.

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Mis en scène avec sensibilité, Antigone vaut aussi pour les performances, empreintes d’authenticité, d’acteurs qui font ici leurs premières armes devant une caméra. On ne peut passer sous silence la présence de Rachida Oussaada dans le rôle de la grand-mère, superbe de force tranquille, et foncièrement émouvante quand elle s’installe avec patience sur le terrain de la prison en entonnant des chants de son pays, entourée de quelques supporteurs.

Là réside la force de cette Antigone, version Deraspe. Qui emprunte avant tout la forme d’une ode à la solidarité humaine, dont le monde a bien besoin.

★★★★

Antigone. Drame de Sophie Deraspe. Avec Nahéma Ricci, Nour Belkhiria, Rawad El-Zein. 1 h 50.

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