La nouvelle a eu l’effet d’une bombe dans le milieu du cinéma : Entertainment One cesse la distribution de films en salle au Canada. Cette décision abrupte a un impact direct sur Les Films Séville, une filiale d’eOne, dont plusieurs employés ont dû être licenciés et quitter les bureaux de la rue Saint-Antoine. Depuis la fusion avec Alliance Vivafilm il y a 10 ans, Les Films Séville ont été le grand leader de la distribution de films au Québec.

En confirmant la nouvelle à La Presse, Patrick Roy, président des Films Séville et président, distribution cinéma, d’Entertainment One, n’a pas révélé beaucoup de détails. Ce dernier quitte d’ailleurs ses fonctions, son contrat ayant pris fin cette semaine.

« Séville continue d’exister, a-t-il précisé. Certains employés conservent leur poste, notamment dans les secteurs techniques et financiers. Il reste aussi toujours une équipe en place pour la gestion du catalogue. Les changements annoncés mardi ne touchent que la distribution en salle. »

Selon le Registre des entreprises, Les Films Séville comptent entre 50 et 99 employés au Québec.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

La façade de l’édifice abritant les bureaux de Films Séville

Il nous a par ailleurs été impossible d’obtenir une déclaration d’eOne à propos des motifs ayant conduit l’entreprise à cette décision, prise en haut lieu.

Rappelons qu’en 2019, peu de temps avant la pandémie, la société Hasbro a acquis Entertainment One pour environ 4 milliards de dollars. La pandémie a eu un impact profond sur l’industrie du cinéma.

Lundi soir à la Place des Arts, devant une foule d’invités, Les Films Séville ont présenté leur plus récent film québécois, la comédie dramatique Lignes de fuite de Catherine Chabot et Miryam Bouchard. Le film a aussi été présenté mardi soir à Québec au cinéma Le Clap. Pendant un moment mardi en fin d’après-midi, la rumeur courait que cette présentation n’aurait pas lieu, mais vérification faite, le film a été présenté comme prévu. De plus, sa distribution, à compter du 6 juillet dans plusieurs salles du Québec, n’est pas compromise, nous a-t-on dit. Tous les contrats seront honorés.

Le choc, mais…

Mardi, dans le milieu de la production et de la distribution, cette annonce a été accueillie avec un mélange de choc et de tristesse, mais aussi avec un étonnement retenu. Les observateurs du milieu voyaient bien qu’il se passait quelque chose.

« Lorsqu’on a su que Patrick [Roy] n’était pas au Festival de Cannes, on s’est posé des questions », a dit le producteur et distributeur Christian Larouche (Films Opale), qui a travaillé étroitement avec Séville. « On regardait la liste de leurs films à venir et il n’y avait pas grand-chose. Mais je trouve ça très triste de voir ce qui se passe, pour cette vieille compagnie et pour les employés. Quand un confrère a des difficultés, ce n’est jamais de bonnes nouvelles. »

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS SÉVILLE

Léane Labrèche-Dor, Catherine Chabot et Mariana Mazza sont les têtes d’affiche de Lignes de fuite.

M. Larouche sait de quoi il parle. Son entreprise a eu d’importantes difficultés financières au début des années 2010, et Séville a racheté son catalogue de films québécois. M. Larouche compte bien récupérer ses titres lorsque les droits de Séville arriveront à terme. « Je pense avoir encore de 15 à 20 titres dans leur catalogue », a-t-il dit.

« Je suis très triste, a dit de son côté le producteur André Rouleau (Caramel Films). Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les producteurs d’avoir un distributeur en moins. »

Je ne peux pas dire que c’était une grosse surprise. Depuis quelque temps, on sentait que l’appétit de Séville pour la distribution de films en salle diminuait.

André Rouleau, producteur

M. Rouleau donne en exemple le film d’animation Vaillante (The Bravest), qu’il a coproduit et que Séville a distribué dans un registre extrêmement limité au pays.

« Avec Vaillante, on a eu un gros succès en France [1,5 million d’entrées] et Séville n’a même pas voulu le distribuer en salle ici, a-t-il déploré. Je crois qu’il a fait trois salles au Canada ; c’est ce qu’on appelle une sortie technique. Les propriétaires de salles attendaient ce film. Ils le voulaient. Séville nous l’avait acheté, l’a payé et l’a vendu aux télévisions. On nous avait donné une garantie de distribution avec de la publicité, mais finalement, les actionnaires principaux n’ont pas voulu mettre une cenne de plus pour la distribution en salle. »

Nancy Florence Savard, qui produit des films d’animation avec sa boîte 10Ave Productions à Québec, estime de son côté que Séville a ouvert la voie aux longs métrages d’animation en 3D au Québec. « Patrick Roy et son équipe ont été des précurseurs avec La légende de Sarila sorti en 2013, dit-elle. Ils ont récidivé avec Nelly et Simon : Mission Yéti en 2018 et il y a quelques semaines encore, ils vendaient nos films chez Netflix. C’est avec grande tristesse que j’apprends cette nouvelle et je pense à tous les membres de cette équipe passionnée et dévouée à la cinématographie québécoise. »

Un géant québécois

Les Films Séville sont nés à la fin de l’année 1999 à la suite du rachat du catalogue de Behavior, distributeur qui avait lui-même acheté le catalogue de Groupe Malofilm (Le déclin de l’empire américain). Dans une entrevue au Devoir, un des trois investisseurs, Pierre Brousseau, indiquait qu’un des premiers films distribués serait Wines of Bath (devenu Rebelles/Lost and Delirious en anglais) de Léa Pool.

L’entreprise a été rachetée par eOne en 2007. En 2012, eOne a acheté Alliance Vivafilm et fusionné les deux distributeurs, qui ont pris le nom Les Films Séville. Le catalogue, constitué de films québécois, canadiens et internationaux, des fictions pour la majorité, mais aussi des documentaires, est impressionnant.

De l’industrie du cinéma québécois, Séville assurera ainsi la distribution de titres comme 10 1/21987, Les sept jours du talion, Mommy, Le démantèlement, Incendies, Inch’Allah, Mafia Inc., Le règne de la beauté, Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde, Gabrielle, etc. Parmi les titres internationaux, nommons Divergence, Hunger Games, John Wick, Paddington et Twilight.

Patrick Roy convient que le distributeur possède encore plusieurs titres québécois à venir pour lesquels il s’est engagé. « Il y a une responsabilité à respecter et il n’y a pas lieu de s’inquiéter par rapport à tout cela, assure-t-il. Il n’y aura pas d’impacts négatifs sur les films et les producteurs avec qui on travaille. »