La danse, lorsqu’elle atteint l’état de grâce comme dans le solo de Louise Lecavalier, Stations, a un pouvoir mystérieux qu’aucun spécialiste ne peut expliquer. Au-delà des mots, le corps évoque mille images, sensations, visions et émotions. Il faut lâcher prise et s’abandonner au spectacle du débordement des sens. Surtout, lorsqu’il est donné par une grande interprète avec 44 ans d’expérience.

Lorsqu’elle apparaît sur l’immense plateau du Théâtre Maisonneuve, toute menue dans ses pantalons palazzo noirs, Louise Lecavalier brûle déjà les planches. On sait que durant les 60 prochaines minutes, le phénomène Lecavalier va traverser la salle, comme une décharge électrique, et conquérir le public.

L’irradiante interprète a l’assurance d’une danseuse andalouse de flamenco, version androgyne, bien entendu. Elle a ce que les Espagnols appellent le « duende ». Un terme qu’on ne traduit pas, parce qu’il se voit mieux qu’il ne se définit. Après avoir fait des duos avec des hommes et interprété plusieurs pièces d’autres chorégraphes, Louise Lecavalier a décidé de créer son propre solo avec sa compagnie, il y a deux ans, juste avant la pandémie (la première a eu lieu en Allemagne le 14 février 2020). Le FTA présente Stations, hélas à guichets fermés jusqu’à dimanche, mais soyez assurés : ce spectacle reviendra.

PHOTO ANDRÉ CORNELLIER, FOURNIE PAR LE FTA

La danseuse et chorégraphe Louise Lecavalier a l’assurance d’une danseuse andalouse de flamenco, version androgyne, bien entendu.

L’élan vital

Dans le premier tableau, la danseuse exécute un « moonwalk » de côté, un aller-retour de cour à jardin, comme si elle voulait remplir tout l’espace vide, au rythme d’une lourde musique électronique. Elle enchaîne en se tenant en équilibre sur une jambe, puis l’autre jambe, en traçant des cercles aériens avec ses bras. Méditative, animale, fougueuse et ludique, l’interprète passera par plusieurs états dans son solo. À un moment, elle renverse sa tête par en arrière et se tient en équilibre à l’avant-scène. Sa chevelure peroxydée tombe dans le vide, les yeux au-dessus du front, sa tête semble détachée de son corps !

Tour à tour, pantomime, acrobate et équilibriste, Louise Lecavalier explore la frontière entre l’équilibre et le déséquilibre. Sa gestuelle est spontanée et précise, ses mouvements sont bien choisis, jamais superflus. On sent cette énergie vitale qui pousse la danseuse à explorer les résonances physiques, la mémoire du corps. Plus vieux, moins casse-cou qu’à ses débuts, le corps de l’égérie de La La Human Steps a toutefois la richesse de son passé, de ses blessures et de ses guérisons. Il se dévoile ainsi à nous, dans sa fougueuse intimité.

De l’ombre à la lumière

PHOTO ANDRÉ CORNELLIER, FOURNIE PAR LE FTA

Tour à tour, pantomime, acrobate et équilibriste, Louise Lecavalier explore la frontière entre l’équilibre et le déséquilibre.

« Louise chorégraphie jusqu’au bout des doigts », a dit en 2018 le cinéaste Raymond St-Jean qui a réalisé un documentaire sur l’artiste. En effet, dans son art, la chorégraphe cherche à atteindre un degré d’expression pure. Une danse qui traduit autant la part d’ombre que le côté lumineux de l’être humain. Et qui laisse le corps exprimer la force et le vertige, le dépassement et les limites, la joie et la peine.

Dans un geste furtif et poétique, vers la fin de la pièce, l’interprète dessine des larmes imaginaires sur son visage, qu’elle efface aussitôt avec un large sourire tracé avec ses doigts. Émouvante digression qui nous a rappelé, brièvement, le souvenir du regretté clown et comédien Reynald Bouchard, son ex-amoureux…

Pour Stations, la chorégraphe a collaboré avec de fidèles concepteurs de sa compagnie : Alain Lortie, le génie des éclairages ; Yso le maître aux costumes sobres et chics ; Antoine Berthiaume à la musique originale ; à laquelle s’ajoute celle du saxophoniste Colin Stetson. Tous servent parfaitement la gestuelle libre et flamboyante de cette glorieuse artiste de la nouvelle danse. Un trésor national.

Stations

De et avec Louise Lecavalier, dans le cadre du FTA.

Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts., Jusqu’au 10 juin.

9/10