Après un hiatus record de près d’une décennie, le quatuor punk-rock californien The Offspring signe son dixième album studio, Let The Bad Times Roll. La Presse s’est entretenue avec les deux membres fondateurs toujours actifs, pressés de retrouver le Québec.

Lorsque l’image apparaît, côté Californie, le guitariste Noodles et le chanteur Dexter Holland rigolent. La prémisse restera à jamais inconnue, mais les deux membres fondateurs de The Offspring profitent de leur interlocuteur francophone pour s’enquérir : « Comment ça se dit, en français, couldésak ? » Froncement de sourcils côté Québec. Ils précisent : « L’endroit où, quand on arrive au bout, il faut faire demi-tour ? ». Ah ! Un cul-de-sac. Malgré eux, les deux musiciens viennent de résumer la fin de carrière de nombreux bands mythiques, qui préfèrent la sécurité du rétroviseur à l’angoisse des nouvelles pistes.

Presque une décennie après la parution de Days Go By, la bande à Holland prouve qu’il y a encore du carburant pour tailler la route, entre punk-rock graveleux et pop usitée comme l’Interstate 405. Malgré la cinquantaine avancée, la voix tient bon, les guitares et la batterie ne se sont pas assagies. Ou si peu. La pièce-titre, Let The Bad Times Roll, écho au tube de Louis Jordan, comporte une bonne dose de nihilisme punk. Même apathie « défoulatoire » sur Coming For You, où « les rêves d’hier sont morts et enterrés ».

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The Offspring a-t-il définitivement arrêté d’y croire sur ce dixième album, « y » étant ici un monde différent ? « Je ne sens pas qu’il y ait du fatalisme vis-à-vis de l’humanité, mais je comprends pourquoi on peut voir ça ainsi », dit Dexter Holland, dont les cheveux blonds hérissés font contraste avec son t-shirt noir.

On parle de choses déplaisantes ou noires, mais on essaie toujours d’offrir des solutions : « Ne prenez rien trop durement, ça va être OK. »

Dexter Holland

Fait à noter, la chanson-titre – traduction libre : « Profitons du mauvais temps » – ainsi que les 11 autres nouvelles pièces ont été écrites avant la pandémie. « On était prêts à sortir notre album quand la crise a frappé », explique le guitariste Noodles, bien reconnaissable avec ses lunettes noires et ses cheveux bicolores. « On a décidé d’attendre un peu pour voir ce qui allait arriver. C’était important pour nous de pouvoir jouer les chansons en concert. On espère qu’on pourra le faire bientôt, notamment au Québec. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

The Offspring au festival Heavy Montreal, en 2014

Dexter Holland, qui a obtenu un doctorat en microbiologie moléculaire en 2017, a-t-il jeté un regard privilégié sur la contagion ? « Oui, j’ai pu prévoir tout ça », lance le scientifique, moqueur. Blague à part, Holland a agi comme vulgarisateur auprès du groupe, raconte Noodles. « C’est vraiment plaisant de pouvoir parler de la pandémie avec Dexter, parce qu’il a clairement un niveau d’expertise particulier quand il est question des virus et de la microbiologie. Lorsqu’on consultait les nouvelles, il nous expliquait les termes, les situations. »

Changements de ton

Le nouvel album de The Offspring est à l’image de la conversation : parfois grave, parfois badin.

Dans le premier registre, une reprise pianistique de Gone Away, qui figurait sur l’album Ixnay on the Hombre (1997). Dexter Holland a composé la chanson après que sa copine de l’époque eut été tuée dans un accident de voiture.

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« De toutes les chansons qu’on a faites, c’est celle qui a touché le plus de gens et de la manière la plus profonde », croit Noodles, qui ménage cette fois sa Ibanez pour laisser la place aux mots de Holland.

Il y a toujours eu des guitares bruyantes, le tapage de Noodles, pour couvrir ma voix, ses défauts. Elle devenait soudainement apparente, avec toutes ses nuances. Je me suis fait à l’idée que ça n’avait pas besoin d’être parfait, mais que ça devait être honnête. Ç’a été difficile. Ça m’a pris plusieurs jours en studio pour y arriver.

Dexter Holland

Dans le second registre, We Never Have Sex Anymore, constat comico-dramatique d’un couple en panne sexuelle. Des cuivres festifs tranchent avec le reste de l’album… et les propos. « Ça peut paraître stupide ou dépressif, de dire : “On ne fait plus l’amour.” Je sentais qu’il fallait avoir le bon contexte sonore pour en rire plutôt que de s’en offusquer. »

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Ce contexte musical : des impulsions swing et ska, à mille lieues de la version acoustique que les membres de The Offspring avaient d’abord écrite au crépuscule de la vingtaine et à l’aube de la gloire.

Passages remarqués au Québec

Le groupe, aujourd’hui complété par le batteur Pete Parada et le bassiste Todd Morse – qui a comblé le départ houleux de Greg K –, a été propulsé à l’avant-scène dans les années 1990 grâce à Smash, écoulé à 11 millions d’exemplaires, du jamais vu pour un album défendu par un label indépendant.

Americana, porté par les chansons et les clips Pretty Fly (for a White Guy) et Why Don’t You Get a Job ?, a permis à The Offspring de renouer avec le succès. Certains lecteurs se rappellent sans doute le passage remarqué du quatuor au Centre Molson, le 4 mars 1999, un format d’amphithéâtre peu habituel pour un band punk.

« Je ne sais pas comment mettre le doigt dessus, mais il y a quelque chose de particulier au Québec, explique Noodles, amateur de poutine tout comme Holland. Le plus gros spectacle qu’on ait jamais fait comme tête d’affiche en Amérique du Nord, c’était dans cet aréna, à Montréal. »

En attendant de pouvoir jouer à nouveau sur les scènes du monde entier, Dexter Holland ne manque pas d’exutoires. En plus de ses titres de chanteur et de docteur, il pilote des avions et possède son entreprise de sauces piquantes, Gringo Bandito. Et toi, Noodles, quelque chose à déclarer ? « J’aime surfer, observer les oiseaux et boire de la bière. » Il n’y a pas de sottes passions.

À leur âge, les deux acolytes jugent nécessaire de cultiver des intérêts en dehors de la musique, question d’éviter le cul-de-sac. Ou plutôt le « couldésak ».