Pendant que Quentin Tarantino concoctait Once Upon a Time… in Hollywood, le héros des cols bleus et blancs de l’Amérique progressiste se penchait lui aussi sur la Californie mythique et ses régions voisines : Western Stars est le 19e album de Bruce Springsteen, 69 ans. En voici les 13 récits chansonniers, interprétés de concert avec une cinquantaine de musiciens et choristes.

On y visualise le jaune, l’ocre, le doré, la poussière, les cactus, les montagnes de roc, les canyons, le sable des déserts américains, les ciels étoilés, les haltes routières et leurs 18-roues, les autoroutes empruntées en auto-stop, les voies ferrées, le Sleepy Joe’s Café, le Moonlight Motel. États d’âme et réflexions des humains habitent ces paysages du Sud-Ouest états-unien. Ces superbes miniatures de Bruce Springsteen racontent des trajectoires humaines plus aigres que douces, mises en scène sur un demi-siècle de promesses non tenues.

Il était aisé de prévoir que le Boss aborderait de front l’époque post-factuelle, éditorialiserait en rimes sur le retour en force du populisme, dénoncerait la tragicomédie trumpienne. Ce n’est pas exactement le cas. Nous n’avons pas ici le complément spectral de The Ghost of Tom Joad, la posture critique n’est pas ici comparable à celle des Tennessee Williams, Woody Guthrie ou Pete Seeger.

Springsteen a néanmoins choisi de mettre en scène des humains dans leur mythe défraîchi, un siècle et demi après la conquête de l’Ouest. Sincères, perplexes, nostalgiques, désabusés, déchus, attachants, lucides, ces honnêtes gens peuvent se trouver au bout de leur route, certains sont aux prises avec l’alcoolisme, le jeu ou autres obsessions.

Des acteurs s’y escriment avec leurs lointaines réminiscences et peinent à composer avec leur déclin imminent. Des cœurs brisés s’engagent sur les routes intérieures pour y refaire leur vie. Des travailleurs font halte au bar de la région afin d’y adoucir leurs mœurs et siroter les petits bonheurs de l’existence…

IMAGE FOURNIE PAR COLUMBIA/SONY MUSIQUE

Western Stars, de Bruce Springsteen

Les choix stylistiques seront peut-être jugés ringards par ceux n’ayant pas pigé grand-chose aux meilleures bandes originales de westerns. Il est également facile de prédire que cette approche atypique côté Springsteen sera jugée nostalgique et grandiloquente par ceux qui n’ont pas apprécié les célèbres compositeurs, arrangeurs pop ou songwriters des fastes années 60, établis à Los Angeles ou à Nashville.

Somptuosité des cordes, opulence des bois et cuivres, ponctuations de guitares, de la pedal steel ou du banjo, chœurs célestes, mixages aériens, riches harmonies consonantes, mélodies féériques, haute teneur en américanité. Ce mélange des genres est pressé délicatement, le fluide nappe un country-folk plus pop que rock, parfois saupoudré de piments tex-mex. On conclut à une fusion inédite chez Bruce Springsteen, distincte de sa généreuse discographie, mais à la hauteur de son personnage monumental.

★★★★ Western Stars. Bruce Springsteen. Columbia/Sony Musique.