(Abidjan) Elle a remporté en 2010 un Grammy Award, la prestigieuse récompense musicale américaine, mais la chanteuse, danseuse et percussionniste ivoirienne Dobet Gnahoré, notamment auteure de Palea, reste pourtant une illustre inconnue en Côte d’Ivoire.

« Je rêvais de venir jouer en Côte d’Ivoire ! », a-t-elle confié à l’AFP. Dobet Gnahoré vit en France depuis 20 ans et ne cache pas sa joie d’un retour au pays natal pour se faire connaître à travers des projets culturels.

L’artiste aux dreadlocks et aux maquillages extravagants façon Néfertiti, genouillères en cuir et tout de noir vêtue, est revenue au pays en février pour une tournée promotionnelle de son dernier album, baptisé Afro électro Moziki !, et pour un concert unique à l’Institut français d’Abidjan, qui a remporté un grand succès.

Véritable bête de scène, cette trentenaire déploie son agilité par la danse en même temps que son endurance sur les planches. Elle va jusqu’à moduler sa douce voix pour imiter le son des pygmées d’Afrique centrale, comme dans le titre Youkouli, sur son dernier album.

« Dobet Gnaoré a du talent […], mais il n’est pas perçu comme tel dans son propre pays. Il est temps que la Côte d’Ivoire sache ce qu’elle vaut vraiment », explique Salif Traoré, dit A’Salfo, leader du groupe ivoirien Magic System dont la structure de production (Gaou Productions) a organisé la venue de la percussionniste à Abidjan.

La jeune femme n’a pas caché sa joie. « C’est vraiment un plaisir de jouer à Abidjan, chez moi ! De montrer aux Ivoiriens, à ma famille, comment je me bats […] pour parler de notre culture, qu’elle soit ivoirienne ou africaine ». « Je veux jouer plus en Côte d’Ivoire », dit-elle.

« La compassion, l’amour, la paix, l’éducation » sont les thèmes abordés dans son dernier album, qu’elle qualifie de « plus personnel ».

Le panafricain et l’électro

Son séjour en France a déteint sur son genre musical, avec un fond d’acoustique.

« J’ai des influences qui viennent de l’Europe, du côté électro, avec mon dernier album », mais dans « mes quatre premiers albums, c’est le panafricain devant ».

« Complètement ouverte à tous les styles de musique », elle veut « nager dans le style afropop-électro », peut se lever un matin en imaginant un air aux accents reggae et le lendemain matin « une chanson qui n’a rien à voir », résume celle qui chante en bété, en dioula ou dans un mélange de français et de langue ivoirienne.

« J’ai grandi dans un village panafricain… où j’ai appris la percussion, la danse, le théâtre, la musique et le chant en différentes langues africaines ». « J’aime être libre, je n’aime pas qu’on me colle une étiquette », raconte cette artiste, mère de deux enfants.

Bon sang ne saurait mentir, dit le proverbe : Dobet est la fille aînée de Boni Gnahoré, maître percussionniste de la compagnie de théâtre Ki Yi M’Bock d’Abidjan-dirigée par l’écrivaine, dramaturge et chorégraphe Werewere Liking-et a grandi avec la musique depuis son plus jeune âge.

« Werewere Liking est une femme spéciale qui m’a toujours inspirée. Je suis une enfant de Werewere, tout ce que je fais, c’est elle qui m’en a donné la base », affirme l’artiste qui été admise dans la compagnie à l’âge de 9 ans.

Ses deux mentors ne tarissent pas d’éloges sur son parcours.

« Je suis fière d’elle. Gamine, je l’avais encouragée quand elle voulait embrasser cette carrière, alors que ses parents s’y opposaient », raconte Werewere Liking, diva majestueuse avec sa canne à la main.

« Ma boussole et ma thérapie »

Boni Gnahoré témoigne de la vocation musicale de sa fille : « Quand elle nous voyait jouer au village, elle pleurait. Elle a abandonné l’école pour entrer dans cette école de la vie ».

Dobet Gnahoré estime qu’avant de découvrir la musique, elle n’était « rien ». « La musique est ma boussole et ma bouée de sauvetage. Elle me permet de vivre, déjà. D’évacuer aussi, c’est une thérapie. Elle me permet de chanter, de pleurer, de rigoler et de partager avec le public… »

Des spécialistes du milieu musical soulignent la réussite de sa synthèse musicale. « Dobet est une artiste pétrie de talents qui a su faire le maillage entre la musique traditionnelle et la musique moderne, notamment la techno. C’est un modèle pour les jeunes qui veulent se lancer dans la musique », commente ainsi Xavier Effoué, un spécialiste de la musique ivoirienne.

Dobet Gnahoré envisage une série de projets en Côte d’Ivoire pour donner envie à de jeunes artistes d’explorer d’autres styles de musiques.

Elle rêve notamment de créer un centre à vocation socioculturelle. « J’y accueillerais des orphelins, qu’on formerait avec d’autres artistes… »