S’il y a deux noms qui sont sur les lèvres de tous les téléphiles ces jours-ci, c’est bien Omar Sy et Arsène Lupin. Alors que la série Lupin diffusée sur Netflix cartonne depuis sa sortie le 8 janvier, les romans du gentleman cambrioleur créé par Maurice Leblanc il y a plus de 100 ans connaissent eux aussi un regain de popularité. Discussion avec un professeur qui évoque plus d’une raison de lire ou de relire les aventures de ce héros mythique.

Avant les séries, les films, les pièces de théâtre et même les bandes dessinées, Arsène Lupin, c’était des romans-feuilletons et des nouvelles qui ont été écrits de 1905 à 1941, publiés initialement dans le magazine Je sais tout puis édités sous forme de livres.

Et depuis cette première « apparition », les aventures du célèbre bandit français n’ont jamais disparu des rayons des librairies.

« Ça n’a jamais été hors édition, un peu comme les Agatha Christie, les Sherlock Holmes ou les Jules Verne. Mais Arsène Lupin a été moins bien servi que d’autres personnages, peut-être, en termes d’adaptations absolument marquantes qui l’auraient relancé ponctuellement », estime Maxime Prévost, professeur titulaire et directeur du département de français à l’Université d’Ottawa, expert des littératures populaires qui ont défini le paysage de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

Regain de popularité

Alors que l’éditeur Hachette a vu les exemplaires d’une toute nouvelle réédition d’Arsène Lupin, gentleman cambrioleur s’envoler dès sa parution en France, cette semaine, Renaud-Bray a déjà noté une augmentation des recherches et des achats sur son site web. « Cet engouement n’est pas sans rappeler celui pour les échecs à la suite de la diffusion de la série Queen’s Grambit », souligne Floriane Claveau, conseillère au service marketing.

Même son de cloche du côté du site web leslibraires.ca.

Il y a une grosse augmentation depuis le 9 janvier ; on a vendu plus de titres contenant le terme “Arsène Lupin” depuis cette date que pour 2020 au complet.

Jean-Benoît Dumais, directeur général de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec

Selon Maxime Prévost, les romans d’Arsène Lupin profiteraient du succès de cette nouvelle télésérie puisqu’ils y sont non seulement abondamment cités, mais extrêmement présents physiquement – on les retrouve entre les mains des différents protagonistes, y compris entre celles d’un adolescent qui en vient à tout délaisser pour terminer sa lecture.

« Quand un mythe revient à la surface, comme celui-ci, c’est parce qu’il y a une actualisation bien réussie. Comme la télésérie Sherlock de la BBC, par exemple », illustre M. Prévost. Et la série Lupin, poursuit-il, pourrait avoir réussi la résurrection du gentleman cambrioleur en actualisant le mythe à sa manière, avec un personnage issu de la diversité, déshérité, « qui se sert de sa propre énergie pour se remettre lui-même en gloire ».

Un héros qui a tout pour plaire

Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur qui détrousse les riches, « qui s’empare de vos valeurs / sans vous menacer d’une arme », pour reprendre le refrain de la célèbre chanson de Jacques Dutronc qui a servi de générique à la série des années 1970, est ce que Maxime Prévost qualifie de « héros revanchard ».

« Oui, c’est un cambrioleur, mais un cambrioleur qui recherche surtout des trésors nationaux dont il a l’impression qu’ils sont entre de mauvaises mains. »

[…] Ce n’est pas un méchant cambrioleur : les cibles qu’il va choisir sont toujours des gens qui peuvent se permettre de se faire cambrioler, ce ne sont pas des gens qui vont devenir pauvres ou tomber dans la misère parce qu’Arsène Lupin les a volés.

Maxime Prévost, professeur titulaire et directeur du département de français à l’Université d’Ottawa, expert des littératures populaires

Puis, au fil des romans, il se métamorphose en un Robin des Bois qui va mettre ses talents au service de victimes. « Il devient de moins en moins individualiste et de plus en plus une espèce de redresseur de torts », explique Maxime Prévost. Et lorsqu’il réapparaît dans la série des années 1970, c’est comme une figure « semi-anarchiste » faisant écho aux revendications de l’époque.

Aujourd’hui, en pleine pandémie, la noirceur des romans de Maurice Leblanc pourrait très bien trouver une tout autre résonance. « Depuis le vendredi 13 mars dernier, j’ai l’impression qu’on vit tous dans une époque de grande angoisse, et peut-être que j’aurais un regard différent maintenant [sur les romans] si je les relisais, et que je dirais : oui, c’est un reflet parfait de l’air du temps. »

Trois titres pour se lancer

Arsène Lupin, gentleman cambrioleur

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Arsène Lupin, gentleman cambrioleur

Le professeur Maxime Prévost recommande de commencer dans l’ordre par ce premier titre mettant en scène Arsène Lupin, un recueil de neuf nouvelles. « C’est celui que lit le personnage [dans la série Lupin], celui que son père lui donne. On y rencontre Arsène Lupin, il est emprisonné, puis il s’évade de prison dans trois nouvelles différentes. Il y a la nouvelle sur le collier de la reine, qui est très présente dans la série ; mais là, on apprend qu’Arsène Lupin l’avait volé lui-même quand il était enfant et que c’était son premier vol. C’est un bon point de départ », dit-il.

Arsène Lupin contre Herlock Sholmès

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Arsène Lupin contre Herlock Sholmès

Le deuxième livre d’Arsène Lupin est l’un de ceux que le professeur fait lire à ses étudiants pour confronter deux rivaux fictifs de l’époque. « Comme Arsène Lupin constitue une réponse française à Sherlock Holmes, Maurice Leblanc a décidé de mettre les deux personnages en scène dans ses textes. Conan Doyle l’a appris et il n’était pas tellement content… Donc, pour des raisons légales, ils ont changé le nom de Sherlock Holmes pour Herlock Sholmès », raconte-t-il.

L’aiguille creuse

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L’aiguille creuse

Troisième roman d’Arsène Lupin, c’est celui qui appose la note finale à la série avec Omar Sy. Le cinquième et dernier épisode se termine en effet à Étretat, en Normandie, où l’on peut admirer le rocher en forme d’aiguille rendu célèbre par les aventures du gentleman cambrioleur pour avoir abrité un trésor de la royauté française. « Si on aime les romans d’Arsène Lupin, on les aime pas mal tous », souligne Maxime Prévost.