Petite victoire pour les fournisseurs régionaux « qui tentent de clarifier l’intérêt » pour eux de la décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) rendue jeudi. Les analystes, eux, demeurent soucieux pour les consommateurs.

Au lendemain de la décision fort attendue du CRTC, qui a ordonné aux grands fournisseurs de services sans fil comme Bell, Rogers et Telus d’ouvrir leur réseau sans fil mais seulement aux plus petites entreprises disposant d’une licence de spectre dans leur secteur, les analystes ont affiché leur perplexité. Tous, de Banque Nationale Marchés financiers à Desjardins en passant par Canaccord Genuity, estiment que ce sont les fournisseurs régionaux comme Vidéotron et Cogeco qui pourraient le plus profiter de cette décision. Le fait que le CRTC n’ait pas décrété les tarifs auxquels seront astreints les grands fournisseurs pour l’accès à leur réseau a également été jugé favorablement.

Mais le fait que les fournisseurs régionaux aient été si lents à réagir publiquement — Cogeco n’a diffusé un communiqué que 24 heures après la décision, Vidéotron n’avait toujours rien publié au moment d’écrire ces lignes — illustre la complexité de ce dossier et le flou entourant certains détails, résume Banque Nationale Marchés financiers.

« Les réactions initiales à l’annonce du CRTC sont pour l’instant plutôt discrètes, alors que les parties digèrent l’information et tentent de clarifier l’intérêt de ce régime pour les non-titulaires », peut-on lire.

Est-ce que Cogeco serait même admissible ? « Ç’en aurait plutôt l’air […], mais au moment où nous l’écrivons, ce n’est pas 100 % clair », avoue-t-on dans l’analyse de Canaccord Genuity. Rien, dans le communiqué publié par Cogeco en fin d’après-midi vendredi, ne permet par ailleurs de répondre à cette question. « Tous les Canadiens et Canadiennes méritent de profiter des avantages que procure la concurrence pour leurs services sans fil, a déclaré Philippe Jetté, président et chef de la direction. La décision rendue [jeudi] par le CRTC est un pas important vers l’atteinte de cet objectif. »

« Le nouveau cadre nous procure aussi plus de clarté dans le développement de nos plans pour offrir des services sans fil mobiles, en faisant preuve de discipline financière », ajoute le PDG. Il a été impossible d’obtenir plus de précisions sur les intentions de l’entreprise, qui soutient dans son communiqué que les prochaines enchères sur les fréquences de 3,5 GHz ne lui permettent pas d’émettre plus de commentaires.

Pour Pierre Larouche, professeur de droit de la concurrence à l’Université de Montréal, le CRTC a simplement décidé de prolonger le modèle implanté au Canada depuis plus de deux décennies : peu de réglementation pour permettre à une poignée d’acteurs de bien s’implanter et d’en retirer suffisamment de profits pour développer les infrastructures.

« Le CRTC devait décider s’il ouvrait la porte aux opérateurs virtuels, résume-t-il en entrevue. La réponse est non […], On n’a rien changé à la logique de base : on veut des opérateurs qui se font concurrence sur la base d’infrastructures qu’ils contrôlent. »

Trois principaux opérateurs, comme il en existe au Canada, « ça ne donne pas de la concurrence super dynamique. La preuve empirique à cet égard est que ça en prend au moins quatre ».

Il trouve néanmoins « assez sage » que le CRTC laisse les entreprises privées négocier les accès aux réseaux entre elles, plutôt que de les déterminer d’avance comme il a tenté de le faire depuis 2016 dans le service internet de gros, suscitant de nombreux recours judiciaires. « C’est toujours mieux de laisser les entreprises se débattre un peu, on a une idée de ce qui est possible, ensuite, on intervient en arbitrage […], Il n’y a pas de modèle [de prix] qui fait l’unanimité. C’est très difficile de chiffrer la marge de profit nécessaire pour investir dans les réseaux. »

Peu attrayant pour le consommateur

Le rapport de Desjardins a par ailleurs noté que le CRTC « s’attend [sans l’exiger] » à ce que les trois grands fournisseurs offrent et affichent des forfaits à prix réduit aux consommateurs. On veut notamment que ces entreprises soumettent d’ici le 14 juillet prochain au CRTC des forfaits à moins de 35 $, appels et textos illimités au Canada avec 3 Go de données. Il n’y a pas d’échéance pour leur implantation.

Ces 3 Go, rappelle-t-on chez Desjardins, représentent la consommation effective de données mensuelles moyenne au Canada, ce qui laisse supposer que la majorité des consommateurs ont des forfaits bien plus élevés. « Ces facteurs vont vraisemblablement limiter l’attractivité des plans 3 Go pour une proportion significative de la clientèle. »

Selon le professeur Larouche, le CRTC « n’a pas tout à fait coupé la poire en deux : les consommateurs ont eu droit à la plus petite partie ».

« Les forfaits à 35 $ par mois comme ils sont décrits, est-ce que ça correspond vraiment à ce dont le marché a besoin ? Ce n’est pas ce que la majorité des gens utilisent, ça répond au besoin de gens qui ne peuvent se le payer actuellement. C’est un service minimal. »