Après avoir multiplié les avertissements, Taiga prend une décision qui semblait inévitable : se protéger de ses créanciers. Des dizaines de millions prêtés par Québec et Ottawa au constructeur québécois de motoneiges et motomarines électriques sont en jeu.

Sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), la jeune pousse québécoise tentera d’attirer des investisseurs ou des acquéreurs pour ses actifs. Ce processus est supervisé par Deloitte, qui agit à titre de contrôleur.

« Il n’y avait pas de rentabilité à l’horizon et aucune lumière au bout du tunnel, souligne Raphaël Duguay, professeur de comptabilité à l’Université Yale. La décision était très prévisible. »

Considérée comme l’une des étoiles montantes de l’électrification avant ses déboires financiers, Taiga n’avait pas répondu, mercredi, à une demande pour s’entretenir avec son cofondateur et président-directeur général, Samuel Bruneau.

Avec des coffres qui se vidaient et des revenus insuffisants pour les renflouer, l’entreprise avait prévenu les investisseurs, en avril dernier, qu’il existait une « incertitude significative » sur son avenir.

Cette annonce s’était accompagnée d’un arrêt de la production à son usine située dans l’arrondissement montréalais de LaSalle. En date du 31 mars dernier – les plus récentes données publiques disponibles –, il ne restait que 2,5 millions dans les coffres de Taiga.

Ses créances totalisent 93 millions, selon le rapport rédigé par les spécialistes de la restructuration chez Deloitte Benoit Clouâtre et Jean-François Nadon. En mai dernier, la firme avait sollicité pas moins de 57 acquéreurs ou investisseurs potentiels, sans succès.

« Même si le processus a généré de l’intérêt, compte tenu de la situation financière de l’entreprise, aucune offre ne pouvait être retenue en dehors d’une procédure formelle d’insolvabilité », peut-on lire.

Deloitte contactera à nouveau les parties ayant démontré un intérêt à l’endroit de Taiga, souligne le rapport. La firme compte aussi solliciter des entités qui pourraient être intéressées par certains actifs du constructeur québécois, ce qui pourrait se traduire par un démantèlement.

Bouée fédérale

Pour tenir bon pendant qu’elle cherche un investisseur ou un acheteur, Taiga a convaincu Exportation et développement Canada (EDC), son principal créancier garanti, de lui prêter jusqu’à 4,4 millions de plus. Cette société d’État fédérale a déjà offert près de 20 millions en prêts à l’entreprise.

Taiga avait aussi emprunté 18,3 millions, sous forme de débentures, à Investissement Québec (IQ), le bras financier du gouvernement québécois, l’an dernier.

Il y a donc plus de 40 millions d’argent public en raison de la déconfiture de Taiga. Les chances sont minces pour que les deux ordres de gouvernement puissent revoir la couleur de leur argent, estime M. Duguay.

« Pour Québec, cela risque d’être quelque cent pour chaque dollar, dit-il. Au fédéral, des créances sont partiellement garanties. Ça sera probablement un peu plus, mais une fraction pour chaque dollar prêté. »

Chose certaine, il ne faut pas s’attendre à voir le gouvernement Legault voler au secours de Taiga. Dans une récente entrevue téléphonique, le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, avait écarté ce scénario.

« S’il y a des partenaires stratégiques qui veulent investir, nous pourrions être intéressés, avait expliqué M. Fitzgibbon. Mais nous ne pouvons pas être le financier principal du sauvetage. »

Le constructeur québécois avait obtenu, à l’été 2021, des prêts pouvant atteindre 40 millions de Québec et d’Ottawa pour la construction d’une usine à Shawinigan, en Mauricie. Ce projet ne verra pas le jour et les gouvernements n’ont pas déboursé d’argent dans ce dossier.

Après des débuts prometteurs à la Bourse de Toronto, où l’action se négociait à un peu plus de 13 $, le titre de Taiga a constamment perdu des plumes alors que la jeune pousse éprouvait notamment des problèmes à accroître sa cadence de production et à trouver de nouvelles sources de financement.

Sur Bay Street, l’action a dégringolé à 30 cents, ce qui confère une valeur boursière d’environ 10 millions à Taiga. L’action risque d’être radiée, prévient l’entreprise.

Taiga en bref

  • Année de fondation : 2015
  • Entrée à la Bourse de Toronto : 2021
  • Première motoneige électrique produite : 2021
  • Président-directeur général : Samuel Bruneau
En savoir plus
  • 1056
    Nombre de motoneiges et motomarines produites par l’entreprise en 2023
    source : taiga
    2442
    Nombre de précommandes chez Taiga au 31 décembre dernier
    source : taiga