Endettée et au bord du gouffre, Bombardier a joué sa dernière carte en misant tout sur les jets d’affaires. L’avionneur n’est pas encore tiré d’affaire, mais sa survie ne semble plus menacée et le ciel semble finalement s’éclaircir après plusieurs années douloureuses où son visage a été profondément transformé.

Un an après la présentation d’un nouveau plan quinquennal pour sauver les meubles, la stratégie commence à porter ses fruits. En plus d’avoir obtenu 1,3 milliard US en nouvelles commandes entre janvier et mars, Bombardier a généré des liquidités de 173 millions US – un indicateur surveillé de près par les investisseurs.

« Je ne me souviens pas avoir vu un premier trimestre positif à ce chapitre en plus de 10 ans », affirme l’analyste Chris Murray, d’ATB Capital, en entrevue téléphonique, jeudi, après la présentation des résultats. Le plan en est encore à ses balbutiements, mais il est raisonnable de penser que les objectifs seront atteints. »

C’était le quatrième trimestre consécutif ou Bombardier dégageait des liquidités, ce qui ne s’était pas produit depuis au moins une décennie. Au cours de cette période, la plupart du temps, l’entreprise était contrainte de puiser dans ses réserves pour notamment financer le développement de programmes comme la C Series et le Global 7500. Cela a contribué à l’explosion de sa dette à long terme. Elle atteignait environ 10 milliards US l’an dernier.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

Éric Martel, président et chef de la direction de Bombardier

Il est encore tôt pour tirer des conclusions sur le plan déployé par Éric Martel, président et chef de la direction de Bombardier depuis avril 2020. Des défis pointent toujours à l’horizon. Pour l’instant, le recentrage vers les jets d’affaires, qui s’est concrétisé à la suite d’une série de ventes d’actifs, semble prometteur.

Je pense que nous avons passé le stade où on se demandait si l’entreprise allait survivre. Nous sommes à l’étape d’évaluer si elle sera capable de mener à bien son plan.

Chris Murray, analyste financier de la firme ATB Capital

Signe que la situation s’améliore, les trimestres où Bombardier devra puiser dans ses réserves seront désormais l’exception à la règle, selon son président et chef de la direction, Éric Martel, qui estime que cela rassurera les investisseurs.

« De la façon dont on a réorganisé la compagnie, ça sera une rareté de voir des trimestres négatifs [pour les flux de trésorerie], a-t-il expliqué, au cours d’une conférence téléphonique avec les médias. Les astres sont alignés. »

M. Martel vise des revenus d’environ 7,5 milliards US en 2025 et ambitionne de générer un bénéfice d’exploitation ajusté de 1,5 milliard US. L’an dernier, l’entreprise a affiché un chiffre d’affaires de 6,1 milliards US et un bénéfice d’exploitation ajusté de 640 millions US.

Coup de pouce inattendu

Le contexte actuel, que pratiquement personne ne pouvait anticiper, est attribuable à la pandémie de COVID-19. La crise sanitaire a incité les ultrariches et les mieux nantis à se tourner vers les luxueux jets privés pour se déplacer.

« La pandémie a fait en sorte que le recentrage [vers les jets d’affaires] a été le bon, affirme le professeur Karl Moore, du département de gestion de l’Université McGill. Est-ce que je suis déçu que Bombardier n’ait plus la même envergure qu’auparavant ? Absolument. Mais étant donnés les paris qui ont été faits dans le passé et la lourde dette, leur décision semble avoir été la bonne. »

La demande n’a pas fléchi au premier trimestre. Pendant que l’aviation commerciale tentait de se relever, l’activité dans l’aviation d’affaires a progressé de 23 % aux États-Unis et de 53 % en Europe au dernier trimestre par rapport à la même période l’an dernier.

Bombardier a décroché environ 60 commandes pendant les trois premiers mois de l’année. Son ratio de nouvelles commandes par rapport aux livraisons a atteint 2,5. Au 31 mars dernier, son carnet de commandes valait 13,5 milliards US, en hausse de 11 % par rapport à la fin de 2021.

La demande se manifeste également du côté des appareils d’occasion. Le nombre de jets à vendre correspondait à seulement 3,1 % de la flotte mondiale à la fin du mois de février, selon Jetnet IQ. Cela stimule les ventes et revenus de Bombardier dans la maintenance et les services après-vente, un créneau sur lequel mise grandement l’entreprise.

Sur le chiffre d’affaires de 1,2 milliard US réalisé au premier trimestre, 364 millions provenaient des services après-vente. Les recettes de cette division ont bondi de 34 % par rapport à il y a un an. Aux quatre coins du monde, l’avionneur exploite neuf centres de service et un nouvel établissement est en construction à Melbourne, en Australie.

L’entreprise est en bonne posture pour relever ses prévisions, ce qu’elle devrait faire lorsqu’elle divulguera ses résultats du deuxième trimestre.

Walter Spracklin, analyste chez RBC Marchés des capitaux

Bombardier s’attend à livrer 120 appareils cette année et à générer des liquidités supérieures à 50 millions US. Interrogé à quelques reprises par les analystes, le grand patron de l’entreprise a préféré jouer de prudence en refusant de s’avancer sur une éventuelle révision à la hausse des perspectives.

Malgré des bons résultats, le titre de Bombardier a piqué du nez jeudi, perdant plus de 8 % et contribuant à la baisse de 2,3 % qu’a connu l’indice S&P/TSX.

Défis qui guettent Bombardier

L’endettement 

Malgré de récents efforts, la dette à long terme de Bombardier était de 6,6 milliards US au 31 mars. Son ratio d’endettement est de 7,1 fois le bénéfice d’exploitation ajusté, ce qui est élevé. L’entreprise souhaite le voir passer à 3,5 vers 2025, ce qui signifie qu’il faudra mettre de l’argent de côté pour rembourser les créanciers. « Cela demeure un travail de longue haleine », croit Karl Moore, professeur au département de gestion de l’Université McGill.

La concurrence 

Plusieurs analystes estiment que la gamme de produits de l’avionneur est au goût du jour. Des concurrents comme Gulfstream et Dassault proposeront bientôt de nouveaux modèles, ce qui rendra la concurrence plus féroce. La plateforme du Challenger 650 émane de la fin des années 1970. Tôt ou tard, Bombardier devra investir. « La compagnie ne peut pas se payer un nouvel avion, dit Chris Murray, d’ATB Capital. Le Challenger 650 reste un bon vendeur, mais à terme, il faudra prendre une décision. »

L’incertitude

L’offensive militaire de la Russie contre l’Ukraine n’a pas provoqué de soubresauts dans l’aviation d’affaires, mais cela pourrait rapidement changer si le conflit prend de l’envergure. Les hausses de taux d’intérêt décrétées par les banques centrales pour freiner l’inflation pourraient aussi provoquer un ralentissement économique. L’aviation d’affaires est particulièrement vulnérable aux aléas de l’économie. « On va se donner du temps », a répondu le patron de Bombardier, Éric Martel, interrogé sur ses prévisions pour l’année.

La chaîne d’approvisionnement 

Avec plus de commandes, Bombardier se prépare à livrer davantage d’appareils l’an prochain. Pour éviter les interruptions de production, il faut obtenir les pièces à temps. « On est dans un mode Just in case, a dit M. Martel, sur les difficultés d’approvisionnement qui n’épargnent personne. On a [bonifié] nos stocks. Notre chaîne d’approvisionnement est très concentrée en Amérique du Nord. Les enjeux logistiques dans les ports, on les vit peut-être moins que nos collègues. »

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  • 60 000
    60 000 : Avant de céder sa division ferroviaire à Alstom, en janvier 2021, Bombardier comptait plus de 60 000 employés dans le monde. Son effectif a fondu à 13 500 travailleurs.
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