Le plus riche des oligarques russes, désormais sur la liste noire de l’Union européenne (UE), atterrirait dans l’actionnariat de WestJet si le deuxième transporteur aérien au pays mettait la main sur Sunwing. La transaction pourrait prendre une tournure politique alors qu’Ottawa accentue ses représailles contre la Russie.

« Cela vient mettre un feu jaune sur certains aspects, explique le professeur Yan Cimon, du département de management de l’Université Laval. L’enjeu, ici, c’est essentiellement un enjeu de réputation. »

Considéré comme l’homme le plus riche du pays de Vladimir Poutine, Alexeï Mordachov contrôle 34 % du géant allemand du tourisme TUI, qui possède 49 % de Sunwing. Au Canada, l’homme d’affaires ne fait pas l’objet de sanctions pour l’instant.

PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA

Alexeï Mordachov est considéré comme l’homme d’affaires le plus riche de Russie.

La mécanique de la transaction annoncée mercredi prévoit que les actionnaires de Sunwing et de Vacances Sunwing deviendraient actionnaires du groupe WestJet – propriété de la firme d’investissement torontoise Onex. M. Mordachov serait indirectement actionnaire par le truchement de sa participation dans TUI.

Considéré comme un « actionnaire clé » de Sunwing, TUI « bénéficiera d’une participation » dans WestJet, est-il expliqué dans un document fourni par les deux partenaires.

« Maintenant qu’on le sait, je trouve que c’est gênant, affirme Ivan Tchotourian, professeur spécialisé dans la gouvernance et la responsabilité sociale de l’Université Laval. Un oligarque russe qui aura une participation, même indirecte, dans une grande entreprise canadienne, dans le contexte actuel, cela pose problème. »

Logique, mais délicat

La présence de M. Mordachov dans le portrait ne remet pas en question les motifs opérationnels qui ont mené à l’entente entre WestJet et Sunwing, affirment MM. Cimon et Tchotourian. Les deux entreprises sont complémentaires et leur regroupement devrait passer le test du chien de garde de la concurrence au Canada.

Néanmoins, la transaction pourrait bien être examinée de plus près.

« En gouvernance, la transparence est l’une des grandes tendances, explique M. Cimon. C’est important de mettre en relief ces liens-là. Je pense que c’est un élément qui doit pousser la réflexion un peu plus loin. »

Le Bureau de la concurrence devra se pencher sur le mariage proposé entre WestJet et Sunwing. Les deux entreprises disent avoir « avisé » le ministère fédéral des Transports de leur regroupement.

M. Tchotourian croit que le gouvernement Trudeau a peu d’outils à sa portée pour intervenir. Lorsqu’un acquéreur étranger fait des emplettes au Canada, la transaction est assujettie à la Loi sur Investissement Canada. Dans le cas de WestJet (Calgary) et de Sunwing (Toronto), il s’agit de deux entreprises établies au pays.

C’est le politique contre l’économique.

Ivan Tchotourian, professeur spécialisé dans la gouvernance et la responsabilité sociale de l’Université Laval

Interrogée à propos de M. Mordachov, Sunwing a répondu, dans un courriel, qu’elle « condamne les horribles attaques contre le peuple ukrainien ». L’entreprise a ajouté que le milliardaire « n’était pas un actionnaire de TUI » au moment où elle a conclu une entente avec le groupe, en 2009.

« En tant qu’actionnaire minoritaire de Sunwing, TUI n’a aucun droit de regard ou de contrôle sur les décisions opérationnelles, a écrit l’entreprise. Cela restera le cas si cette transaction [avec WestJet] est approuvée. »

La Presse a envoyé des questions à Affaires mondiales Canada, au ministère des Finances et à Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Après plusieurs heures de tergiversations, ils ont préféré renvoyer la balle au Bureau de la concurrence, en fin d’après-midi, jeudi.

Il n’avait pas été possible d’obtenir des commentaires du Bureau, jeudi.

TUI prend ses distances

L’UE vient d’ajouter M. Mordachov à sa liste des personnes sanctionnées en raison de leurs liens avec le président russe dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine. Les mesures concernent des gels d’avoirs ainsi que des interdictions de voyage.

Cela a forcé le milliardaire à démissionner du comité de surveillance de TUI.

Éclaboussé par l’affaire, le géant allemand a dû publier un communiqué pour assurer que les sanctions européennes n’avaient « aucun impact sur l’entreprise, ses clients et ses employés ».

« L’objectif des sanctions est d’empêcher M. Mordachov de céder ses actions dans TUI et de réaliser tout produit ou bénéfice de son investissement », a écrit TUI.

Si le milliardaire russe détient une aussi grande participation dans TUI, c’est parce qu’il a volé au secours du géant du tourisme l’an dernier en participant à une recapitalisation du groupe, sévèrement affecté par la pandémie.

Qui est Alexeï Mordachov ?

  • Âgé de 56 ans
  • Fortune estimée à 29 milliards US
  • 51sur la liste des personnes les plus riches au monde selon Forbes
  • Investisseur dans TUI, Severstal (acier et mines), Power Machines et Rossiya Bank
En savoir plus
  • 750
    Si leur regroupement est approuvé, WestJet et Sunwing s’attendent à offrir 750 vols quotidiennement.
    Sunwing et WestJet
    35 %
    Les plus récentes sanctions canadiennes à l’endroit de la Russie ont pris la forme de tarifs de 35 % sur les exportations russes et biélorusses.
    Gouvernement du Canada