La quête de solutions de rechange à la transaction avec Air Canada amène les investisseurs à se questionner sur l’avenir de Transat. En réaction au désistement d’Air Canada, l’action du voyagiste montréalais a commencé la semaine en forte baisse, cédant 15 %, à 4,69 $, lundi à la Bourse de Toronto.

Ainsi, l’analyste Tim James, de la TD, recommande désormais de larguer le titre de Transat. Bien que Transat demeure une marque forte à ses yeux, l’impact « catastrophique » de la pandémie, les besoins financiers du voyagiste, la précarité de la reprise et l’élimination d’une offre formelle de rachat justifient sa décision.

La probabilité d’assister à une transaction avec un nouvel acheteur (y compris Pierre Karl Péladeau) est d’au plus 50 %, à son avis. Il estime même à 25 % la probabilité de voir la valeur de l’action de Transat chuter à 0.

Tim James concède que l’incertitude entourant ses calculs est inhabituellement élevée, mais fixe néanmoins sa cible sur 12 mois à 3,25 $.

Son camarade Konark Gupta, de la Scotia, soutient pour sa part qu’il ne serait pas surpris de voir l’action de Transat reculer à moins de 3,50 $, surtout si une autre transaction ne peut se conclure.

« Je ne présumerai pas encore que PKP honorera son offre à 5 $ l’action ou même qu’il réalisera l’acquisition de Transat, considérant que la direction de Transat a déjà dit que sa proposition ne s’appuyait pas sur un financement ferme et engagé, et qu’elle ne peut répondre à ses besoins financiers d’au moins 500 millions pour 2021 », dit Konark Gupta.

D’autres acteurs stratégiques

Cet expert croit que des acteurs financiers pourraient s’intéresser à Transat avec l’appui d’Investissement Québec, par exemple. Des acteurs stratégiques comme WestJet – propriété du conglomérat ontarien Onex – ou Air France/KLM pourraient aussi manifester leur intérêt. Le nom de Sunwing est également évoqué.

La Presse avait révélé, il y a deux ans, que Pierre Karl Péladeau avait discuté avec Air France et WestJet au sujet d’une potentielle acquisition de Transat.

Il ne faut pas écarter non plus une implication possible d’importants actionnaires de Transat comme la Caisse de dépôt et placement du Québec et le Fonds de solidarité FTQ qui détiennent ensemble près de 18 % des actions en circulation.

Konark Gupta estime que les probabilités d’obtenir une approbation réglementaire sont meilleures pour WestJet ou Air France/KLM (ensemble ou de façon individuelle) pour acquérir Transat que celles d’Air Canada.

Il fait notamment valoir qu’avant la pandémie, WestJet et Transat détenaient ensemble environ 45 % des parts de marché des destinations soleil (contre environ 48 % pour Air Canada et Transat) et environ 25 % du marché transatlantique (36 % en incluant Air France/KLM contre 62 % pour Air Canada et Transat).

Air Canada pourrait perdre un peu de sa force concurrentielle dans le marché transatlantique si Transat devait fusionner avec WestJet et (ou) Air France KLM, et dans les destinations soleil si Transat fusionnait avec Sunwing.

Konark Gupta, analyste à la Scotia

Konark Gupta pense par ailleurs que des actionnaires d’Air Canada seront soulagés de savoir, d’une part, que les liquidités du transporteur ne seront pas utilisées pour renflouer Transat et, d’autre part, qu’ils ne seront pas dilués davantage parce qu’il semblait plus probable que les actionnaires de Transat auraient accepté des actions d’Air Canada en échange de leurs actions de Transat. Air Canada offrait 5 $ par action de Transat, en argent ou en échange d’une action de Transat pour 0,2862 action d’Air Canada.

Tim James, de la TD, prévient que si Transat devait se trouver un autre transporteur comme partenaire, cela pourrait créer un concurrent plus fort contre Air Canada à l’international.

L’action d’Air Canada s’est appréciée de 2,5 % lundi, à 27,10 $.

L’offre de PKP toujours d’actualité

Pierre Karl Péladeau a fait savoir vendredi que sa proposition présentée le 22 décembre est « toujours valide » et qu’elle comporte des conditions qu’il souhaite lever « rapidement » afin de soustraire Transat de l’« état d’incertitude dans lequel le voyagiste montréalais se trouve depuis plusieurs mois ».

Le 22 décembre, Pierre Karl Péladeau avait soumis à titre personnel, par l’entremise de sa société de gestion MTRHP, une proposition en argent équivalant à 5 $ par action (190 millions de dollars).

L’homme d’affaires soutient que, « par le maintien d’un Air Transat indépendant », son offre assure un « marché concurrentiel au bénéfice des consommatrices et des consommateurs québécois et canadiens ».

Le mois dernier, la direction de Transat avait indiqué qu’elle analysait différentes options et qu’elle se préparait à toute éventualité, advenant un échec de la transaction avec Air Canada.

Air Canada et Transat avaient conclu une entente au prix de 13 $ par action en juin 2019, bonifiée deux mois plus tard à 18 $ par action, puis révisée en forte baisse à 5 $ par action en octobre dernier après que la pandémie eut plongé le secteur du transport aérien en crise.

Appelé à réagir, le porte-parole de WestJet, Morgan Bell, a simplement indiqué que, « depuis 25 ans, WestJet s’est battue pour une concurrence juste et saine », et que l’entreprise « applaudit » la décision des autorités européennes.

L’acquisition de Transat par Air Canada était conditionnelle à l’approbation de divers organismes de réglementation, notamment la Commission européenne.

Air Canada a précisé vendredi qu’à la suite de récents pourparlers, il était devenu « évident » que la Commission européenne n’approuvera pas l’acquisition selon « l’ensemble des mesures correctives offert ».

Réaction prudente des employés

L’employeur a clairement signifié aux employés de ne pas se prononcer sauf par la voie syndicale. En entrevue avec La Presse, Dominic Levasseur, président de la composante Air Transat du syndicat des agents de bord TS affilié au SCFP, a expliqué que, pour le moment, le plus important était la préservation des emplois et qu’un investisseur québécois serait apprécié. Cependant, le syndicat se demande si Transat doit absolument être vendue et si l’arrivée de Pierre Karl Péladeau serait vraiment nécessaire, d’autant qu’il ne vient pas du transport aérien.

« On croit qu’Air Transat pourrait fonctionner sans PKP, sans être vendue », dit-il.

« Nos dirigeants en place sont très compétents, poursuit Dominic Levasseur. Ils connaissent le milieu aérien depuis plus de 30 ans. L’association avec Air Canada avait pour but de renforcer notre alliance avec un autre transporteur canadien, parce que la compétition est maintenant européenne, américaine et l’international. L’alliance avec PKP, stratégiquement, sans avoir le détail de sa proposition, on ne voit pas comment elle pourrait aider Transat. Mais on demeure toujours ouverts. »

De son côté, le syndicat des pilotes préfère rester prudent afin de ne pas nuire à la transaction et mettre en péril l’une ou l’autre des options. Or, il en profite pour rappeler qu’à l’approche du budget fédéral, les syndicats des pilotes ne sont pas consultés par le gouvernement.

« Les gouvernements étrangers ont aidé leurs compagnies aériennes à la hauteur de 200 milliards de dollars. Cela a permis entre autres de garder un grand nombre de pilotes entraînés et prêts pour une reprise rapide », affirme Pierre Lessard, président du syndicat des pilotes pour Transat.

« Nous espérons que le gouvernement fédéral dans son budget mettra en place une aide qui permettra de rappeler un grand nombre de pilotes rapidement. À l’heure actuelle, certaines compagnies américaines, en plus d’avoir rappelé tous leurs pilotes, en embauchent des nouveaux. Au Canada, on en est encore au stade des mises à pied. »

Isabelle Dubé, La Presse