La précarité de la situation financière de Bombardier fait encore une fois les manchettes et le Québec tout entier est replongé au cœur d’une nouvelle crise d’hystérie collective. Plusieurs hurlent à l’idée que l’entreprise se prépare à une importante vente d’actifs tandis que d’autres exhortent Québec à ne surtout pas succomber à la tentation de venir en aide au manufacturier.

Rétablissons d’abord les faits. Depuis plus de deux semaines, le premier ministre François Legault et son ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, ne cessent de marteler sur toutes les tribunes qu’il n’est pas question que Québec réinjecte de l’argent dans Bombardier ni dans aucune de ses divisions Avions d’affaires ou Transport.

Ces professions de foi répétées ont été rendues nécessaires depuis que Bombardier a fait savoir le 16 janvier que les résultats de son dernier exercice financier n’allaient pas rencontrer les prévisions qu’elle avait pourtant confirmées quelques mois plus tôt.

Cette mise en garde a été assortie d’une autre déclaration où Bombardier convenait que son partenaire Airbus exigeait prochainement l’injection de nouveaux capitaux pour poursuivre le développement du programme A220.

Ce prochain réinvestissement vise à augmenter la cadence de production à l’usine de Mirabel et pourrait servir aussi à développer une nouvelle version allongée de l’A220, l’A220-500.

Bombardier, qui prévoyait être à court de liquidités de 500 millions US pour l’année 2019, prévoit maintenant un déficit de 1,2 milliard US.

L’entreprise n’a pas les moyens de réinvestir dans le programme A220, et c’est pourquoi certains ont évoqué la vente possible de sa participation dans la société en commandite évaluée à 2,23 milliards, en date du mois de juillet 2019, selon les chiffres d’Airbus.

Chose certaine, si de son côté le gouvernement du Québec veut maintenir sa participation de 16,4 % dans la société en commandite, il devra participer au refinancement exigé par Airbus, sinon sa position sera invariablement diluée.

Selon les estimations du constructeur européen, la participation de Québec vaudrait aujourd’hui environ 1,1 milliard US et sa valeur estimée en 2023 devrait atteindre 1,6 milliard US.

L’enjeu entourant une participation financière éventuelle de Québec dans le programme A220 ne touche donc nullement Bombardier.

Il faut donc cesser de prétendre que le gouvernement cherche à renflouer encore une fois Bombardier, alors que dans la réalité, il évalue comment protéger son investissement de 1 milliard US qu’il a consenti dans le programme en 2015.

Mobilité individuelle ou collective ?

On connaît les enjeux financiers qui affligent le bilan de Bombardier depuis presque une dizaine d’années maintenant. Les investissements massifs dans le développement de la C Series, des avions d’affaires Global 7500 et du Learjet 85 ont gonflé à 9 milliards US la dette de l’entreprise.

Malgré les ventes récentes de ses activités manufacturières en Irlande et au Maroc, de même que celles de construction de ses jets régionaux à Mitsubishi, Bombardier doit dégager de la marge de manœuvre additionnelle pour faire face à plusieurs défis opérationnels dans sa division Transport et gérer le remboursement prochain de sa dette.

Deux options semblent maintenant privilégiées : soit Bombardier vend sa division Transport à Alstom, soit elle cède au groupe américain Textron sa division Avions d’affaires, pour laquelle elle pourrait obtenir jusqu’à 7 milliards US.

Cette dernière éventualité en inquiète plusieurs parce que cette division emploie plus de 10 000 personnes dans la région de Montréal. Une vente à Textron ne poserait toutefois pas de menace sur les emplois dans les usines de Bombardier à Saint-Laurent.

Textron fabrique déjà de petits avions d’affaires sous la marque Cessna, mais ils sont d’une catégorie nettement inférieure en termes de gabarit, de performance et de luxe par rapport aux Challenger et aux Global que Bombardier a développés et qu’elle construit à Montréal et Toronto.

S’il existe une menace pour les emplois qui restent chez Bombardier dans le secteur aéronautique, c’est davantage à Wichita au Kansas qu’elle pointe. C’est à Wichita que Textron fabrique ses Cessna et c’est aussi là que Bombardier usine ses avions d’affaires Learjet. S’il y a rationalisation, c’est là qu’elle se fera.

Il m’apparaît plus facile pour Bombardier de réaliser une transaction du côté des avions d’affaires plutôt que de celui de sa division Transport, où un mariage avec Alstom a déjà été tenté sans succès en raison de la trop grande concentration qui en aurait résulté.

À l’époque, on évoquait une fusion entre les deux groupes ferroviaires. Les besoins urgents de liquidités de Bombardier commandent toutefois aujourd’hui une vente avec de l’argent sonnant.

Le cas échéant, qu’arrivera-t-il avec la participation de 30 % que la Caisse de dépôt a prise dans Bombardier Transport en 2016 lorsqu’elle y a injecté 1,5 milliard US ? Cette participation est assortie de la réalisation d’un rendement annuel garanti de 15 %. Est-ce qu’Alstom voudra maintenir un tel partenariat ?

Pour ce qui est du positionnement de Bombardier dans le marché à long terme, est-ce que le développement de solutions de transport collectif ne sera pas plus porteur que le marché des avions d’affaires, dont on remet de plus en plus en question l’empreinte carbone démesurée pour l’usage de quelques privilégiés ?

Le ministre Fitzgibbon a affirmé hier que Bombardier dévoilerait incessamment quel scénario elle privilégiait pour réaliser sa prochaine sortie de crise. Une grande question demeurera toutefois dans la tête de biens des Québécois. S’agira-t-il de la dernière ?