(Montréal) Moins de deux ans après avoir cédé à Airbus le contrôle sur la C Series — rebaptisée A220 —, Bombardier laisse planer le doute sur sa participation au programme en plus de lancer un avertissement sur ses résultats financiers et de considérer ses options pour réduire sa lourde dette, ce qui soulève des questions sur son avenir.

Les mauvaises nouvelles, qui alimentent les craintes des investisseurs sur la capacité de l’entreprise à atteindre les cibles de son plan de redressement de cinq ans, ont fait plonger le cours de son titre à la Bourse de Toronto, jeudi.

Sur le parquet de Bay Street, l’action du constructeur d’avions et de trains a piqué du nez en se transigeant temporairement à un creux annuel de 1,10 $, pour finalement clôturer à 1,22 $, en recul de 32 %, ou 54 cents.

L’entreprise, qui a quitté l’aviation commerciale, se demande maintenant ce qu’elle fera de sa participation dans la Société en commandite Airbus Canada, puisque de nouveaux investissements sont nécessaires pour soutenir l’accélération de la production, ce qui repoussera le seuil de la rentabilité et pèsera sur le rendement.

« Cela pourrait réduire significativement la valeur de la coentreprise », a expliqué Bombardier, en laissant entendre qu’elle pourrait inscrire une charge de dépréciation lorsqu’elle divulguera ses résultats du quatrième trimestre, le 13 février.

Airbus détient une participation de 50,06 % dans le programme de l’A220, contre 33,58 % pour Bombardier et 16,36 % pour l’État québécois, qui a injecté 1 milliard US en 2016.

Le géant européen n’a pas voulu dire pourquoi de nouveaux investissements étaient nécessaires, mais par courriel, la porte-parole d’Airbus Canada, Marcella Cortellazzi, a réitéré l’engagement à l’endroit de l’A220.

« Airbus demeure engagée envers l’A220 et poursuivra de financer le programme vers l’atteinte de l’équilibre », a-t-elle fait valoir.

Du côté du gouvernement Legault, on a préféré ne pas réagir aux commentaires de Bombardier.

En théorie, Airbus peut racheter la participation de Bombardier dans la société en commandite en 2026 alors qu’elle peut faire de même avec celle de Québec à compter de la fin juin 2023.

La possibilité de tabler sur une version allongée de l’appareil — A220-500 — viendrait expliquer en partie les besoins financiers, selon le directeur du groupe d’études en management des entreprises en aéronautique à l’UQAM, Mehran Ebrahimi.

Pour l’expert, Bombardier se demande si le jeu en vaut la chandelle alors que sa participation pourrait être rachetée en 2026.

« Je pense que l’entreprise veut régler la situation dans sa division ferroviaire et racheter la participation (de 30 %) détenue par la Caisse de dépôt et placement du Québec », a expliqué M. Ebrahimi, lors d’une entrevue téléphonique.

D’autres options ?

Avec une dette à long terme de plus de 9,3 milliards US, Bombardier dit continuer d’évaluer ses options, sans préciser le fond de sa pensée, afin d’accélérer son désendettement.

En plus d’avoir vendu ses programmes Q400 et du CRJ, la société s’est départie d’autres actifs, dont ses usines situées à Belfast, en Irlande du Nord, ainsi qu’à Casablanca, au Maroc. Cela ne semble toutefois pas suffisant.

« Nous spéculons que la compagnie pourrait se pencher sur des options qui pourraient inclure la vente d’une de ses deux divisions (aviation ou transport) », a expliqué Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale, dans un rapport.

L’analyste croit qu’il serait plus plausible de se départir du secteur aéronautique, puisque la division ferroviaire serait plus rentable en tant que compagnie distincte.

Pour Seth Seifman, de J. P. Morgan, le signal de l’entreprise suggère qu’il ne suffit pas seulement de repousser les échéances à court terme de la dette de la société et qu’il y a une certaine urgence d’agir.

« Cela suggère des options comme la scission de la compagnie, a écrit l’analyste dans une note. Cela pourrait (même inclure) les deux principales divisions de Bombardier. »

Mauvaises surprises

En ce qui a trait à l’avertissement sur ses résultats, Bombardier affirme qu’il est attribuable essentiellement aux mesures de redressement dans sa division ferroviaire, à l’échéancier de certains paiements et au report de la livraison de quatre avions d’affaires au premier trimestre de 2020.

Bombardier Transport devrait afficher une perte de 230 millions US au quatrième trimestre puisque l’on comptabilisera une charge de 350 millions US pour des problèmes en lien avec des contrats au Royaume-Uni, avec les Chemins de fer fédéraux (CFF) suisses et en raison de coûts accrus en Allemagne.

« La question est de savoir dans quelle mesure l’entreprise est sur le point de résoudre ces problèmes et l’assurance que nous pouvons obtenir qu’il n’y aura pas d’autres pépins », a souligné l’analyste Walter Spracklin, de RBC Marchés des capitaux, dans une note.

Au deuxième trimestre, l’entreprise avait également inscrit une charge d’environ 300 millions US liée à cinq contrats jugés problématiques au sein de sa division de matériel roulant.

Pour l’exercice 2019, Bombardier s’attend à générer un bénéfice d’exploitation ajusté d’environ 400 millions US, alors que ses prévisions dévoilées l’an dernier évoquaient une fourchette de 700 millions US à 800 millions US.

Les revenus devraient totaliser 15,8 milliards US, sous la prévision précédente de 16,5 milliards US à 17 milliards US.

De leur côté, les flux de trésorerie disponibles devraient être d’environ 1 milliard US, soit 650 millions US de moins qu’anticipé. Cette situation devrait se résorber d’ici la fin du premier trimestre, selon la société.

En 2019, Bombardier a livré 175 appareils, dont 11 jets d’affaires Global 7500 — l’appareil au cœur du plan de relance de la compagnie. Cinquante-huit avions ont été livrés au quatrième trimestre.