(Ottawa, Québec et Montréal) Des programmes sociaux avant-gardistes. Des finances publiques en meilleur état que celles de la majorité des provinces. De l’énergie renouvelable très prisée. Des filières industrielles fortement demandées. Et un voisin américain qui amorce un virage résolument vert. De plus en plus de signes laissent présager de belles années économiques pour le Québec.

Les astres économiques s’alignent

ILLUSTRATION LA PRESSE

Les astres semblent s’aligner pour que le Québec enregistre des années de croissance économique enviable. L’ambition du premier ministre François Legault de réduire l’écart de richesse entre le Québec et l’Ontario n’apparaît plus comme un projet farfelu et inatteignable.

« Le Québec s’est donné les moyens de réussir dans l’économie du XXIsiècle », affirme sans ambages le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne.

Il crédite l’ancien premier ministre du Québec Robert Bourassa, qui a eu la vision de miser sur la « bougie d’allumage » : l’hydroélectricité. « On n’a peut-être jamais donné tout le crédit qui revient à cet homme qui a pris cette décision il y a 50 ans. Le Québec a fait un choix stratégique, et voilà qu’aujourd’hui, on en retire les dividendes », tranche-t-il.

Si le Québec produit de l’aluminium vert, excelle déjà dans l’électrification des transports avec les Lion et Nova Bus, est déjà un leader dans l’hydrogène vert et suscite l’envie de plusieurs pour ses avancées en intelligence artificielle, il va maintenant profiter des investissements d’Ottawa pour lutter contre les changements climatiques et du virage vert qu’amorcent les États-Unis sous l’administration de Joe Biden, selon le ministre.

« Positionnement extraordinaire »

« Les énergies renouvelables positionnent le Québec d’une façon extraordinaire. Ce choix de M. Bourassa donne aujourd’hui au Québec un avantage comparatif en Amérique du Nord parmi les 50 États américains et les 10 provinces canadiennes », estime M. Champagne, qui croit dur comme fer que le virage vert à Washington, notamment l’électrification des transports, « va être un accélérateur ».

D’autant plus que le Québec possède tous les minéraux rares nécessaires pour fabriquer les batteries des véhicules électriques.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

François-Philippe Champagne, ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

Les technologies vertes qu’on a développées chez nous vont trouver un marché, un des plus grands marchés au monde. Ça nous donne un avantage comparatif indéniable.

François-Philippe Champagne, ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

Citant certains passages du livre de Bill Gates (How to Avoid a Climate Disaster), l’énergie renouvelable comme l’hydroélectricité est la seule façon de répondre adéquatement à une augmentation de la demande sans mettre en péril l’avenir de la planète.

Le Québec s’apprête aussi à récolter les fruits de ses politiques sociales avant-gardistes.

Le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, ne l’a pas inscrit dans son budget pour éviter de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, mais il prévoit toucher des fonds fédéraux plus importants bientôt.

« Le gouvernement fédéral va sûrement faire quelque chose pour les garderies » dans son budget du 19 avril, affirme-t-il en entrevue. Et comme le Québec a déjà son propre programme, il explique : « On va se retirer [de l’initiative fédérale] avec pleine compensation financière. Donc ça va nous amener de l’argent récurrent. C’est bien ! »

Ce sera bienvenu, surtout au moment où le grand argentier du gouvernement Legault prévoit que les finances publiques ne sortiront pas de la zone rouge avant sept ans.

Combien le Québec pourrait-il toucher ? « La part du Québec là-dedans, c’est 22,6 % de ce que le fédéral va annoncer », répond-il en faisant référence à la proportion de la population québécoise dans celle de l’ensemble du Canada. « Moi, je sais combien ça coûte, un programme de garderies au Québec, et notre réseau, qui n’est pas parfait, ça coûte cher. Ottawa ne pourra pas annoncer un programme national de garderies et mettre 1 milliard là-dedans ! Ça ne serait pas national fort, fort… » Au minimum, on parle de centaines de millions de dollars récurrents qui vont atterrir dans les coffres de Québec.

Assurance médicaments

Le gouvernement Trudeau a aussi promis de créer une assurance médicaments à l’échelle du pays. Là encore, le Québec a son propre régime d’assurance. Il se retirerait du programme fédéral et toucherait une compensation financière.

Dans la mise à jour économique et financière de l’automne dernier, Ottawa s’est engagé à investir entre 70 et 100 milliards en trois ans dans la relance économique.

S’ils choisissent d’investir 75 milliards en trois ans, c’est 25 milliards fois trois. Et là-dedans, il y aura des retombées pour le Québec, c’est indéniable.

Eric Girard, ministre des Finances du Québec

Une autre bonne nouvelle !

On l’a vu lors des deux annonces récentes de François Legault et Justin Trudeau : malgré leurs différends idéologiques, leurs intérêts convergent sur quelques fronts. On peut penser à l’économie verte, au développement des transports collectifs, au déploiement de l’internet haute vitesse. Quand de telles occasions se présentent, les investissements fédéraux viennent alléger la facture de Québec.

Incertitudes sur les transferts en santé

Il n’y a toutefois pas d’engagement ferme de la part d’Ottawa au sujet de la plus importante demande de Québec et des autres provinces : une hausse des transferts en santé.

Dans les coulisses, des travaux sont toutefois en cours. À l’initiative d’Ottawa, le comité des arrangements fiscaux – un groupe permanent qui réunit des sous-ministres du fédéral et des provinces – se penche sur la contribution historique du fédéral au financement des soins de santé et sur la situation financière du fédéral par rapport à celle des provinces.

Les provinces réclament une augmentation de 28 milliards de dollars des transferts en santé (6 milliards pour le Québec), afin de faire passer de 22 % à 35 % la part d’Ottawa dans le financement des dépenses en santé. « Le fédéral contribuait à près de 45 % des coûts » dans le passé, plaide Girard.

Ailleurs au Canada, le Québec fait depuis longtemps l’objet de railleries pour sa dépendance à la péréquation – programme fédéral qui vise à redresser la richesse des provinces pauvres au niveau de la moyenne canadienne. Or, lentement mais sûrement, « le Québec gagne en indépendance », insiste Eric Girard.

La part du Québec dans l’enveloppe de péréquation est en diminution. Elle passera de 66 % à 53 % d’ici 2026-2027. « Ça, ça représente l’amélioration relative du Québec dans la fédération, la lente marche vers la moyenne nationale du PIB par habitant, pour fermer notre écart de richesse. »

La situation économique du Québec s’améliore et, par conséquent, sa capacité fiscale est plus grande par rapport à la moyenne canadienne. Donc, même si le Québec reçoit une somme moins élevée en péréquation, il n’est pas perdant. Il va chercher plus de revenus autonomes en raison d’une meilleure performance économique.

« Nous sommes 22,6 % de la population du Canada, mais seulement 20 % de l’économie canadienne. On voudrait une richesse équivalente à notre poids démographique. Notre importance et notre influence dans la fédération vont être décuplées si l’on y parvient », plaide M. Girard.

De belles années à venir

ILLUSTRATION LA PRESSE

Virage vert d’Ottawa et de Washington

Avec son plan de relance de 100 milliards, le gouvernement Trudeau mise sur une relance verte de l’économie en favorisant l’utilisation de l’énergie propre tout en réduisant la dépendance des Canadiens aux énergies fossiles. Le président américain Joe Biden a annoncé à la fin de mars un plan d’infrastructures, dont 1000 milliards serviront à décarboniser l’économie américaine.

Le Québec, champion de l’énergie renouvelable au pays, est bien placé pour en profiter avec sa filière de spécialistes, de fournisseurs et de manufacturiers actifs dans ce secteur.

Hydro-Québec s’exporte

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LAPRESSE

Après le Vermont et le Massachusetts, Hydro-Québec souhaite vendre son électricité à l’État de New York.

En 2010, sous Jean Charest, le Congrès américain ne voulait même pas reconnaître l’hydroélectricité produite à partir des réservoirs d’eau des grands barrages comme énergie renouvelable. Les temps ont changé. La société d’État a déjà signé un contrat de vente ferme d’électricité avec le Vermont et a conclu une nouvelle entente de vente ferme avec le Massachusetts, semblable à celle qu’elle souhaite conclure avec New York.

Électrification des transports

Si le Canada et les États-Unis cherchent à devenir carboneutres d’ici 2050, ils devront mettre le paquet dans l’électrification des transports, puisque ce secteur compte pour près du quart (23 %) de tous les GES du pays. Québec est prêt à investir jusqu’à 1,4 milliard pour mettre sur pied une industrie de l’électrification axée sur la batterie au lithium, du minerai à la batterie. « Un projet de société », selon le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon.

Des métaux prisés

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

La mine de nickel Raglan, dans le Nord-du-Québec

Avec la décarbonisation de l’économie, les métaux sont le nouveau pétrole. Les quatre principales substances extraites au Canada et utilisées pour fabriquer des batteries sont le cobalt, le graphite, le lithium et le nickel. Le Québec est la seule province qui produit du lithium et du graphite, et il s’agit du premier fournisseur de cobalt, a affirmé le ministère canadien des Ressources naturelles en 2018. Les véhicules électriques sont gourmands en métaux : 20 kg de cuivre sont nécessaires pour construire un véhicule ordinaire, 40 kg pour un véhicule hybride et environ 80 kg pour un véhicule électrique, selon le site IFP Énergies nouvelles.

Un secteur biomédical plus autonome

Le ministre canadien de l’Industrie, François-Philippe Champagne, s’est donné comme objectif de reconstruire les capacités de biofabrication au Canada afin de réduire sa dépendance à l’étranger. Historiquement, la région montréalaise a servi de point d’ancrage à la recherche et à la fabrication des médicaments d’origine. Il reste de cette période glorieuse une grappe des sciences de la vie, composée de 620 organisations, qui ne demande pas mieux que de prendre des couleurs au gré de la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement dans le biomédical.

Amenez-en, des infrastructures

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Québec dépensera 135 milliards en 10 ans pour les infrastructures.

Autant à Québec (135 milliards en 10 ans), à Ottawa (180 milliards sur 12 ans) qu’à Washington (2000 milliards en 8 ans), on mise sur les infrastructures pour relancer l’économie post-COVID-19. Le Québec est bien positionné dans l’ensemble de la filière : ingénieurs (WSP), constructeurs (Pomerleau) et financiers (Caisse et PSP). Même la mal-aimée cimenterie McInnis pourrait finir par profiter de la manne.

Une situation financière résiliente

Les finances publiques du Québec sont en meilleur état que ce qu’on appréhendait au début de la pandémie. Son ratio dette/PIB (45,5 % en 2022) est bien meilleur que celui du voisin ontarien (49,6 % en 2022). Le fédéral est à 55 %.

Malgré les défis que pose le vieillissement de la population sur les dépenses de santé, le Québec a de belles cartes dans son jeu. Parti de loin au chapitre du revenu médian des particuliers, le Québec apparaît maintenant au 5rang parmi les 10 provinces.

De beaux défis à relever

Vieillissement accéléré

Le Québec vieillit plus vite que l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique, ce qui pose des défis en matière de finances publiques. Qui va payer pour les soins de santé des baby-boomers si la population active décroît au lieu de croître ? La situation est exacerbée par la politique d’immigration restrictive du gouvernement de François Legault. Son slogan « En prendre moins pour en prendre soin » s’est traduit par des délais de 27 mois pour les immigrants économiques qui choisissent le Québec, comparativement à 6 mois ailleurs au Canada.

Protectionnisme américain

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

L’usine de Lion Électrique, à Saint-Jérôme

Joe Biden a beau vouloir investir 2000 milliards dans les infrastructures, il a signé un décret ayant pour effet de durcir les dispositions protectionnistes du Buy American Act. On voit chaque semaine les effets du protectionnisme de nos voisins. Le constructeur d’autobus électriques Lion, de Saint-Jérôme, est financé par Québec pour une usine d’assemblage de blocs-batteries, bien qu’elle entende ouvrir son usine de construction d’autobus aux États-Unis.

Mesures de rétorsion chinoises

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des travailleurs dans une usine sidérurgique de Lianyungang, dans l’est de la Chine, le 12 février

La Chine a faim de nos métaux, parlez-en aux exploitants de mines de fer. Si les relations géopolitiques entre l’Amérique du Nord et la Chine devaient continuer de se détériorer, le jour n’est plus loin où la Chine se mettra à bouder nos matières premières. L’Australie goûte déjà à cette médecine, qui n’est en rien douce.

L’aérospatiale en plein désarroi

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Les commandes reprennent pour l’A220, développé par Bombardier sous le nom de C Series, mais l’industrie aérospatiale souffre toujours des contrecoups de la pandémie.

On l’a souvent entendu. L’Ontario, c’est l’auto ; le Québec, l’aérospatiale. Or, le principal donneur d’ordres de l’industrie, Bombardier, n’est plus l’ombre de lui-même. Certes, les commandes reprennent enfin pour l’appareil A220, développé par Bombardier sous le nom de C Series, mais est-ce que ce sera suffisant ? La pandémie a mis à mal la filière au grand complet, et le Canada tarde toujours à voler au secours du secteur exsangue.