(Londres) Après deux années de fortes perturbations pandémiques qui ont ébranlé les fondements de leur chaîne d’approvisionnement et altéré sévèrement la conviction de leurs clients, Airbus Canada et Pratt & Whitney, deux des poids lourds du secteur québécois de l’aéronautique, profitent d’un vent de croissance favorable, une brise très appréciée dans le contexte caniculaire extrême qui sévit au Salon de Farnborough.

La popularité du programme A220 ne se dément pas. Airbus a confirmé mardi une nouvelle commande de 12 appareils A220-300 auprès de Delta Air Lines, qui devient ainsi son plus important client à ce jour avec 107 commandes fermes à son crédit, surpassant ainsi JetBlue, qui en totalise 100.

Benoît Schultz, PDG d’Airbus Canada, ne cachait pas sa satisfaction de voir ainsi ce qui est devenu son plus gros client en redemander.

« Ça démontre encore une fois toute la fiabilité et la versatilité de l’appareil qui génère des économies de carburant de l’ordre de 25 %. Delta a déjà 56 A220 en service, et cette nouvelle commande confirme leur pleine satisfaction », m’a expliqué Benoît Schultz, au chalet d’Airbus à Farnborough.

Le programme de l’A220 cumule maintenant plus de 774 commandes depuis son lancement, et 220 appareils ont été livrés à ce jour.

D’autres annonces pourraient être dévoilées prochainement puisque des rumeurs persistantes attribuaient samedi au transporteur polonais LOT Airlines — l’une des plus anciennes lignes aériennes au monde, fondée en 1928 — l’intention d’acquérir 60 appareils A220. Lundi, l’agence de presse Reuters affirmait que la firme indienne Jet Airways était sur le point de commander 50 A220.

« Ce sont des rumeurs de salon, et on ne commente pas ces rumeurs », a vitement tranché Benoît Schultz.

Historiquement, les grands salons de l’aéronautique du Bourget et de Farnborough, qui alternent chaque année, étaient le lieu pour faire étalage des avancées commerciales des grands fabricants, que ce soit Boeing contre Airbus ou, durant les années 2000, Bombardier contre Embraer.

Les grands bouleversements induits par la pandémie qui ont fragilisé de façon dramatique l’industrie du transport aérien et l’urgence climatique ont considérablement freiné ces manifestations d’ardeurs hégémoniques un peu puériles qui n’ont plus leur raison d’être. La sobriété est maintenant de mise, et la décarbonation a bien meilleure presse.

Cela dit, les commandes s’accumulent, et Airbus Canada accélère la cadence pour être en mesure de livrer 14 appareils par mois — 10 à Mirabel et 4 à Mobile, en Alabama — d’ici 2025, pour respecter ses obligations contractuelles, contre l’actuelle production de 6 appareils par mois (4 à Mirabel et 2 à Mobile).

Airbus a maintenant son usine de préassemblage fonctionnelle à Mirabel, et la hausse de cadence de production se déploiera comme prévu. Est-ce qu’un surplus de popularité de l’A220 pourrait chambouler les plans et les objectifs ?

Airbus poursuit sa planification stratégique en fonction des projections de la demande qui chiffrent à 7000 le nombre d’avions de la catégorie de l’A220 qui devront être fabriqués au cours des 20 prochaines années, en présumant qu’elle accaparera 50 % de ce marché.

« Nos avions ont volé à 85 % durant la pandémie, contre 30 à 40 % pour les autres catégories d’appareils, ce qui démontre sa grande efficacité », insiste Benoît Schultz.

Pratt & Whitney en mode transformation

Maria Della Posta, PDG de Pratt & Whitney Canada, ne s’en cache pas, elle s’est fait beaucoup questionner depuis le début du Salon de Farnborough, lundi, sur les avancées tant attendues des modes de propulsion verts, le sujet de discussion de l’heure au Salon de l’aéronautique.

« Oui, on m’en parle et on peut en parler parce que tous les programmes en service chez Pratt & Whitney visent à réduire la consommation de carburant. On est engagé à fond dans ce processus de décarbonation de l’industrie du transport aérien », m’explique la PDG du motoriste mondialement reconnu.

« Il y a deux semaines, on a fait un premier vol d’essai sur un avion avec du carburant 100 % SAF [Sustainable Aviation Fuel sans aucune source fossile], et la réponse a été excellente. Nos moteurs PW127 ont très bien réagi, comme si c’était du carburant normal. »

« Depuis juillet dernier, avec l’aide des gouvernements d’Ottawa et de Québec, on investit énormément dans la conception d’un moteur hybride électrique. Tous nos ingénieurs travaillent là-dessus, et on souhaite arriver avec l’aide d’un fournisseur de batteries à une solution d’ici 2024 », m’explique la PDG.

Les deux dernières années n’ont pas été faciles pour Pratt & Whitney, mais l’entreprise a repris le rythme de croissance qu’elle affichait en 2019.

« Il y a eu des enjeux sur la chaîne d’approvisionnement et avec certains clients, notamment ceux qui utilisent nos moteurs turbopropulsés parce que la demande s’était effondrée. Mais la reprise est bonne alors que notre production de moteurs pour les jets d’affaires est restée forte », souligne Maria Della Posta.

Par exemple, la société ATR, qui exploite une flotte d’avions régionaux turbopropulsés, vient de tester les nouveaux moteurs de Pratt & Whitney qui réduisent de 30 % les coûts d’exploitation des appareils.

« Nos nouveaux moteurs assurent une économie de 3 % de carburant. Pour un avion turbopropulsé, déjà très économique, c’est énorme », relève la PDG.

Depuis un an, les affaires ont donc repris rondement chez Pratt & Whitney, qui s’est remise à embaucher à forte cadence, bien que l’entreprise compte déjà sur des effectifs de 13 000 employés dans le monde, dont 6000 au Canada.

« Nos programmes existants et le développement de nos nouveaux projets nous forcent à réembaucher, notamment dans nos installations québécoises. On a repris là où on était en 2019 », constate, avec un ravissement certain dans la voix, la PDG.

Journée historique mardi à Londres alors que le mercure a atteint pour la première fois de l’histoire la marque des 40 degrés Celsius, un record qui ne s’est pas fait sans heurts, toutefois.

Tout le transport ferroviaire a été interrompu mardi dans la région de Londres ; les infrastructures qui datent de l’ère victorienne n’ont pas été en mesure de résister à l’amplitude thermique que provoque cette chaleur intense sur les rails.

Des voies ferrées ont été déformées sous l’effet de la température en déroute, forçant l’interruption du service. Alors que les services d’incendie de la Ville de Londres répondent à quelque 300 appels d’intervention quotidiens, mardi, à l’heure du souper, on en dénombrait plus de 1600.

Des feux se sont allumés partout dans les villages autour de l’agglomération londonienne, les lignes de métro ont été perturbées, des aéroports ont dû fermer des pistes parce que l’asphalte fondait littéralement sous l’effet amplificateur du soleil et de la chaleur. On croit de plus en plus à l’urgence absolue de décarboner pour ne pas que tout ce chaos devienne la norme.