Les entreprises qui font des affaires avec les grands donneurs d’ordres du secteur de l’aéronautique comme Airbus, Bombardier ou Pratt & Whitney souhaitent raccourcir leur chaîne d’approvisionnement en rapatriant le plus possible leurs activités de fabrication, mais elles font face à de plus grands défis que les entreprises d’autres secteurs industriels moins mondialement intégrés.

C’est ce que révèle une étude réalisée par la firme KPMG auprès de 800 entreprises de différents secteurs industriels, baptisée Focus 2025, dont le volet portant sur le secteur de l’aéronautique a été dévoilé mardi devant des représentants de l’industrie.

On l’a vu depuis trois ans maintenant, les perturbations de toutes sortes qui ne cessent d’affliger les chaînes d’approvisionnement ont forcé de nombreuses entreprises à rapatrier le plus possible d’activités de fabrication dans le giron de leur organisation pour ne plus être victimes de ruptures de stock ou carrément d’indisponibilité de produits ou de composantes indispensables à leurs activités de production.

À partir d’un sondage réalisé auprès de hauts dirigeants d’une quarantaine d’entreprises représentatives de la diversité de la grappe de l’aéronautique, l’enquête de KPMG révèle que 86 % des entreprises du secteur considèrent que la pénurie de main-d’œuvre constitue un obstacle majeur dans leur volonté de rapatrier des activités localement.

Vous me direz qu’il n’y a rien de neuf là-dedans, que la pénurie de main-d’œuvre empoisonne la vie de toutes les entreprises au Québec, mais dans le cas spécifique du rapatriement d’activités au sein des entreprises, c’est dans l’aéronautique que l’absence de main-d’œuvre qualifiée pénalise le plus les entreprises, à 86 % contre 52 % dans les autres secteurs industriels.

Les coûts élevés d’exploitation des entreprises du secteur constituent également un autre obstacle de taille à la relocalisation au Québec d’activités manufacturières exécutées à l’étranger, selon 74 % des répondants de l’aéronautique, contre 20 % dans les entreprises des autres secteurs industriels.

« Il en coûte plus cher pour les entreprises manufacturières du secteur de l’aéronautique de mettre sur pied une chaîne de production pour un produit spécifique, elles sont plus lourdes à opérer que dans de nombreux autres secteurs », observe Élise Boutin Michaud, directrice principale, intelligence d’affaires et stratégie, chez KPMG, qui est responsable de l’enquête.

La crise perpétuelle de la chaîne d’approvisionnement a aussi forcé plus d’entreprises du secteur de l’aéronautique à alourdir leur bilan financier et à s’endetter davantage pour leur garantir l’accès aux biens dont elles ont besoin pour fonctionner normalement. Ainsi, 57 % des répondants à l’enquête affirment avoir révisé leur capacité d’emprunt, contre 21 % pour les entreprises d’autres secteurs industriels.

Ces trois entraves au rapatriement d’activités au pays – la pénurie de travailleurs spécialisés, les coûts élevés d’exploitation et la révision des capacités d’emprunt – se posent en frein aux projets des entreprises, alors que 46 % d’entre elles prévoient maintenant de produire ou d’assembler au moins 80 % de leurs opérations au Québec, contre 63 % des autres entreprises industrielles québécoises.

C’est la structure mondiale de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie aéronautique qui rend plus difficile la relocalisation d’activités. Beaucoup d’entreprises du secteur ont des fournisseurs attitrés en Asie et comptent poursuivre cette relation d’affaires tant qu’elle fonctionne.

Juste-à-temps et ESG

Autre phénomène notable révélé par l’enquête de KPMG, 50 % des entreprises de la grappe de l’aéronautique prévoient de continuer à faire des provisions de produits de base en tout temps, une fois que la pandémie sera terminée. Il s’agit ici d’un pourcentage légèrement supérieur aux 41 % observés dans les autres industries.

« Beaucoup d’entreprises qui n’avaient jamais connu autre chose que le juste-à-temps sont passées au juste-au-cas et ont appris à se constituer des stocks, à investir dans des inventaires. Il s’agit de coûts additionnels pour elles, ce qui contribue à augmenter leur capacité d’emprunt pour s’ajuster à cette nouvelle réalité », souligne Élise Boutin Michaud.

Enfin, dernier constat, et non le moindre, les entreprises sous-traitantes de l’aéronautique doivent rapidement mettre en place des politiques et des pratiques de développement durable si elles ne souhaitent pas se faire déclasser par des fournisseurs qui ont intégré les critères liés à l’environnement, aux enjeux sociaux et de gouvernance.

Les entreprises de l’aéronautique sont légèrement plus favorables (75 % contre 72 % pour les entreprises d’autres secteurs) aux organisations qui prennent position sur des enjeux de société, mais seulement 53 % d’entre elles ont des objectifs ou une politique de développement durable en place.

« Chez les PME de moins de 25 employés, c’est 23 % seulement. Il est important que les sous-traitants adoptent des politiques de développement durable si elles veulent demeurer les fournisseuses des grands donneurs d’ordres qui, eux, ont adopté publiquement des politiques ESG claires avec des objectifs précis », insiste Élise Boutin Michaud.

Ces politiques de développement durable visent à sceller le capital réputationnel des entreprises, à renforcer la marque employeur et à les crédibiliser dans le marché, mais elles sont devenues maintenant des sujets de très grand intérêt pour les grands investisseurs institutionnels.

« Les firmes d’audit doivent fournir des chiffres précis sur les objectifs des grandes entreprises, mais aussi sur leurs fournisseurs. Si une PME ne répond pas aux objectifs ESG de son client, elle va se faire déclasser », met en garde la responsable de KPMG.

On le constate donc, les entreprises de l’aéronautique, les petites comme les grandes, font face à de nombreux défis pour renforcer leur position dans la chaîne d’approvisionnement. Rien n’est gagné, et il y a encore beaucoup de travail à faire pour toutes.