(Paris) Plus de pièces de rechange ni de services de maintenance pour les avions : la suspension des activités de Boeing et d’Airbus en Russie constitue un coup de massue pour les compagnies aériennes russes, dont la sécurité des vols sera en jeu à terme.

Espaces aériens européen, canadien et américain fermés aux avions russes, sanctions européennes et ponts coupés par les deux principaux constructeurs aéronautiques : l’invasion de l’Ukraine par la Russie risque de coûter cher à l’aviation commerciale russe, soulignent les experts.

Le géant de Seattle a annoncé dans la nuit de mardi à mercredi qu’il suspendait « les services de pièces détachées, de maintenance et d’assistance technique pour les compagnies aériennes russes » ainsi que ses « opérations majeures » à Moscou.

De son côté, « conformément aux sanctions internationales en vigueur, Airbus a suspendu les services d’assistance aux compagnies aériennes russes ainsi que la fourniture de pièces détachées dans le pays », indique l’avionneur européen.

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Boeing a annoncé dans la nuit de mardi à mercredi qu’il suspendait « les services de pièces détachées, de maintenance et d’assistance technique pour les compagnies aériennes russes » ainsi que ses « opérations majeures » à Moscou.

Les appareils des deux constructeurs constituent la grande majorité de la flotte d’aviation commerciale russe. Sur un millier d’appareils en service en Russie, près de 370 sont des Boeing, 340 des Airbus.

Et la Russie risque de voir se retirer une partie de ces avions : trois quarts d’entre eux appartiennent non pas aux compagnies mais à des loueurs, selon la base de données de la publication spécialisée Aviation Week. Si un quart de ces loueurs sont russes, près de la moitié sont européens.

Le périmètre des sanctions « permet à tous les avions détenus par des propriétaires de l’UE de rentrer dans l’Union européenne », a indiqué un fonctionnaire européen, disant être à ce propos « en contact avec plusieurs sociétés de location-bail en Irlande », où nombre d’entre elles sont implantées.

S’agissant de la maintenance, « l’impact immédiat est faible, mais lourd à moyen terme », estime Bernard Vilmer, expert aéronautique au cabinet Icare.

Chaque pièce d’avion dispose d’une traçabilité, un système destiné à garantir la certification internationale de l’avion. « C’est ce protocole drastique qui a permis d’arriver à des taux d’accidents extrêmement faibles », explique-t-il à l’AFP.

« À partir du moment où l’on sort des voies d’approvisionnement normales et de traçabilité de la maintenance, on devient suspect et on entre dans une spirale infernale qui va conduire à des accidents. C’est exactement ce qui s’est passé en Iran », selon lui.

« Cannibalisation »

Frappé d’embargo, l’Iran a d’abord « cannibalisé » des appareils pour récupérer des pièces détachées puis a vu le nombre d’accidents aériens augmenter.

Tout dépendra de la latitude qui sera donnée aux compagnies par le régulateur russe de l’aérien.

Dès mercredi, le gendarme des transports russe annonçait une cessation des contrôles de routine. « Dans le but d’assurer le fonctionnement adéquat des transports et d’éviter un fardeau supplémentaire pour les exploitants, les vérifications de routine de Rostransnadzor concernant les organisations exploitant des appareils des compagnies Airbus et Boeing sont annulées », indiquait-il, cité par l’agence de presse Tass.  

La Russie, qui s’étend sur onze fuseaux horaires, est très dépendante des liaisons aériennes pour desservir son immense territoire.

  « Les États sont libres d’imposer leurs propres critères » de navigabilité, comme rallonger le nombre d’heures de vol entre deux passages obligatoires à l’atelier, rappelle cet expert.

 « Il y a des marges de sécurité et des tolérances mises en place par les constructeurs et les certificateurs », abonde M. Vilmer.

Mais le risque à terme pour les avions russes est, selon lui, de figurer sur des listes noires et de se voir bannis du ciel des pays limitrophes par sécurité, faute de respecter les règles des constructeurs ou des autorités certificatrices des Airbus et Boeing, l’EASA en Europe, la FAA aux États-Unis.

Outre la cannibalisation, les compagnies peuvent être aussi tentées de récupérer des pièces « en passant par la bande », note l’expert en sécurité aérienne, selon lequel « il existe un marché parallèle » de contrefaçons ou de pièces détournées.

Des compagnies peu scrupuleuses d’autres pays pourraient ainsi être tentées d’acheter davantage de pièces détachées que nécessaire pour les revendre ensuite.

 » Mais ça ne peut durer qu’un temps «, la traçabilité des pièces faisant que le constructeur s’en apercevra, selon M. Vilmer, pour qui » les échanges entre la Russie et le reste du monde vont être durablement affectés par ces mesures « de sanctions.