(Ottawa) Le gouvernement fédéral a prévenu Boeing que sa soumission pour remplacer les CF-18 vieillissants par une nouvelle flotte d’avions de chasse Super Hornet ne répondait pas à ses exigences.

Trois sources de l’industrie et du gouvernement ont indiqué que la nouvelle avait été transmise mercredi au constructeur américain. Les deux autres sociétés en lice pour le contrat de 19 milliards – le géant américain de la défense Lockheed Martin et la société suédoise Saab – ont quant à elles appris qu’elles répondaient aux exigences du gouvernement canadien.

Les entreprises intéressées par ce contrat devaient démontrer que leur avion de chasse pouvait répondre aux exigences de l’aviation canadienne pour les missions au pays et à l’étranger. Mais elles devaient aussi démontrer que l’obtention du contrat entraînerait des avantages économiques substantiels pour l’industrie aérospatiale canadienne.

Le ministère de la Défense nationale et Services publics et Approvisionnement Canada, qui gère l’appel d’offres au nom du gouvernement fédéral, n’ont pas répondu aux demandes pour commenter le dossier jeudi.

La nouvelle que l’une des deux entreprises américaines en lice pour le contrat n’a pas réussi à répondre à une ou plusieurs de ces exigences constituent le dernier chapitre de ce qui a déjà été une longue saga, souvent imprévisible, vers le remplacement des vieux CF-18 canadiens.

Bien que le non-respect des exigences par Boeing semble disqualifier le Super Hornet de la compétition, ne laissant en lice que le F-35 et l’avion de chasse Gripen de Saab, aucune de ces sociétés n’a été officiellement informée par Ottawa qu’elle était, ou non, toujours dans la course.

Les trois sources ont requis l’anonymat, car elles n’étaient pas autorisées à discuter publiquement de ces questions.

Un porte-parole de Boeing a déclaré que la société réserverait ses commentaires en attendant une notification officielle du gouvernement canadien.

L’appareil de Saab compatible ?

De nombreux observateurs considéraient le Super Hornet de Boeing et le F-35 de Lockheed comme les deux seuls véritables concurrents dans cette course, en raison des relations étroites du Canada avec les États-Unis, qui incluent l’utilisation d’avions de chasse de concert pour défendre l’espace aérien nord-américain.

Ces perceptions n’ont été qu’amplifiées après que deux autres sociétés européennes ont abandonné la compétition avant même qu’elle ne commence, se plaignant que les exigences du gouvernement avaient pipé les dés en faveur de leurs rivaux américains.

La Suède n’est pas membre de l’OTAN ni du commandement de défense conjoint canado-américain connu sous le nom de Norad, qui est chargé de protéger le continent contre les menaces étrangères. Cela a suscité des questions sur la compatibilité de l’appareil Gripen avec les avions américains.

Bien que l’échec de Boeing à répondre aux exigences soit surprenant, cela pourrait également renforcer les affirmations du gouvernement selon lesquelles il organise un concours juste et impartial pour remplacer les CF-18, a déclaré l’analyste de la défense David Perry de l’Institut canadien des affaires mondiales.

« Cela indique qu’il s’agissait véritablement d’un marché public concurrentiel, et le Canada avait déployé beaucoup d’efforts pour s’assurer que ce soit le cas », a-t-il déclaré.

M. Perry a ajouté : « Il y a eu beaucoup de spéculations quant à savoir si un chasseur non américain pourrait réellement être un vrai concurrent, étant donné les exigences du Canada en matière d’interopérabilité avec les États-Unis. Si elle est toujours dans la course, Saab a certainement respecté ce critère. »

Pourtant, Jeff Collins, expert en approvisionnement militaire à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, a déclaré que des inquiétudes de longue date demeuraient chez certains qui croient que l’ensemble du concours a été mis en place dès le début pour sélectionner le F-35.

Choisir un autre chasseur, a-t-il ajouté, représenterait une rupture majeure par rapport aux alliés les plus proches du Canada, dont la majorité achète le F-35.

Le Canada s’est joint pour la première fois aux États-Unis et à d’autres alliés en tant que partenaire dans le développement du F-35 en 1997 et a depuis payé 613 millions US pour rester à la table. Les partenaires bénéficient d’une remise lors de l’achat des jets et se disputent des milliards de dollars en contrats associés à leur construction et à leur entretien.

Le gouvernement conservateur de Stephen Harper s’était engagé à acheter 65 appareils F-35 sans concours en 2010, avant que les inquiétudes concernant le coût et les capacités du chasseur furtif ne le forcent à revenir à la planche à dessin.

Les libéraux ont promis en 2015 de ne pas acheter les F-35, mais plutôt de lancer un concours ouvert pour remplacer les CF-18. Plus tard, ils ont dit prévoir d’acheter 18 Super Hornet sans concours à titre de mesure « provisoire » pour s’assurer que le Canada dispose de suffisamment d’avions jusqu’à ce que des remplaçants permanents puissent être achetés.

Certains à l’époque ont remis en question ce plan, suggérant que les libéraux essayaient de trouver un moyen de lier les mains du Canada envers le Super Hornet sans s’exposer à une contestation judiciaire de Lockheed Martin ou de tout autre fabricant d’avions.

Mais le gouvernement a annulé le plan après que Boeing a lancé un différend commercial avec la société aérospatiale montréalaise Bombardier au sujet des avions de la série C de cette dernière. Il a par la suite introduit une pénalité pour les entreprises à la recherche d’un contrat fédéral qui ont lancé un différend commercial avec le Canada.

M. Collins s’est demandé si la soi-disant « clause Boeing » avait joué un rôle dans la compétition des avions de chasse, bien que des responsables aient précédemment déclaré que ce n’était pas un facteur, car le différend a été résolu en faveur de Bombardier en 2018.

Pendant ce temps, le gouvernement a été contraint d’investir des centaines de millions de dollars supplémentaires dans la flotte de CF-18 pour la maintenir en service jusqu’à ce qu’un remplaçant puisse être livré. Le gouvernement a annoncé son intention de nommer un gagnant dans les prochains mois, avec un premier avion livré en 2025.

Le dernier avion ne devrait pas arriver avant 2032 ; à ce moment, les CF-18 auront été en fonction depuis 50 ans.