Depuis vendredi dernier, on entend sur de nombreuses tribunes qu’il faut absolument sauver Transat parce qu’il s’agit d’un fleuron québécois trop important pour le laisser disparaître. Mais il faut aussi se demander quel est le plan d’affaires qu’adoptera l’entreprise lorsqu’elle reprendra ses activités à partir du mois de juin, et comment elle prévoit structurer une solution qui lui permettra enfin un jour d’afficher une rentabilité récurrente.

Que Transat redémarre ses activités de façon indépendante, qu’elle soit rachetée par Pierre Karl Péladeau ou qu’elle s’associe à un partenaire stratégique, l’entreprise de tourisme intégrée devra arriver un jour à livrer de façon régulière une profitabilité conséquente.

Oui, Transat est un fleuron en ce sens que c’est une entreprise importante au Québec avec son siège social montréalais et les 5000 emplois qu’elle générait avant la pandémie. Oui, Transat a développé une grande marque qui est très appréciée des Québécois et oui, l’entreprise a réussi à se démarquer au fil des ans par la qualité de ses services et ses prix concurrentiels.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Transat est une entreprise importante au Québec avec son siège social montréalais et les 5000 emplois qu’elle générait avant la pandémie.

Mais Transat n’a jamais été un modèle de rentabilité pour autant.

Depuis 10 ans, l’entreprise a terminé ses exercices financiers en affichant des pertes un an sur deux ou en dégageant des profits modestes ou corrects, mais elle a tout de même réussi à se constituer au fil du temps une trésorerie plus qu’enviable de près de 700 millions.

Au cours des 10 dernières années, Transat a toujours perdu de l’argent avec ses activités hivernales et c’est la raison pour laquelle son PDG, Jean-Marc Eustache, a décidé, en 2017, d’utiliser les liquidités de l’entreprise pour créer une division hôtelière dans le Sud qui allait permettre au groupe de rentabiliser de façon permanente cette saison déficitaire.

L’objectif était de créer ou de gérer un parc de propriétés de 5000 chambres d’hôtel, une activité qui génère des marges de 40 %, insistait le PDG de Transat. L’achat d’un premier terrain en bord de mer à Puerto Morelos, au Mexique, a été réalisé.

Ce projet a été mis sur pause il y a deux ans, lorsque Air Canada et Transat ont conclu une entente pour permettre à Air Canada d’acquérir le transporteur et voyagiste québécois.

Une transaction qui a été accueillie avec soulagement par la direction de Transat, comme l’a bien exprimé Jean-Marc Eustache, en décembre dernier, lors de l’assemblée extraordinaire des actionnaires de l’entreprise pour sceller la transaction.

« Ça fait 10 ans que Transat ne fait plus d’argent l’hiver. Depuis 10 ans, Transat fait de l’argent une année sur deux l’été. Transat était concurrencée à droite et à gauche, comme tout le monde. Et on pouvait imaginer qu’elle avait besoin d’une alliance forte, avec quelqu’un de bien installé.

« Cette alliance ne pouvait se faire qu’avec quelqu’un dans notre métier, parce que c’est un métier complexe… On ne pourra rester seul, c’est fini. L’aérien, c’est mondial maintenant », avait déclaré le PDG de Transat.

La vie après Air Canada

On connaît la suite. Air Canada a retiré son offre et la direction de Transat étudie maintenant les options qui se présentent à elle : redémarrer et opérer de façon autonome comme avant, accepter l’offre d’un acquéreur potentiel, comme celle de Pierre Karl Péladeau, ou créer de nouveaux partenariats stratégiques.

Peu importe l’option choisie, le destin de Transat est totalement lié à l’aide gouvernementale promise et attendue depuis le début de la pandémie.

Les liquidités de près de 700 millions ont fondu à 303 millions au dernier trimestre, et Transat doit dédommager les voyageurs ayant payé pour des services qu’ils n’ont jamais obtenus.

Mercredi, Peter Letko, vice-président de la firme Letko Brosseau, plus important actionnaire de Transat avec 13 % des actions, a fait savoir qu’il préférait nettement que Transat poursuive ses activités de façon indépendante plutôt que d’être vendue au rabais à un éventuel acquéreur.

« Je n’ai rien contre M. Péladeau, on est même un bon actionnaire de Québecor depuis longtemps et content de l’être, mais le prix qu’il offre reviendrait à donner la compagnie pour rien. L’offre d’Air Canada était plus avantageuse parce qu’on avait des actions du transporteur en retour », m’a confirmé Peter Letko, mercredi après-midi.

L’investisseur est convaincu que Transat pourra reprendre graduellement ses activités après avoir obtenu le financement de 500 millions dont elle a absolument besoin, et il serait même prêt à réinvestir si l’entreprise réalisait une nouvelle émission d’actions.

Malgré la rentabilité très aléatoire des 10 dernières années ?

« Transat a bâti une grande marque, mais a toujours eu des difficultés avec sa tarification. Il y a des hivers où les vols Montréal-Fort Lauderdale étaient moitié moins chers que chez Air Canada. Ils ont compris et ils étaient sur la bonne voie. »

Chose certaine, Transat devra faire preuve d’une discipline extrême lors de la reprise de ses activités parce que ses projets hôteliers au Mexique sont toujours en suspens et que ses capitaux seront tous mobilisés pour l’opération de redémarrage. La piste de la rentabilité risque d’être assez longue merci.