« Abasourdie. »

J’ai Claudine Roy au téléphone, et elle n’est pas contente.

La femme d’affaires de Gaspé, dynamo, visage omniprésent de la Gaspésie dans les institutions et regroupements commerciaux du Québec, n’a que des questions à poser à la suite de la décision d’Air Canada de cesser plusieurs liaisons aériennes régionales, dont celle vers sa ville, sa région.

« On va faire comment pour aller à Montréal ?

« Et on va faire comment pour amener les gens ici ?

« Comment peut-on parler de développement régional, maintenant ? »

Je la comprends.

Je veux bien croire que le confinement nous a tous fait découvrir le télétravail et que des tas de déplacements inutiles pourront être maintenant évités.

Mais de là à isoler des régions entières ?

Pour la Côte-Nord et l’est du Québec, c’est une catastrophe. Plus moyen de voler avec Air Canada vers Mont-Joli, près de Rimouski, ni Gaspé. La Côte-Nord est aussi visée, car Baie-Comeau et Sept-Îles perdent leur liaison.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

« C’est tellement étrange que les communications aériennes cessent ou alors diminuent radicalement, alors que la fermeture des frontières internationales oblige finalement les Québécois à découvrir leur territoire », écrit notre chroniqueuse.

Je veux bien croire qu’on vit à une époque où il faut diminuer notre impact écologique en prenant moins l’avion. Mais le Québec n’est pas exactement l’Europe. Nos ciels ne sont pas remplis d’aéronefs bondés de gens ayant payé leurs billets à des prix dérisoires dont les émanations polluantes ruinent nos écosystèmes.

Et il n’y a pas de trains modernes à grande vitesse comme les TGV européens et autres shinkansen asiatiques pour assurer la relève. Et dans bien des cas, même pas de trains lents traditionnels offrant une solution de rechange à peu près correcte à la rapidité de l’avion.

Comment veut-on développer la province ainsi ?

Il faudra probablement maintenant se tourner vers Pascan, la petite ligne installée à l’aéroport de Saint-Hubert, qui vole déjà vers plusieurs centres régionaux, comme Mont-Joli, Sept-Îles, Fermont. Et Bonaventure, en Gaspésie, du côté de la baie des Chaleurs, près de Paspébiac, à presque 200 km de Gaspé. Mardi, les propriétaires ont dit qu’ils se sentaient prêts à ça.

Espérons qu’ils auront de l’aide pour lancer de tels services à des prix concurrentiels. Même s’il n’y a plus de concurrence.

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C’est tellement étrange que les communications aériennes cessent ou alors diminuent radicalement, alors que la fermeture des frontières internationales oblige finalement les Québécois à découvrir leur territoire.

Le taux de réservation pour juillet et août est de 90 %, m’a confié Claudine Roy, notamment propriétaire de l’Auberge sous les arbres, à Gaspé. Les Québécois ont clairement choisi de se découvrir pour les vacances.

Dans une logique de développement durable, cet été québécois aurait pu être un tremplin pour Air Canada. Au lieu d’aller au bout du monde, découvrez votre chez-vous, nous aurait-on dit. Petits avions, peu de personnel, peu de flafla.

Apparemment, les pertes sont trop importantes. Sauf que, a-t-on réellement essayé de profiter de la demande de cet été ?

Pourquoi pas juste diminuer les vols ?

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Mais peut-être est-ce mieux ainsi. Un mauvais moment à passer avant que d’autres gens d’affaires trouvent de meilleures solutions.

Évidemment, on aurait aimé que le train soit une option. Mais les voyages sont souvent interminables, et toute la conception de ces voyagements est archaïque. Et qui, dans notre univers même pas encore post-COVID, croit, à court ou même à moyen terme, à la possibilité d’investissements de l’envergure nécessaire pour remettre le transport sur rail en place dans tant de régions du Québec ?

Même si on sait tous que ce serait la meilleure option.

Parfois, j’ai l’impression qu’on pourra se balader en drones avant que des politiques aient le courage d’envisager ainsi le développement régional.

Pourtant, c’est ça, l’avenir.

Pas l’étalement urbain de villes comme Montréal ou Québec.

L’avenir, c’est la densification d’unités distinctes, parsemées sur le territoire. Des pôles reliés entre eux par des liaisons efficaces. En bus, en train, en avion parfois.

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Maintenant qu’on a compris comment le télétravail, la télémédecine, les téléconsultations, le télé plein de trucs fonctionnent, ne devrait-on pas nous asseoir pour réfléchir à comment on veut développer le territoire ? Et nos structures de transport ?

La donne est différente.

Avec le confinement, on a appris non seulement qu’on peut être distancé et bien fonctionner, mais aussi qu’on doit presque l’être. Et on a appris que les voyages internationaux à tout prix, partout, tout le temps, comportaient leur lot de risques.

Donc, je lance quelques observations.

Peut-être que le transport de l’avenir, c’est de ne pas avoir besoin de prendre de transport au quotidien à l’intérieur de son univers.

Peut-être alors faut-il garder les axes de transport pour les échanges entre les cellules régionales ?

Peut-être que les voyages internationaux vont grandement diminuer.

Peut-être que ce n’est pas Mont-Joli–Montréal, le problème qui coûte cher, Air Canada, mais plutôt les vols vers le bout du monde.

Peut-être qu’on doit reverser une partie de nos investissements en transports internationaux vers les transports locaux.

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Je brasse les idées depuis l’annonce, j’en discute avec des gens partout au Québec et je n’arrive pas à voir comment la décision radicale de ne pas desservir les régions en pleine explosion du tourisme local et en pleine transformation de notre vision de l’organisation du travail est une bonne idée. Peut-être à très, très court terme pour des raisons de liquidités. Mais quand même…

Hâte de voir si le gouvernement Legault va dire autre chose que « c’est au fédéral à s’occuper de ça » pour proposer de vraies idées de solutions.